Vu la requête, enregistrée le 23 juillet 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Koba X, incarcéré à la Maison d'arrêt de Rouen, 169 boulevard de l'Europe à Rouen (76100), par Me Chauvel ; M. X demande au président de la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0801737, en date du 23 juin 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juin 2008 du préfet de la Seine-Maritime prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant la Géorgie comme pays de destination de cette mesure ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ledit arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X soutient :
- que tant l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué que le jugement dont appel ont méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont entachés d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard de ces dispositions ; qu'en effet, l'exposant est atteint d'une hépatite C, qui constitue une pathologie sérieuse, susceptible d'induire des complications particulièrement graves ; que la réalité de son état de santé est attestée par plusieurs médecins, qui confirment, en outre, qu'il suit un traitement régulier dont l'interruption pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, son pronostic vital étant susceptible d'être alors engagé ; qu'il conteste pouvoir bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Géorgie, ce qu'il appartient à l'administration de démontrer ;
- que, dans ces circonstances, le préfet de la Seine-Maritime n'a pu sans erreur de droit prononcer à son égard une mesure de reconduite à la frontière sans avoir préalablement recueilli l'avis du médecin inspecteur de la santé publique ;
- qu'eu égard aux risques qu'il encourt dans son pays d'origine, que son père et lui ont fui alors qu'il était encore mineur et où sa mère et sa grand-mère ont été assassinées, la désignation du pays de renvoi est entachée, alors même que la demande d'asile que son père avait formée dans son intérêt a été rejetée, d'illégalité ;
Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;
Vu l'ordonnance en date du 4 août 2008 par laquelle le président délégué de la Cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 30 septembre 2008 ;
Vu les pièces du dossier desquelles il ressort que le préfet de la Seine-Maritime a reçu communication de la requête susvisée et n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 novembre 2008 :
- le rapport de M. André Schilte, président de la Cour ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par arrêté en date du 15 juin 2008, le préfet de la Seine-Maritime a décidé de reconduire M. X, ressortissant géorgien, né le 25 décembre 1987, et entré en France, selon ses déclarations, au cours de l'année 2004, à la frontière en se fondant sur les dispositions du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a désigné la Géorgie comme pays de destination de cette mesure ; que M. X forme appel du jugement, en date du 23 juin 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Ne peuvent faire l'objet (...) d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi » ; qu'aux termes de l'article R. 511-1 du même code : « L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues aux deux premiers alinéas de l'article R. 313-22 » ; qu'aux termes de l'article R. 313-22 du même code : « (...) Le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu de l'avis émis par le médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l'intéressé (...). L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la population et des migrations, du ministre chargé de la santé et du ministre de l'intérieur, au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine de l'intéressé (...) » ; qu'enfin, l'arrêté du 8 juillet 1999 pris pour l'application de ces dernières dispositions prévoit que le médecin inspecteur de la santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales émette un avis précisant si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement médical approprié dans son pays, quelle est la durée prévisible du traitement, et indiquant si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers le pays de renvoi ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elles prévoient des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du médecin inspecteur de la santé publique ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et, notamment, d'un certificat médical établi le 23 mai 2008 qu'il verse au dossier, que M. X est atteint d'une hépatite C chronique nécessitant un suivi médical et un traitement médicamenteux réguliers durant au moins une année ; qu'il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime, qui n'a pas sérieusement contesté la réalité de cet état de santé, était en possession d'un certificat médical, daté du 18 juin 2004, qu'il a produit devant le premier juge et qui faisait déjà mention de la pathologie de l'intéressé et de la nécessité pour lui de suivre un traitement ; que M. X avait, en outre, dans le cadre d'une précédente instance concernant un arrêté de reconduite à la frontière antérieurement pris à son égard par le préfet de la Seine-Maritime, fait état de la pathologie dont il demeure atteint ; qu'ainsi, le préfet, qui doit être regardé, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme ayant eu une connaissance suffisante de la nature et de la gravité des troubles dont souffrait M. X, lequel résidait habituellement en France au sens des dispositions précitées, était tenu, alors même que l'intéressé n'a pas sollicité un titre de séjour en invoquant son état de santé, d'obtenir préalablement au prononcé de l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué l'avis du médecin inspecteur de la santé publique, aux fins notamment de s'assurer que le défaut de prise en charge médicale de la pathologie de M. X ne serait pas susceptible d'entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et d'être informé sur les possibilités d'accès effectif à un traitement médical approprié dans son pays d'origine ; qu'ainsi, cet arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions réglementaires précitées, prises pour l'application de l'article
L. 511-4-10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il doit, dès lors, être annulé, de même, par voie de conséquence, que la désignation du pays de renvoi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 15 juin 2008 prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant le pays de destination de cette mesure ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ;
Considérant que la présente décision, qui annule l'arrêté de reconduite à la frontière pris par le préfet de la Seine-Maritime à l'égard de M. X, au motif que ledit arrêté a été pris sur une procédure irrégulière au regard des dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'implique pas qu'un titre de séjour soit délivré à l'intéressé ; qu'elle implique, en revanche, que M. X soit muni d'une autorisation provisoire de séjour et qu'il soit procédé à un nouvel examen, dans un délai d'un mois à compter de sa notification, de la situation de M. X au regard du droit au séjour et, en particulier, que l'avis du médecin inspecteur de la santé publique soit recueilli ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par
M. X et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0801737 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen, en date du 23 juin 2008, et l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime, en date du 15 juin 2008, décidant de reconduire M. X à la frontière et désignant le pays de destination de cette mesure sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. X et de procéder à un nouvel examen de sa situation administrative au regard du droit au séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à M. X la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Koba X et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
N°08DA01150 2