Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. et Mme Philippe A, agissant pour eux-mêmes et leurs enfants mineures Samantha et Alyson, demeurant ..., et pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE, dont le siège social est situé 1bis place Saint Taurin à Evreux cedex (27030), par la SCP Julia, Jegu, Bourdon ; ils demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0702803 du 12 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande ;
2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à verser une somme de 40 000 euros à M. et Mme A et de 10 000 euros à chacun de leurs deux enfants au titre de leur préjudice moral, outre 1 570,40 euros de préjudice matériel ;
3°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE une somme de 2 912,91 euros en remboursement de ses débours, outre 966 euros d'indemnité forfaitaire de gestion ;
4°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à verser, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à M. et Mme A et de 1 000 euros à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE ;
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Perrine Hamon, premier conseiller, les conclusions de M. Patrick Minne, rapporteur public, et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Le Masne de Chermont pour M. et Mme A et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE ;
Considérant que Mme Sandrine A a donné naissance, le 28 avril 2003 au centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil, à une petite fille prénommée Jennifer ; qu'après qu'ait été constatée une très faible distance vulvo-anale, les services du centre hospitalier ont autorisé la sortie de la mère et de l'enfant, sans préconisation ni soins particuliers ; que, suite à une dégradation de son état général, l'enfant a été admise au service des urgences du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil le 6 mai 2003 ; qu'après un examen et des conseils de soins, elle a été autorisée à regagner le domicile de ses parents ; que, suite à une nouvelle aggravation le 7 mai suivant, elle a été conduite au service des urgences du centre hospitalier d'Evreux où, devant l'état critique qu'elle présentait, il a été décidé de la transférer au centre hospitalier universitaire de Rouen au sein duquel, malgré une opération réalisée le 8 mai 2003, elle est décédée le 10 mai 2003 ; que M. et Mme A et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE relèvent appel du jugement du 12 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à les indemniser des préjudices résultant pour eux, ainsi que pour les soeurs mineures de Jennifer, du décès de l'enfant ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise régulièrement menée dans le cadre de l'instance pénale diligentée par M. et Mme A, que lors de l'examen anatomique suivant la naissance de l'enfant, pratiqué par une sage femme, il a été consigné dans son dossier une très faible distance entre la vulve et l'anus ; que cette première constatation d'une anomalie possible n'a donné lieu, au sein du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil, ni à un examen plus poussé de la part d'un médecin avant la sortie de la maternité, ni à la recherche d'une éventuelle malformation lors de la présentation de l'enfant au service des urgences le 6 mai 2003, où il avait pourtant été constaté des douleurs et des difficultés d'émission des selles ; que l'expert précise en outre que le diagnostic de la malformation dont était atteinte l'enfant peut être posé au moyen de quelques examens simples à réaliser ; que, dans ces circonstances, nonobstant le caractère rare d'une telle malformation chez une fillette, et l'émission de faibles quantités de méconium puis de selles, l'absence de diagnostic de la malformation anale de l'enfant présente un caractère fautif, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil ;
Sur les préjudices :
Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et du rapport d'expertise susmentionné, que la malformation anale dont était atteinte Jennifer A pouvait sans difficultés donner lieu, après un diagnostic adéquat, à une reprise chirurgicale dont les suites sont habituellement simples et le pronostic très satisfaisant ; que, dès lors, la faute commise par le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil a fait perdre à l'enfant une chance sérieuse de bénéficier d'une reprise chirurgicale et de ne pas décéder des suites de sa malformation ; que, compte tenu de la simplicité des suites d'une telle reprise, la fraction des préjudices résultant de son décès qui doit être mise à la charge du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil doit être fixée, en l'espèce, à 90 % ;
Considérant, en conséquence, que, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE et M. et Mme A sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à les indemniser, à hauteur de 90 %, des préjudices résultant pour eux, et pour les enfants mineures Samantha et Alyson A, du décès de Jennifer ;
En ce qui concerne le préjudice patrimonial :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, que les frais d'hospitalisation de l'enfant, du 7 au 10 mai 2003, exposés par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE et qui sont la conséquence directe de la faute commise, s'élèvent à la somme de 2 912,91 euros ;
Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'alinéa 9 de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ; que l'arrêté du 10 novembre 2010 a porté, à compter du 1er janvier 2011 à 980 euros et 97 euros, respectivement, les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion visée notamment à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE est fondée à demander l'allocation de l'indemnité forfaitaire prévue par ces dispositions, soit un tiers de la somme de 2 621,62 euros ; qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à lui verser la somme de 873 euros ;
Considérant, en second lieu, que les frais d'obsèques supportés par M. et Mme A s'élèvent à la somme non contestée de 1 570,40 euros ;
En ce qui concerne le préjudice personnel :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. et Mme A du fait du décès de leur enfant en condamnant le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à leur verser à chacun, compte tenu du pourcentage susmentionné, la somme de 15 000 euros ; que la réparation du préjudice moral subi par les enfants Samantha et Alyson A, âgées respectivement de quatre et deux ans à la date du décès de leur soeur, peut être justement évaluée à la somme, pour chacune, de 3 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu du pourcentage de perte de chance subi, il y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE une somme de 2 621,62 euros, outre l'indemnité forfaitaire de gestion, et à M. et Mme A, en leur nom propre et au nom de leurs enfants, une somme totale de 33 813,36 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A et non compris dans les dépens ;
Considérant que, pour les mêmes motifs, il y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE la somme de 1 000 euros qu'elle demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0702803 du Tribunal administratif de Rouen, en date du 12 juillet 2010, est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil est condamné à verser à M. et Mme A, agissant pour eux-mêmes et pour le compte de leurs enfants mineures Samantha et Alyson, une somme totale de 33 813,36 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil est condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE une somme de 2 621,62 euros.
Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil est condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE une somme de 873 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 5 : Le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil est condamné à verser à M. et Mme A une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil est condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A et de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Philippe A, à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE et au centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil.
''
''
''
''
2
N°10DA00939