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13/11/2018 | FRANCE | N°18DA00474

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation à 3, 13 novembre 2018, 18DA00474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 1800333 du 19 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2018, le préfet du Nord, représenté par Me D

..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de la demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

Par un jugement n° 1800333 du 19 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2018, le préfet du Nord, représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. C...dirigées contre l'arrêté fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., se déclarant ressortissant afghan né le 1er janvier 1990 et démuni de toute pièce ou document d'identité, a été condamné par un jugement de la cour d'appel de Douai le 18 février 2016 à une peine de trois ans et six mois d'emprisonnement assortie d'une interdiction définitive de retour sur le territoire français pour aide à l'entrée et à la circulation d'étrangers en situation irrégulière. Le 12 janvier 2018, il a été interpellé par les services de police en raison de sa présence sur le territoire français en violation de l'interdiction définitive du territoire français dont il faisait l'objet. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord a fixé l'Afghanistan comme pays de destination de sa mesure d'éloignement. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 19 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (23 août 2016, J.K et autres c/ Suède, n° 59166/1228). Selon cette même cour, l'appréciation d'un risque réel de traitement contraire à l'article 3 précité doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l'éloignement du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l'intéressé (30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, paragraphe 108, série A n° 215). A cet égard, et s'il y a lieu, il faut rechercher s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination ou dans certaines régions de ce pays si l'intéressé en est originaire ou s'il doit être éloigné spécifiquement à destination de l'une d'entre elles. Cependant, toute situation générale de violence n'engendre pas un risque réel de traitement contraire à l'article 3, la Cour européenne des droits de l'homme ayant précisé qu'une situation générale de violence serait d'une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement " dans les cas les plus extrêmes " où l'intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu'un éventuel retour l'exposerait à une telle violence.

3. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, en dépit de la gravité de la situation générale en Afghanistan, rendue publique par des rapports émanant d'organisations non gouvernementales et d'instances officielles, il régnait dans cet Etat une situation de violence généralisée telle qu'un civil de nationalité afghane devait de ce seul fait être regardé comme personnellement soumis à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En revanche, il ressort des mêmes informations publiques qu'une situation de violence généralisée existe dans certaines provinces de cet Etat. Si M. C...fait valoir qu'il est originaire de la province de Nangarhar, province dans laquelle existe une situation de violence généralisée, il n'apporte à l'appui de ses allégations, aucun élément probant et vérifiable et, notamment, aucune précision d'ordre personnel quant à ses conditions de vie dans cette région, ni aucun élément relatif à ce qu'il y a lui-même vu ou subi et ne peut dès lors, eu égard au caractère succinct et peu précis de ses déclarations, être regardé comme établissant qu'il serait effectivement originaire de cette province. En outre, M. C...n'allègue pas être exposé à des risques personnels en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que la décision désignant l'Afghanistan comme pays de destination avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... contre l'arrêté du 12 janvier 2018 devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.

5. M. B...A..., chargé de mission à la préfecture du Nord, dispose d'une délégation de signature du 14 décembre 2017, par arrêté régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs du 18 décembre, à l'effet de signer la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.

6. La décision fixant le pays à destination duquel un étranger doit être éloigné en vue de l'exécution d'une mesure judiciaire d'interdiction du territoire français constitue une mesure de police qui doit être motivée en application des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. L'arrêté du 12 janvier 2018 du préfet du Nord énonce l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Ces considérations sont suffisamment développées pour mettre utilement en mesure M. C...de discuter les motifs de la décision attaquée. En particulier, le préfet du Nord n'avait pas à mentionner les dispositions de l'alinéa 4 de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, contrairement à ce que soutient M.C..., dès lors que celles-ci n'étaient pas applicables à sa situation. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation doit être également écarté.

7. L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que: " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 211-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en oeuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales ; / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; (...) ", et aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-1 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...). ".

8. La décision fixant le pays de renvoi prise par le préfet en exécution d'une décision judiciaire d'interdiction du territoire français a le caractère d'une mesure de police soumise notamment aux dispositions précitées des articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration selon lesquelles l'administration doit mettre à même la personne intéressée de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales en ayant la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. Ces dispositions n'imposent pas à l'administration d'informer l'intéressé de sa faculté de présenter des observations écrites.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. C...a été interpellé par les services de police le 12 janvier 2018 à 15h15 et a fait l'objet d'une audition par ces derniers le même jour entre 16h10 et 16h20. Lors de cette audition, pour laquelle M. C...a refusé d'être assisté d'un avocat, l'intéressé a été informé que le préfet du Nord pouvait prendre à son encontre une mesure d'éloignement à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout pays vers lequel il est admissible et a été invité à formuler des observations pour ce cas. L'intéressé a alors répondu qu'il souhaitait demeurer en France. Il lui a ensuite été demandé s'il avait quelque chose à rajouter, ce à quoi il a répondu par la négative. Dans ces conditions, M. C...a été mis à même de présenter des observations dans un délai suffisant avant la prise de la décision attaquée, qui lui a été notifiée le jour même de son édiction, à 19h30. Le requérant n'établit ni même n'allègue qu'il aurait été empêché de présenter des observations écrites. Par suite, alors que l'administration n'était pas tenue de l'informer de cette faculté de présenter des observations écrites, M. C...n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord, à qui il appartiendra d'apprécier les conditions d'exécution de son arrêté à la date à laquelle il l'exécutera et selon les principes rappelés au point 2, est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a, par le jugement attaqué, annulé l'arrêté du 12 janvier 2018 désignant le pays de renvoi de l'éloignement de M.C....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

2

N°18DA00474


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00474
Date de la décision : 13/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Grand d'Esnon
Rapporteur ?: M. Rodolphe Féral
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-13;18da00474 ?
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