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02/06/2016 | FRANCE | N°16DA00262

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 02 juin 2016, 16DA00262


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 20 novembre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le Soudan du Nord et exclusivement l'état de Khartoum ou tout autre pays où il établirait être légalement admissible comme pays de destination et ordonné son placement en rétention, d'autre part, de lui enjoindre de réexaminer sa situati

on et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour, sous astr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 20 novembre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le Soudan du Nord et exclusivement l'état de Khartoum ou tout autre pays où il établirait être légalement admissible comme pays de destination et ordonné son placement en rétention, d'autre part, de lui enjoindre de réexaminer sa situation et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1509562 du 24 novembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé, d'une part, la décision fixant le Soudan comme pays de destination de la mesure d'éloignement de M.A..., d'autre part, la décision ordonnant son placement en rétention, et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule les décisions fixant le pays de destination et ordonnant le placement en rétention contenues dans son arrêté ;

2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de la requête.

Elle soutient que :

- la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il appartient à M. A...de démontrer être exposé à un risque réel et personnel de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 en cas de retour au Soudan ;

- le placement en rétention est justifié eu égard à l'absence de garantie de représentation de M.A... ;

- toutes diligences ont été accomplies pour assurer l'éloignement de l'intéressé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant qu'à la suite de son interpellation, alors qu'il se trouvait sans autorisation dans l'enceinte du port de Calais, dissimulé dans la remorque d'un poids lourd, le 20 novembre 2015, M.A..., se déclarant de nationalité soudanaise, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, à destination du Soudan du Nord et exclusivement vers l'Etat de Khartoum, ou tout autre pays où il établirait être légalement admissible, et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 24 novembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ses décisions fixant le pays de destination de l'éloignement de M. A...et ordonnant son placement en rétention ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ; que ce risque doit être réel et personnel ;

3. Considérant que M. A...s'est présenté, tant lors de son audition par les services de police que dans sa demande de première instance, comme originaire de Kassala, capitale de l'Etat du Kassala, dans le nord-est du Soudan ; qu'il a soutenu dans ses écritures devant le tribunal qu'alors qu'il travaillait en tant que vendeur de fournitures scolaires dans une université, le Gouvernement l'a accusé de tenir auprès des étudiants des propos anti-gouvernementaux ; que des policiers seraient venus l'arrêter et qu'il aurait alors été emprisonné pendant vingt-cinq jours en mars 2015 ; qu'une fois libéré, il aurait fui en Lybie, d'où il aurait rejoint l'Italie puis la France ; qu'à la barre du tribunal, il a déclaré appartenir à une ethnie non arabe et vivre dans l'état du Kordofan du sud ;

4. Considérant, d'une part, que M.A..., qui se déclare dépourvu de tout document d'identité, de voyage ou de séjour, n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il est effectivement originaire de l'Etat du Kordofan du sud et appartient à une ethnie non arabe qu'il ne nomme d'ailleurs pas ; qu'il n'a fait état de ces éléments pour la première que lors de l'audience devant le tribunal ; que, d'autre part, il n'apporte aucune précision quant à ses activités d'opposant politique, non plus que ses conditions de détention et de libération ; qu'eu égard au caractère très peu circonstancié du récit de M. A... quant à ses origines et aux circonstances qui ont présidé à son départ vers l'Europe, et alors qu'il n'a déposé aucune demande d'asile ni en France, ni en Italie, et a été interpelé alors qu'il tentait de se rendre clandestinement en Grande-Bretagne, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir qu'il n'établit pas être exposé à des risques réels et sérieux de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour au Soudan ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ;

6. Considérant que les moyens tirés de l'incompétence du signataire de la décision, de son défaut de motivation et de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doivent être écartés par adoption des motifs des considérants 11, 12, 13 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille non contesté sur ces points ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé l'annulation de l'arrêté du 20 novembre 2015 en tant qu'il désigne le Soudan comme pays de destination de l'éloignement de M. A... ;

Sur la décision de placement en rétention administrative :

8. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : (...) / 6° Fait l' objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code, la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative " après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification à l'intéressé. Le procureur de la République en est informé immédiatement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 554-1 du même code : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet. " ;

9. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, qui ont notamment transposé celles de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, en particulier son article 15, que la rétention administrative a pour objet de permettre l'exécution d'office de la mesure d'éloignement ; que lorsque la rétention administrative est décidée, sur le fondement du 6° de l'article L. 551-1, à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé, la rétention administrative ne peut être légalement décidée que si l'obligation de quitter le territoire français est elle-même légale ; que la circonstance que l'autorité administrative n'ait pas fixé le pays de renvoi concomitamment à l'obligation de quitter le territoire ne fait pas par elle-même obstacle à ce que l'étranger faisant l'objet de cette obligation soit placé en rétention ; que, toutefois, au regard tant de l'objet de la mesure de placement en rétention administrative que des dispositions de l'article L. 554-1 citées ci-dessus, l'administration ne peut placer l'étranger en rétention administrative que dans la mesure où cela est strictement nécessaire à son départ et en vue d'accomplir les diligences visant à permettre une exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, notamment celles qui doivent permettre la détermination du pays de renvoi ;

10. Considérant que M.A..., qui se déclarait de nationalité soudanaise, était dépourvu de tout document d'identité lors de son interpellation ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais, qui avait à déterminer, avant de procéder à l'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, si le Soudan était le pays à destination duquel l'intéressé devait être renvoyé, a pu légalement prononcer le placement en rétention du requérant afin d'entreprendre les diligences nécessaires auprès des autorités consulaires soudanaises ; qu'il ressort d'ailleurs des pièces du dossier qu'elles ont été effectivement mises en oeuvre ; que, dès lors, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler la décision de placer M. A...en rétention ;

11. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille à l'encontre de la décision le plaçant en rétention ;

12. Considérant qu'il résulte de l'article 7 de l'arrêté n° 2015-10-57 de la préfète du Pas-de-Calais du 16 février 2015, publié au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture de Pas-de-Calais, que M. D... B..., chef de la section éloignement à la direction de la citoyenneté et des titres, a notamment reçu délégation de la préfète pour signer " les décisions de placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée de cinq jours " ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit dès lors être écarté ;

13. Considérant que la décision de placement en rétention administrative énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; qu'elle fait notamment état de l'absence de document d'identité et de résidence effective de M.A..., et du risque de fuite qui en découle ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté ;

14. Considérant que M. A...soutient que la décision de placement en rétention administrative est illégale en ce qu'elle repose sur des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus d'octroi d'un délai de départ volontaire elles-mêmes illégales ; qu'il y a lieu d'écarter cette exception par les motifs retenus par les premiers juges dans la partie non contestée du jugement concernant l'obligation de quitter le territoire et le refus de délai de départ volontaire ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 20 novembre 2015 ordonnant le placement en rétention administrative de M. A... ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 18 juin 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation des décisions du 15 juin 2015 de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays à destination duquel il sera éloigné et ordonnant son placement en rétention est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...A....

Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 juin 2016.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00262
Date de la décision : 02/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: Mme Amélie Fort-Besnard
Rapporteur public ?: M. Riou

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-02;16da00262 ?
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