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19/06/2018 | FRANCE | N°18DA00572

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, Formation plénière, 19 juin 2018, 18DA00572


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...B...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 janvier 2018 du préfet du Pas-de-Calais en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an et a procédé à son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Sche

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Par un jugement n° 1800826 du 31 janvier 2018, le magistrat désigné par le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...B...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 janvier 2018 du préfet du Pas-de-Calais en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an et a procédé à son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1800826 du 31 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 26 janvier 2018 en tant qu'il fixe le pays dont le requérant revendique la nationalité, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, comme pays de destination de la mesure d'éloignement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 mars 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B...D...dirigées contre l'arrêté du 26 janvier 2018 en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de son interpellation le 26 janvier 2018 à Calais par les services de police, M. B...D..., se déclarant de nationalité soudanaise et démuni de toute pièce ou document d'identité, a fait l'objet le même jour d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui interdisant le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an et procédant à son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 31 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays dont le requérant revendique la nationalité, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, comme pays de destination de la mesure d'éloignement.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

3. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité préfectorale, après avoir apprécié la réalité et la nature des risques dont a fait état un ressortissant étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, puisse décider que l'intéressé pourra être reconduit d'office à destination d'une région spécifique du pays dont il a la nationalité ou exclure une région de cet Etat comme destination de la mesure d'éloignement. En particulier, lorsque des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'avèrent circonscrits sur un territoire particulier d'un pays, les stipulations de cet article 3 n'empêchent pas l'autorité préfectorale de prendre en considération l'existence d'une possibilité de réinstallation dans une autre région du pays.

4. En l'espèce, le préfet du Pas-de-Calais a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement de M. B...D...comme étant " le pays dont il revendique la nationalité, exclusivement vers l'Etat de Khartoum à l'exclusion du Darfour, ou tout autre pays où il établirait être légalement admissible ". Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, l'Etat de Karthoum étant l'un des Etats fédérés du Soudan, pays dont M. B...D...revendique la nationalité, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur de droit en fixant comme " pays de destination " de la mesure d'éloignement dont M. B...D...fait l'objet une partie du territoire du Soudan. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que la décision désignant le pays de destination en cas d'exécution de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B... D...avait méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...D...contre la décision fixant le pays de renvoi devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.

6. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. M. C...A..., signataire de l'arrêté en litige, disposait d'une délégation de signature du 3 avril 2017, par arrêté régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs n° 31 du même jour, à l'effet de signer la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.

7. L'arrêté du 26 janvier 2018 énonce l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit être également écarté.

8. Pour contester la décision fixant le pays de destination, M. B...D...invoque l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire national dont il avait, dans le délai de recours contentieux, demandé l'annulation au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a écarté dans son jugement l'ensemble des moyens invoqués par le requérant à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français. M. B...D...n'a pas formé d'appel incident à l'encontre de cette partie du jugement et n'apporte aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation du premier juge sur ces moyens. Dès lors, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge d'écarter l'ensemble des moyens dirigés, par la voie de l'exception, contre la décision portant obligation de quitter le territoire national. Par suite, M. B...D...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire national à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (23 août 2016, J.K et autres c/ Suède, n° 59166/1228). Selon cette même cour, l'appréciation d'un risque réel de traitement contraire à l'article 3 précité doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l'éloignement du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l'intéressé (30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, paragraphe 108, série A n° 215). A cet égard, et s'il y a lieu, il faut rechercher s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination ou dans certaines régions de ce pays, si l'intéressé en est originaire ou s'il doit être éloigné spécifiquement à destination de l'une d'entre elles. Cependant, toute situation générale de violence n'engendre pas un risque réel de traitement contraire à l'article 3, la Cour européenne des droits de l'homme ayant précisé qu'une situation générale de violence serait d'une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement " dans les cas les plus extrêmes " où l'intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu'un éventuel retour l'exposerait à une telle violence.

10. M. B...D...s'est déclaré de nationalité soudanaise. Si, notamment au regard des informations publiques rassemblées par des organismes internationaux, la situation des droits de l'homme dans le pays peut être qualifiée d'alarmante, il n'apparaît pas qu'il y règne de manière générale une situation de violence généralisée. Il en va également ainsi dans l'Etat de Khartoum à destination duquel M. B...D...doit être éloigné. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'intéressé devrait traverser des provinces du pays dans lesquelles il peut régner une situation de violence généralisée. Dans ces conditions, M. B... D... ne peut être regardé, du seul fait de la mesure d'éloignement comme soumis à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de la situation régnant au Soudan, dans l'Etat de Khartoum ou dans certaines provinces du pays.

11. L'intéressé fait valoir, au regard des risques qu'il invoque à titre personnel, qu'il appartient à l'ethnie Masalit, ethnie non-arabe du Darfour, que sa famille a été massacrée par les milices Janjaweeds et qu'il serait exposé à des traitements contraires à l'article 3 précité en cas de retour à Khartoum en raison de cette origine ethnique et de son engagement politique supposé. Il n'a cependant jamais fait état de son origine ethnique lors de son audition devant les services de police et n'a pas fait état de risques de persécutions en raison de cette origine lorsqu'il a été informé qu'il pourrait être reconduit à destination du Soudan. M. B... D..., qui n'apporte aucun élément vérifiable à l'appui de ses allégations, n'établit pas, en outre, appartenir à l'ethnie Masalit. Au demeurant, l'intéressé n'a formulé aucune demande d'asile depuis son arrivée en France. Ainsi, M. B...D..., âgé de dix-neuf ans, célibataire, n'établit pas qu'il lui serait impossible de s'installer dans l'Etat de Khartoum en cas de retour au Soudan en l'absence de tout élément de preuve quant aux risques personnels qu'il allègue. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a, par l'article 1er du jugement attaqué, annulé la décision du 26 janvier 2018 désignant le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B...D....

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 31 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... D...devant le tribunal administratif de Lille, tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 26 janvier 2018 en tant qu'il désigne le pays dont le requérant revendique la nationalité, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, comme pays de destination de la mesure d'éloignement, est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B... D....

Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.

5

N°18DA00572


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : Formation plénière
Numéro d'arrêt : 18DA00572
Date de la décision : 19/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne.


Composition du Tribunal
Président : M. Quencez
Rapporteur ?: M. Rodolphe Féral
Rapporteur public ?: M. Riou

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-06-19;18da00572 ?
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