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16/06/2016 | FRANCE | N°16DA00635

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, Formation plénière, 16 juin 2016, 16DA00635


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 14 octobre 2015 du préfet du Nord l'obligeant à quitter sans délai le territoire français à destination de son pays d'origine et le plaçant en rétention administrative.

Par un jugement n° 1508449 du 25 février 2016, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 mars 2016 et le 6 avril 2016, le préfet

du Nord, représenté par Me A...D..., demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...F...a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 14 octobre 2015 du préfet du Nord l'obligeant à quitter sans délai le territoire français à destination de son pays d'origine et le plaçant en rétention administrative.

Par un jugement n° 1508449 du 25 février 2016, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 mars 2016 et le 6 avril 2016, le préfet du Nord, représenté par Me A...D..., demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 2016.

Il soutient que :

- il était territorialement compétent pour prendre l'arrêté en litige, la situation irrégulière de M. F...ayant été constatée dans le département du Nord ;

- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.

Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à M.F..., pour lequel il n'a pas été produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant le préfet du Nord.

1. Considérant que le préfet du Nord a pris, le 14 octobre 2015, à l'encontre de M. F..., ressortissant iranien né le 1er janvier 1995, un arrêté lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français et prononçant son placement en rétention administrative ; que cet arrêté a été annulé par un jugement du 25 février 2016 du tribunal administratif de Lille ; que le préfet du Nord relève appel de ce jugement ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) " ; que selon l'article R. 512-1 du même code : " L'autorité administrative mentionnée aux articles L. 511-1 et L. 511-3-1 est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police (...) " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 611-1-1 de ce code : " Si, à l'occasion d'un contrôle (...), il apparaît qu'un étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, il peut être conduit dans un local de police ou de gendarmerie et y être retenu par un officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Dans ce cas, l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de police judiciaire met l'étranger en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis et procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires. Le procureur de la République est informé dès le début de la retenue " ;

4. Considérant que pour l'application de ces dispositions, le préfet du département dans lequel a été constatée l'irrégularité de la situation d'un étranger est compétent pour décider s'il y a lieu d'obliger l'intéressé à quitter le territoire français ; que le lieu de la vérification de cette situation, à laquelle il est procédé en application des dispositions précitées de l'article L. 611-1-1, est sans incidence sur la compétence territoriale de ce préfet ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. F...a été interpellé par les services de police le 13 octobre 2015 sur le territoire de la commune de Grande Synthe, située dans le département du Nord ; qu'à cette occasion, ainsi qu'il ressort des mentions du procès-verbal établi le même jour, les agents de la police aux frontières ont constaté l'irrégularité de sa situation, l'intéressé n'étant pas en mesure de présenter, ainsi que l'exigent les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les pièces ou documents sous le couvert desquels il pouvait être autorisé à circuler ou à séjourner en France ; que la triple circonstance que M. F...a ensuite fait l'objet, en application de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une procédure de retenue administrative aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français dans les locaux de la police nationale à Coquelles, située dans le département du Pas-de-Calais, que le procès-verbal précité y a été rédigé et que l'arrêté en litige lui a été notifié dans ces locaux, est sans incidence sur la détermination du lieu où l'irrégularité de la situation de M. F...a effectivement été constatée ; que ce constat ayant été fait dans le département du Nord, le préfet du Nord était donc territorialement compétent pour édicter une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de M. F...;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur le motif tiré de son incompétence territoriale pour annuler l'arrêté contesté du 14 octobre 2015 ; qu'il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens développés par M. F... devant le tribunal administratif ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

7. Considérant que par un arrêté en date du 29 septembre 2014, régulièrement publié le même jour au recueil spécial n° 278 des actes administratifs de la préfecture du Nord, le préfet du Nord a donné délégation à M. G...E..., directeur de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Nord, pour signer les décisions relevant de ses attributions, notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire français, refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination ou ordonnant le placement en rétention administrative ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige manque en fait et doit, dès lors, être écarté ;

8. Considérant que l'obligation de quitter le territoire français, qui n'avait pas à faire état de tous les éléments caractérisant la situation personnelle de M.F..., comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle est, par suite, suffisamment motivée ;

9. Considérant que M. F...ne saurait utilement se prévaloir directement des dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lesquelles s'adressent non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l'Union ;

Sur le pays de destination :

10. Considérant que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit, pour le motif énoncé au point 7, être écarté ;

11. Considérant que la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; qu'elle est, dès lors, suffisamment motivée ; qu'en indiquant que l'intéressé sera éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou d'un autre pays dans lequel il établit être légalement admissible, cette décision désigne avec suffisamment de précision le pays de renvoi de M.F... ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de l'obligation de quitter le territoire français ne peut être accueilli ;

13. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ;

14. Considérant que si M. F...fait valoir qu'il encourt des risques en cas de retour en Iran, où il aurait été, selon ses déclarations, emprisonné en raison de ses croyances religieuses, il ne produit toutefois aucun élément au soutien de ses allégations et, ainsi, n'établit pas qu'il serait directement et personnellement exposé à des risques de persécution en cas de retour dans son pays d'origine ; que, par suite, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord aurait méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur le délai de départ volontaire :

15. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français (...) " ;

16. Considérant que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit, pour le motif énoncé au point 7, être écarté ;

17. Considérant que la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; qu'elle est, dès lors, suffisamment motivée ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de M.F... ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de l'obligation de quitter le territoire français ne peut être accueilli ;

Sur le placement en rétention administrative :

19. Considérant que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit, pour le motif énoncé au point 7, être écarté ;

20. Considérant que la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; qu'elle est, dès lors, suffisamment motivée ;

21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de l'obligation de quitter le territoire français ne peut être accueilli ;

22. Considérant qu'en vertu de la directive du 16 décembre 2008, le placement en rétention n'est possible que si l'assignation à résidence n'est pas suffisante pour éviter le risque que l'étranger ne se soustraie à l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet ; que, toutefois, il résulte des termes mêmes de la directive que, d'une part, le placement en rétention peut trouver à s'appliquer notamment s'il existe un risque de fuite ou si l'étranger empêche la réalisation de la mesure d'éloignement et que, d'autre part, l'assignation à résidence ne doit être privilégiée que dans des cas particuliers et à condition que cette mesure puisse être appliquée efficacement ; qu'il résulte du II de l'article L. 511-1 et de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la rétention administrative de l'étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français n'est possible que s'il s'est soustrait à cette obligation ou s'il existe des éléments objectifs qui, sauf circonstances particulières, permettent à l'autorité administrative de regarder comme établi le risque qu'il s'y soustraie ; que les cas particuliers justifiant que soit prononcé un placement en rétention administrative prévus à l'article 15 de la directive précitée sont définis à l'article L. 561-2 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en outre, l'autorité administrative est tenue d'effectuer, sous le contrôle du juge, un examen de la situation de chaque étranger afin notamment d'examiner si les conditions légales permettant le placement en rétention sont réunies et si l'étranger bénéficie de garanties de représentation effectives ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas incompatibles avec les objectifs de l'article 15 de la directive du 16 décembre 2008 et ne méconnaissent pas l'exigence de proportionnalité rappelée par le 4 de l'article 8 de cette directive ainsi que son seizième considérant ; que le moyen tiré de telles incompatibilités doit, par suite, être écarté ;

23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 14 octobre 2015 ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 février 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. F...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...F....

Copie sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 11 juin 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Etienne Quencez, président de la Cour,

- M. Olivier Yeznikian, premier vice-président,

- M. Michel Hoffmann, président de chambre,

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Laurent Domingo, premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 juin 2016.

Le rapporteur,

Signé : L. DOMINGOLe président de la Cour,

Signé : E. QUENCEZ

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Marie-Thérèse Lévèque

2

N°16DA00635


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : Formation plénière
Numéro d'arrêt : 16DA00635
Date de la décision : 16/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPÉTENCE - COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE DÉCISIONS NON RÉGLEMENTAIRES - PRÉFET - OBLIGATION DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS - DÉPARTEMENT DANS LEQUEL A ÉTÉ CONSTATÉE L'IRRÉGULARITÉ DE LA SITUATION D'UN ÉTRANGER - COMPÉTENCE DU PRÉFET DE CE DÉPARTEMENT - EXISTENCE - RETENUE ADMINISTRATIVE DANS UN AUTRE DÉPARTEMENT - INCIDENCE - ABSENCE.

01-02-03-03 Le préfet du département dans lequel a été constatée l'irrégularité de la situation d'un étranger est compétent pour décider s'il y a lieu d'obliger l'intéressé à quitter le territoire français.,,,Le lieu de la vérification de cette situation, à laquelle il est procédé en application des dispositions précitées de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est sans incidence sur la compétence territoriale de ce préfet.

ÉTRANGERS - OBLIGATION DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS (OQTF) ET RECONDUITE À LA FRONTIÈRE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - COMPÉTENCE - PRÉFET DU DÉPARTEMENT DANS LEQUEL A ÉTÉ CONSTATÉE L'IRRÉGULARITÉ DE LA SITUATION D'UN ÉTRANGER - EXISTENCE - RETENUE ADMINISTRATIVE DANS UN AUTRE DÉPARTEMENT - INCIDENCE - ABSENCE.

335-03-03 Le préfet du département dans lequel a été constatée l'irrégularité de la situation d'un étranger est compétent pour décider s'il y a lieu d'obliger l'intéressé à quitter le territoire français.,,,Le lieu de la vérification de cette situation, à laquelle il est procédé en application des dispositions précitées de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est sans incidence sur la compétence territoriale de ce préfet.


Composition du Tribunal
Président : M. Quencez
Rapporteur ?: M. Laurent Domingo
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : CLAISSE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-16;16da00635 ?
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