Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 novembre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé son placement en rétention administrative.
Par un jugement n° 1509516 du 21 novembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé, par son article 2, la décision fixant le pays de destination ainsi que celle prononçant la rétention administrative de l'intéressé et a rejeté, par son article 3, le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que, par son article 2, il a annulé la décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement en rétention administrative de l'étranger ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a estimé que M. B...était exposé à des mauvais traitements ou persécutions prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'intéressé, qui n'a au demeurant pas déposé de demande d'asile en France, ne démontre pas qu'il encourrait des menaces réelles et personnelles en cas de retour en Afghanistan ;
- la décision de placement en rétention était légalement justifiée.
La requête de la préfète du Pas-de-Calais a été communiquée le 2 février 2016 à M.B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Hadi Habchi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur les deux motifs d'annulation retenus par le magistrat désigné :
1. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M.B..., qui se déclare ressortissant afghan né le 1er janvier 1992 à Paktia, est entré en France au cours du second trimestre 2015 démuni de tout visa ou document de séjour ; qu'après avoir été interpellé le 18 novembre 2015 par le service de la police aux frontières du Pas-de-Calais, la préfète de ce département lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a prononcé son placement au centre de rétention administrative d'Oissel par un arrêté du même jour ; qu'en se bornant, devant le tribunal administratif, à faire état de l'instabilité généralisée du pays et de la situation sécuritaire en Afghanistan, et à se prévaloir des violences perpétrées contre les populations civiles, M. B...n'établit pas de manière probante qu'il serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Afghanistan ; que, sur ce point, s'il ressort des pièces du dossier que le degré de violence généralisée qui caractérise notamment la province de Paktia, située au sud-est de l'Afghanistan, a atteint un niveau de haute intensité, et donc suffisamment élevé pour que des motifs sérieux et avérés permettent de penser qu'un civil renvoyé dans la région concernée, du seul fait de sa présence sur ce territoire, encourra un risque réel de subir une menace grave, directe et individuelle, M. B...n'a pu, toutefois, justifier par ses déclarations peu circonstanciées, être originaire de la province de Paktia ; qu'il n'a, d'ailleurs, pas précisé au cours de son audition devant le service de la police aux frontières du Pas-de-Calais, sa domiciliation, ni n'a présenté de document d'identité ou de preuve d'état civil ; qu'ainsi, il ne ressort d'aucun élément probant du dossier de première instance ou d'appel que l'intéressé, qui n'a au demeurant présenté aucune demande d'asile en France, serait personnellement exposé à un risque avéré de subir des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention citée au point 1 ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli le 18 novembre 2015 plusieurs diligences auprès des autorités consulaires afghanes et du service en charge du fichier Eurodac, afin de procéder à l'éloignement de l'intéressé ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 3, pour annuler la mesure de rétention administrative dont l'étranger faisait l'objet ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant la juridiction administrative ;
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions en litige :
6. Considérant que, par un arrêté du 16 février 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. E...F..., adjoint au directeur, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. D...C..., directeur de la citoyenneté et des libertés publiques, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, et celles prononçant un placement en centre de rétention administrative ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées doit, dès lors, être écarté ;
7. Considérant que l'arrêté du 18 novembre 2015 énonce les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions d'éloignement sans délai de départ volontaire et de placement en rétention administrative prises par l'autorité administrative ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'acte attaqué doit être écarté ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
8. Considérant qu'il ne ressort pas des termes de la décision attaquée, ni des autres pièces du dossier qu'en opposant une mesure d'éloignement à M.B..., la préfète du Pas-de-Calais aurait entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que la décision d'éloignement en litige n'est pas entachée d'illégalité ;
Sur la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 9 que la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire à M. B...a été prise sur le fondement d'une obligation de quitter le territoire français légale ; que, par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision doit être écarté ;
11. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en refusant d'octroyer à l'intéressé un délai départ de volontaire, la préfète du Pas-de-Calais ait entaché sur ce point sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ce refus sur la situation personnelle de l'étranger, et ce alors même que M. B...était entré en France depuis plusieurs mois à la date de la décision en litige ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 11 que la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'illégalité ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 12 que l'étranger n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale ;
14. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que M. B...serait personnellement menacé ou exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour en Afghanistan ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés ;
Sur la décision de placement en rétention administrative :
15. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 12 que M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision de placement en rétention administrative dont il est l'objet, serait dépourvue de base légale ;
16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) " ;
17. Considérant qu'il est constant que M. B...a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 18 novembre 2015 ; que, l'intéressé n'ayant par ailleurs présenté aucun document d'identité ou de voyage valide, ni d'adresse stable ou toute pièce justifiant l'existence d'un domicile, il doit être regardé comme ne présentant pas les garanties de représentation propres à prévenir un risque de fuite ; que le placement en rétention administrative de l'étranger n'était, dès lors, pas dépourvu de toute nécessité ; que, par suite, c'est sans erreur d'appréciation que la préfète du Pas-de-Calais a prononcé à son encontre une décision le plaçant en rétention administrative ;
18. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ; et qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d 'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 551-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...) " ;
19. Considérant que le moyen tiré de ce que les dispositions nationales citées au point 18 auraient été adoptées en violation de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé ;
20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement de M. B...en rétention administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 21 novembre 2015 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et celle le plaçant en rétention administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 30 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Christian Bernier, président-assesseur,
- M. Hadi Habchi, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : H. HABCHILe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis
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N°16DA00213 3