Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Péronne a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 et des pénalités afférentes.
Par un jugement n° 1402009 du 13 octobre 2016, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 novembre 2016, la SCI Péronne demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
--------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le livre des procédures fiscales et le code général des impôts ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., gérant et associé majoritaire de la société civile immobilière (SCI) Péronne, société relevant de l'article 8 du code général des impôts, a fait l'objet d'une plainte pénale et d'une procédure judiciaire d'enquête préliminaire, à la suite de la saisie auprès d'un tiers de fichiers informatiques laissant apparaître qu'il était susceptible de détenir en Suisse des avoirs financiers non déclarés. Les perquisitions et interrogatoires effectués dans le cadre de l'enquête ont fait apparaître une pratique de fausse facturation mise en place dans la SCI. En conséquence, cette société a fait l'objet d'une procédure de contrôle sur pièces, à la suite de laquelle l'administration a procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au montant de taxe mentionné sur les factures regardées par l'administration comme fictives. La SCI Péronne relève appel du jugement du 13 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à ce qu'il prononce la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances. (...) ". Aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". Aux termes de l'article L. 101 du même livre dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, et en vertu du code de procédure pénale, la phase de l'instruction conduite par le juge d'instruction doit être regardée comme ouvrant l'instance criminelle ou correctionnelle.
3. La SCI Péronne soutient que la procédure d'imposition serait irrégulière dès lors que la transmission des fiches de synthèse à l'administration fiscale par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice est intervenue dès l'enquête préliminaire alors que l'instance judiciaire concernant M.B..., son gérant, n'a été engagée que postérieurement. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment des mentions portées dans la proposition de rectification du 20 décembre 2012, que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SCI Péronne sont fondés non sur les fiches de synthèse transmises par l'autorité judiciaire à cette occasion, mais sur la consultation, par l'administration fiscale, des procès-verbaux de constatation et d'audition ainsi que sur l'exploitation des scellés figurant au dossier pénal de M.B.... Or, cette consultation fait suite à l'exercice par l'administration fiscale de son droit de communication sur le fondement des dispositions de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris et du juge d'instruction en charge du dossier de M. B...aux mois de juillet et novembre 2012. En conséquence M. B...ne saurait utilement soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière en raison de l'exercice irrégulier du droit de communication par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice dès lors que les rappels en litige ne sont pas fondés sur les documents transmis à cette occasion. En tout état de cause, lorsque l'administration fiscale a usé de son droit de communication aux mois de juillet et novembre 2012, M. B...avait déjà été mis en examen par un juge d'instruction et la phase de l'instruction était ouverte à son encontre. Dans ces conditions, l'administration pouvait régulièrement fonder sa demande de communication sur le fondement des dispositions des articles L. 82 C.
4. En second lieu, la SCI Péronne soutient que le principe du droit à un procès équitable prévu à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux et de son corollaire le principe d'égalité des armes en ce qu'il exige un droit d'accès au dossier complet auraient été méconnus dès lors que l'administration fiscale a, au cours des opérations de contrôle, eu accès au dossier pénal de M. B...alors qu'elle-même n'a pu y avoir accès, faute d'être partie à ce dossier. Cependant, la SCI Péronne ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux pour mettre en cause la régularité de la procédure d'imposition dont elle a fait l'objet, quand bien même cette procédure porte sur des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que ces dispositions ne sont invocables qu'à l'occasion d'une procédure devant un tribunal et que la procédure d'établissement des droits n'est pas une procédure juridictionnelle. Au demeurant, la SCI Péronne a eu accès au dossier pénal en cause par le biais de son propre gérant et associé majoritaire, M.B..., partie à cette procédure en tant que personne poursuivie.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
5. En premier lieu, eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les dispositions de l'article L. 81 et de l'article L 82. C du livre des procédures fiscales, citées au point 2 ci-dessus ne permettent pas à l'administration fiscale de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.
6. La SCI Péronne soutient que la procédure pénale menée contre M. B...est irrégulière en ce qu'elle est fondée sur une plainte pénale de l'administration fiscale elle-même irrégulière dès lors que cette dernière repose sur des listings obtenus de manière illicite et transmis par l'autorité judiciaire à l'administration fiscale en méconnaissance des dispositions de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales. En conséquence, selon la société requérante, l'administration fiscale ne pouvait fonder les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige sur les pièces d'une procédure pénale irrégulière. Il résulte toutefois de l'instruction que le juge judiciaire, seul compétent pour se prononcer sur la régularité de la plainte de l'administration fiscale et de la procédure pénale menée contre M.B..., a, par un arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 27 novembre 2013, rejeté le pourvoi de M. B... en écartant notamment, tant le moyen de nullité tiré de l'obtention illicite des documents qui fondent les plaintes fiscales déposées, que celui tiré de la nullité de ceux-ci. Par suite, l'administration fiscale est en droit, pour établir le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SCI Péronne de se fonder sur les pièces ou documents qui figurent dans le dossier pénal ouvert à l'encontre de M.B....
7. En second lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts et de l'article 230 de l'annexe II à ce code, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture, le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
8. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a remis en cause pour la SCI Péronne le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par les sociétés Libre International Services, Pajo et Havaya, sociétés régulièrement inscrites au registre du commerce et des sociétés et assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, qui mentionnaient des travaux de réhabilitation de l'immeuble appartenant à la société requérante situé route de Biaches à Péronne. Pour refuser ce droit à déduction, l'administration fiscale fait tout d'abord valoir que la société locataire des immeubles sur lesquels les travaux facturés sont censés être intervenus a indiqué qu'il n'avait pas été réalisé de travaux sur l'immeuble en litige au cours de la période 2007-2010. L'administration fiscale fait également valoir qu'il a été retrouvé sur l'ordinateur de la personne qui assurait le secrétariat de l'ensemble des sociétés de M.B..., des factures mentionnant la nature des prestations de travaux réalisées mais sans indication de la société qui facture ces travaux. Lors de ses auditions par les services de police, cette personne a par ailleurs reconnu avoir établi des fausses factures fournisseurs à la demande de M. B...et a décrit les modalités d'établissement de ces factures à partir de papiers à en-tête de ces fournisseurs. Enfin, l'administration fiscale relève que si l'un des associés de la société nationale de froid et bâtiment (SNFB) a affirmé que cette société et la société Havaya avaient réalisé des travaux sur l'immeuble en cause en 2008 et 2009, la première de ces sociétés n'a facturé aucune prestation à la SCI Péronne et la seconde n'a adressé une facture que le 20 novembre 2010. Compte tenu de ces éléments, il appartient à la SCI Péronne de justifier de la réalité des prestations mentionnées dans les factures en cause. A cet égard, elle se borne à soutenir que l'administration fiscale se fonde uniquement sur la déposition du locataire et que ses déclarations ne sont corroborées par aucune donnée qui lui est propre. Toutefois, les éléments avancés par l'administration fiscale ne sont pas uniquement fondés sur la déposition du locataire, mais également sur des éléments internes, notamment le circuit d'établissement de fausses factures tel qu'il a été décrit aux services de police par la personne qui assurait le secrétariat de l'ensemble des sociétés de M. B.... Par suite, alors que la SCI Péronne n'apporte aucun élément de nature à justifier de la réalité des prestations de travaux sur l'immeuble en cause, l'administration fiscale était fondée à refuser la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur les factures établies par les sociétés CPS, Libre International Services, Pajo et Havaya.
Sur les pénalités :
9. La SCI Péronne soutient que l'application de la majoration de 80% pour manoeuvres frauduleuses prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge est justifiée par les mêmes faits que ceux qui servent de fondement aux poursuites pénales contre M. B...et qu'ainsi l'application de cette pénalité méconnaît le principe, garanti par l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif. Toutefois, ainsi d'ailleurs que l'a jugé la Cour de Justice de l'Union européenne dans des arrêts du 5 avril 2017, C-217/15 et C-350/15, ce moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté dès lors que les sanctions en cause ont été infligées à deux personnes juridiquement distinctes.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Péronne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Péronne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Péronne et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera transmise au directeur de la direction nationale des vérifications des situations fiscales.
4
N° 16DA01934