Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 10 février 2011, présentée pour M. Jean A, demeurant ..., par Me Y. Mahiu, avocat ; M. A demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801164 du 7 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision en date du 27 juin 2005 du recteur de l'académie de Rouen lui infligeant la sanction de déplacement d'office et celle en date du 29 octobre 2007 du ministre de l'éducation nationale la confirmant, après avis de la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique d'Etat, ensemble la décision en date du 5 février 2008 du ministre rejetant son recours gracieux, et d'autre part, à l'annulation de la décision en date du 18 juillet 2005 du recteur de l'académie de Rouen l'affectant au lycée de " Les Fontenelles " de Louviers, au rétablissement des points perdus dans le barème de mutation de l'éducation nationale et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) d'annuler les arrêtés en date des 27 juin et 18 juillet 2005 du recteur de l'académie de Rouen et les décisions en date du 29 octobre 2007 et 5 février 2008 du ministre de l'éducation nationale et subsidiairement de ramener à plus juste proportion la sanction prise à son encontre ;
3°) de rétablir les points perdus à son barème de mutation correspondant à vingt-deux ans d'ancienneté ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;
Vu le décret n° 72-580 du 4 juillet 1972 relatif aux statuts particuliers des professeurs agrégés de l'enseignement du second degré ;
Vu le décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement ;
Vu l'arrêté du ministre de l'éduction nationale, de la jeunesse et de la vie associative du 25 octobre 2001 et la note de service n° 2011-190 du même jour publiés au bulletin officiel spécial n° 9 du ministère de l'éduction nationale, de la jeunesse et de la vie associative du 10 novembre 2011 et relatifs à la mobilité des personnels enseignants du second degré ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Appèche-Otani, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,
- les observations de Me de Bézenac, avocat, pour M. A ;
Considérant que, par une décision en date du 27 juin 2005, le recteur de l'académie de Rouen a prononcé à l'encontre de M. A, professeur agrégé de lettres classiques au collège Paul Eluard de Saint-Etienne-du-Rouvray, la sanction du déplacement d'office et l'a affecté par un arrêté en date du 18 juillet 2005 au lycée " Les Fontenelles " de Louviers ; que le requérant a, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat, saisi la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique d'Etat, laquelle a émis le 11 septembre 2007 l'avis de substituer la sanction de blâme à celle du déplacement d'office ; que, par une décision en date du 29 octobre 2007, le ministre de l'éducation nationale a décidé de maintenir la sanction du déplacement d'office, décision confirmée le 5 février 2008 sur recours gracieux de l'intéressé ; que M. A relève appel du jugement du 7 décembre 2010 du tribunal administratif de Rouen rejetant sa demande tendant à l'annulation des décisions prononçant la sanction de déplacement d'office ainsi que celle l'affectant au lycée " Les Fontenelles " ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la sanction de déplacement d'office :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. - Premier groupe : l'avertissement ; le blâme. - Deuxième groupe : la radiation du tableau d'avancement ; l'abaissement d'échelon ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; le déplacement d'office (...) " ; qu'aux termes de l'article 14 du décret du 4 juillet 1972 susvisé : " Les sanctions disciplinaires des premiers et deuxième groupe définies à l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 susvisé sont prononcées par le recteur d'académie pour les professeurs agrégés de l'enseignement du second degré affecté dans des établissements ou services placés sous l'autorité du directeur " ;
Considérant que la sanction du déplacement d'office prise à l'encontre de M. A a été infligée pour les motifs suivants : " violences physiques à l'égard d'élèves ", " manquements à ses obligations de correction et de tenue dans ses propos à l'égard d'élèves ", " manquements à l'obligation de surveillance, de prudence et de vigilance à l'égard d'élèves " et " manquements à sa mission de face à face pédagogique et de suivi individuel à l'égard des élèves " ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, professeur de lettres, a tiré et pincé les oreilles d'élèves de sixième qui perturbaient la classe, a donné des tapes sur la tête de certains de ces élèves avec un livre ou le plat de la main ; que dans certains cas, le requérant avait pour pratique d'assigner aux élèves perturbateurs une place entre deux élèves réputées calmes et de demander à celles-ci de leur tirer l'oreille ou de leur donner une tape s'ils persistaient à troubler le calme de la classe ; qu'en revanche, si les pièces du dossier démontrent le caractère habituel et répété de ces pratiques, elles ne permettent pas de tenir pour établi que M. A aurait infligé de véritables violences ou sévices physiques à ses élèves ; que notamment, si le ministre soutient qu'à la suite de plaintes déposées par des parents d'élèves et dont il est constant qu'elles n'ont pas eu de suite pénale, le délégué du procureur de la République a procédé au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi, cette circonstance, à la supposer établie, ne saurait davantage démontrer l'existence de violences plus sérieuses faites aux élèves par M. A ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort également des pièces du dossier que M. A a procédé de manière récurrente à l'exclusion d'élèves perturbateurs qu'il consignait individuellement soit dans un local contigu à la salle de classe et doté d'une table et d'une chaise avec instruction d'y effectuer un exercice scolaire, soit dans la cour de l'école ; que si le requérant fait valoir que ce local était attenant à la salle de classe et que la cour était visible depuis les baies éclairant la salle de classe, il ne pouvait tout en continuant d'assurer son cours auprès des élèves restés en classe, effectuer une surveillance complète des élèves ainsi exclus ; qu'en outre, en usant de ce procédé au lieu d'informer par écrit, de la nécessité dans laquelle il se trouvait d'exclure ces élèves indisciplinés, le conseiller principal d'éducation ainsi que le chef d'établissement et de demander à ces derniers d'en assurer la prise en charge, et d'engager le cas échéant les procédures disciplinaires qu'appelaient ces comportements, M. A n'a effectivement pas pleinement satisfait à ses obligations de surveillance, de prudence et de vigilance à l'égard d'élèves ;
Considérant en troisième lieu, qu'il est reproché à M. A des " manquements à ses obligations de correction et de tenue dans ses propos à l'égard d'élèves " au motif qu'il se livrait en classe à des plaisanteries ou jeux de mots faits à propos de certains élèves en présence de l'ensemble de leurs camarades ; que si, eu égard au jeune âge des élèves et à l'absence de portée éducative de ces agissements, ils peuvent être tenus pour fautifs, il est néanmoins constant que les propos de M. A n'ont jamais revêtu de caractère grossier, injurieux ou humiliant ;
Considérant que s'il ressort des pièces du dossier que M. A n'a eu le comportement susindiqué qu'au sein d'une classe de sixième de l'établissement scolaire situé en zone d'éducation prioritaire où il exerçait ses fonctions et non dans l'ensemble des classes au sein desquelles il enseignait et que cette classe comportait deux élèves particulièrement indisciplinés et avait, selon M. A qui n'est pas contredit sur ce point, été le cadre de violences entre élèves ayant conduit à des blessures telles qu'entorse de la cheville et fracture du nez, ce comportement de l'intéressé pouvait néanmoins être regardé comme excédant le droit de correction des élèves et comme inapproprié eu égard notamment à l'obligation de surveillance et de prudence à l'égard des élèves à laquelle il est tenu ;
Considérant, en quatrième lieu, que s'il est fait grief à M. A d'avoir manqué à " sa mission de face à face pédagogique et de suivi individuel à l'égard des élèves ", ce grief n'est pas corroboré par les pièces du dossier alors que, notamment, M. A a fait régulièrement l'objet d'inspections pédagogiques, la dernière durant l'année scolaire en cause et que celles-ci n'ont pas abouti à de telles conclusions puisque M. A est considéré comme un enseignant fiable, consciencieux et exigeant, qui a le souci constant de l'efficacité de son enseignement ; que la seule circonstance que deux élèves d'une classe de sixième aient été régulièrement exclus de la classe, à raison de leur comportement perturbateur, ne saurait démontrer que ces élèves auraient, à raison de manquements imputables à leur professeur, lequel était tenu d'accomplir sa mission d'enseignement auprès de la classe, été privés d'un face à face pédagogique et d'un suivi individuel ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que les agissements susanalysés reprochés à M. A et dans la mesure précisée ci-dessus où ils peuvent être tenus pour établis, étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire ; que toutefois, M. A, professeur depuis 1977, enseignait en zone d'éducation prioritaire au collège Paul Eluard de Saint-Etienne-de-Rouvray depuis 1993, d'abord comme professeur certifié puis agrégé à compter de 1996, et cela sans qu'aucun fait antérieur passible de sanction disciplinaire puisse, en tout état de cause, être relevé à son encontre ; que dès lors, le recteur de l'académie de Rouen en décidant d'infliger à l'intéressé la sanction de mutation d'office, sanction du deuxième groupe, et le ministre, en confirmant cette sanction en dépit de l'avis émis par la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, ont pris, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, une sanction manifestement disproportionnée ;
Considérant qu'il suit de là que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a refusé de faire droit à sa demande tendant d'une part, à l'annulation de la décision du 27 juin 2005 du recteur de l'académie de Rouen lui infligeant la sanction de déplacement d'office, ainsi que de celle du 29 octobre 2007 du ministre de l'éducation nationale maintenant cette sanction, ensemble de la décision ministérielle du 5 février 2008 rejetant le recours gracieux exercé par lui et d'autre part, à l'annulation de la décision du recteur de l'académie de Rouen du 18 juillet 2005 l'affectant, en conséquence de cette sanction, au lycée " Les Fontenelles " de Louviers ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que la présente décision annule la sanction disciplinaire de mutation d'office prononcée à l'encontre de M. A et la décision affectant en conséquence celui-ci au lycée " Les Fontenelles " de Louviers ; que du fait de ces annulations, ces décisions sont réputées ne jamais être intervenues et M. A se retrouve placé dans la situation administrative qui aurait été la sienne si ces décisions n'avaient jamais existé ; que toutefois, en l'absence de valeur réglementaire des dispositions déterminant les modalités de calcul des points du barème de mutation des personnels de l'éducation nationale, lequel n'a qu'un caractère indicatif, la cour ne peut, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative enjoindre à l'administration d'allouer à M. A le quantum de points qu'il revendique à ce titre ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0801164 du 7 décembre 2010 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les décisions en date des 27 juin et 18 juillet 2005 du recteur de l'académie de Rouen et les décisions en date des 29 octobre 2007 et 5 février 2008 du ministre de l'éducation nationale sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera à M. A une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean A et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
Copie sera adressée au recteur de l'académie de Rouen.
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N°11DA00218 2