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02/06/2016 | FRANCE | N°15DA01776

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 02 juin 2016, 15DA01776


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 15 septembre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, à destination du pays qui reconnaîtra sa nationalité ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, à l'exception de la région du Darfour s'il est reconnu ressortissant soudanais, et ordonné son placement en rétention, d'autre par

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 15 septembre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, à destination du pays qui reconnaîtra sa nationalité ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, à l'exception de la région du Darfour s'il est reconnu ressortissant soudanais, et ordonné son placement en rétention, d'autre part, de lui enjoindre de réexaminer sa situation et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1507499 du 23 septembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision fixant comme pays de destination de la mesure d'éloignement celui dont il revendique la nationalité, soit le Soudan, mis à la charge de l'Etat une somme de 300 euros au profit de l'avocat de M. D...et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2015, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- M. D...ne démontre pas être originaire de la région du Darfour et appartenir à l'ethnie Tama ;

- il ne démontre pas plus être exposé à un risque réel et personnel de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 en cas de retour au Soudan ;

- l'impossibilité d'une reconduite dans une autre région du Soudan que le Darfour n'est pas démontrée.

La requête a été communiquée à M. D...qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant qu'à la suite de son interpellation, le 14 septembre 2015, dans le cadre d'un contrôle d'identité réalisé par les services de la police aux frontières, M.D..., se disant ressortissant soudanais né au Darfour le 1er janvier 1990, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais du 15 septembre 2015 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français à destination du pays dont il revendique la nationalité, à l'exception de la région du Darfour, et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 23 septembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination de la mesure d'éloignement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ; que ce risque doit être réel et personnel ;

3. Considérant, d'une part, que, si M. D...fait valoir qu'il est originaire d'un village de la région de Geneina, au Darfour Ouest et qu'il est membre de l'ethnie Tama, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il avait simplement indiqué, lors de son audition par les services de police, le 15 septembre 2015, être né au Darfour, sans revendiquer une quelconque appartenance à une ethnie non arabe ; que M. D..., dont les déclarations sont peu circonstanciées, n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'il serait effectivement originaire de cette région du Soudan, et qu'il serait membre de l'ethnie Tama ; qu'en outre, et à supposer même que l'appartenance ethnique de l'intéressé soit avérée, les sources pertinentes récentes, telles que le rapport " Forgotten Darfur : Old Tactics and New Players " publié par Small Arms Survey en juillet 2012, le " rapport Unter Feinden : intrakommunale Gewalt in Darfur " publié par German Institute of Global and Area Studies (GIGA) en 2013, les rapports du Secrétaire général des Nations Unies sur l'Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour n° S/2013/22 et n° S/2014/279 des 15 janvier 2013 et 15 avril 2014, le document " Darfur - COI Compilation " publié par Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD) en juillet 2014 et des rapports " Sudan's Spreading Conflict (III) : The Limits of Darfur's Peace Process. Africa Report n° 211 " et " The Chaos in Darfur " de l'International Crisis Group (ICG) des 27 janvier 2014 et 22 avril 2015, témoignent d'une évolution de la situation et des alliances au Darfour depuis 2010 et du ralliement au Gouvernement soudanais de membres de certaines ethnies non arabes, parmi lesquelles sont citées les Tama ; que, dès lors, la seule appartenance à l'ethnie non arabe Tama ne suffit pas pour fonder des craintes personnelles de traitements inhumains et dégradants en cas de retour au Soudan ;

4. Considérant, d'autre part, que M. D...a également soutenu que les janjawids ont attaqué son village en 2010, spolié sa famille et assassiné deux de ses frères, après quoi sa famille et lui auraient fui vers le Tchad, avant d'être rattrapés par les janjawids qui auraient kidnappé certains d'entre eux ; que lui-même aurait réussi à s'échapper et rejoindre un camp au Tchad où il aurait séjourné pendant trois années ; que, néanmoins, lors de son audition par les services de police, il a déclaré avoir quitté le Soudan il y a deux ans, et non cinq, pour travailler en Lybie, où il serait demeuré deux ans, avant de rejoindre l'Italie par bateau, puis la France ; qu'il n'a alors fait aucune mention de l'attaque de son village par les janjawids, des conditions de sa fuite vers le Tchad et de son séjour dans un camp de ce pays ; que, eu égard au caractère très peu circonstancié et contradictoire du récit de M. D... quant aux conditions de son départ vers l'Europe, et en l'absence de production de tout élément au soutien de ses allégations, l'intéressé, qui n'a déposé aucune demande d'asile, n'établit pas la réalité des traitements inhumains ou dégradants ou des persécutions auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour au Soudan ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais, qui a produit pour la première fois des observations devant la cour, contestant la véracité des allégations de l'intéressé, est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2015 en tant qu'il désigne le Soudan comme pays de destination de l'éloignement de M. D... au motif qu'il aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...devant le tribunal administratif de Lille ;

7. Considérant que, par un arrêté du 16 février 2015, publié au recueil des actes administratifs spécial du département n° 16 du même jour, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. C...A..., chef du bureau de l'immigration et de l'intégration, à l'effet notamment de signer les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté ;

8. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel M. D...est éloigné, qui vise les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne l'intégralité des quatre premiers alinéas de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et indique que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle fixe le pays qui reconnaîtra sa nationalité ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible à l'exception de la région du Darfour, si M. D...est reconnu ressortissant soudanais, comme destination de la mesure d'éloignement ; qu'elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée ;

9. Considérant que, si M. D...se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement et qu'il ne conteste pas le bien-fondé de cette partie du jugement ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision fixant le Soudan comme pays de destination de l'éloignement de M.D... ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 23 septembre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision du 15 septembre 2015 de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays à destination duquel il sera éloigné est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...D....

Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 juin 2016.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01776
Date de la décision : 02/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: Mme Amélie Fort-Besnard
Rapporteur public ?: M. Riou

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-02;15da01776 ?
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