Vu la requête, enregistrée par télécopie le 31 octobre 2006 et régularisée par la production de l'original le 3 novembre 2006, présentée pour M. Guy X, demeurant ..., par la SCP Delcroix-Desbuissons ; M. X demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0204854 du 22 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à lui verser en réparation du préjudice résultant de la durée anormalement longue de sa suspension une indemnité de 3 000 euros qu'il estime insuffisante ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 296 896,31 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la réception, le 27 juillet 2002, de sa demande préalable, en réparation du préjudice moral et financier qu'il a subi, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de
2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que le partage de responsabilités opéré par les premiers juges est erroné ; qu'il a multiplié les démarches pour abréger la mesure de suspension ; que cette mesure est la cause directe de son préjudice financier ; qu'il a ainsi été privé de revenus provenant des gardes et astreintes, d'un montant de 30 140,31 euros de février 1995 à août 2003, et de son activité libérale d'un montant de 30 140,31 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2007, présenté par le ministre de la santé, de la jeunesse et des sports qui conclut au rejet de la requête ; à cette fin, il fait valoir que le requérant ne justifie pas de ses démarches en vue d'abréger sa suspension ; qu'il n'établit pas le préjudice moral dont il aurait été victime ; qu'en ce qui concerne son préjudice financier, l'exercice d'une activité libérale n'est pas un droit ; qu'en tout état de cause, si la procédure de constatation de son insuffisance professionnelle avait été menée à son terme, il n'aurait pu continuer à exercer cette activité libérale au centre hospitalier de Béthune ; que son traitement lui a été maintenu ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 28 mars 2004, présenté pour M. X tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; il soutient en outre que sa manière de servir était à l'abri de tout reproche ; que les rapports d'expertise tendant à sa suspension ne sont pas dignes de foi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique, et notamment ses articles L. 6154-79 et -80 ;
Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 avril 2008 à laquelle
siégeaient M. Jean-Claude Stortz, président de chambre, Mme Marie-Christine Mehl-Schouder, président-assesseur et M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller :
- le rapport de M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X, praticien hospitalier au centre hospitalier de Béthune, a fait l'objet, en vertu d'un arrêté du 30 janvier 1995 du ministre de la santé, d'une mesure de suspension de fonctions à raison de l'ouverture, le jour même, d'une procédure d'insuffisance professionnelle ; que M. X demande la réformation du jugement par lequel le Tribunal administratif de Lille, tout en retenant la faute résultant de la durée anormalement longue de cette mesure, a estimé que l'inaction du demandeur pendant ce temps exonérait l'Etat des deux-tiers de sa responsabilité et limitait la réparation du préjudice à la somme de 3 000 euros que le requérant estime insuffisante ;
Sur le principe et l'étendue de la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 72 du décret susvisé du 24 février 1984, devenu l'article R. 6152-79 du code de la santé publique : « Le praticien hospitalier qui fait preuve d'insuffisance professionnelle fait l'objet soit d'une modification de la nature de ses fonctions, soit d'une mesure de licenciement avec indemnité. Ces mesures sont prononcées par arrêté du directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, après avis de la commission statutaire nationale siégeant dans les conditions fixées par l'article R. 6152-80(...) » ; et qu'aux termes de l'article 73 du même code : « Lorsque l'intérêt du service l'exige, le praticien qui fait l'objet d'une procédure (d'insuffisance professionnelle) peut être suspendu en attendant qu'il soit statué sur son cas. Il conserve, pendant la durée de sa suspension, la totalité de sa rémunération » ;
Considérant que si M. X était en droit d'obtenir qu'il soit statué dans un délai raisonnable sur son cas, l'administration n'a pas commis de faute en prolongeant sa suspension jusqu'au 30 juillet 1998, date à laquelle la Cour d'appel de Douai a rendu son arrêt sur les poursuites pénales exercées à son encontre pour des fautes commises dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en revanche, le requérant est fondé à soutenir que la durée anormalement longue de cette mesure pour la période écoulée entre cet arrêt devenu définitif et le 1er septembre 2003, date à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Béthune ;
Sur les préjudices :
Considérant que M. X fait valoir que la mesure de suspension lui a causé un préjudice financier, lié à la perte de la rémunération de ses gardes et astreintes au centre hospitalier de Béthune et à l'impossibilité d'exercer son activité libérale ;
Considérant, d'une part, qu'en l'absence de service fait, le requérant ne peut prétendre au paiement de ces gardes et astreintes ;
Considérant, d'autre part, que si, comme il a été dit, l'administration a engagé sa responsabilité en s'abstenant de réunir la commission statutaire nationale conformément aux dispositions précitées du code de la santé publique, il n'est pas établi, en raison des faits reprochés aux praticiens, qu'à l'issue de la procédure engagée, il aurait été réintégré et aurait pu ainsi exercer l'activité libérale permise sous conditions aux praticiens hospitaliers à temps plein dans les établissements publics de santé ; que, par suite, le requérant, qui a perçu son traitement jusqu'au 1er septembre 2003, n'établit pas le caractère certain du préjudice financier résultant de la durée anormalement longue de la mesure de suspension ;
Considérant qu'à l'appui de ses conclusions à l'indemnisation de son préjudice moral, le requérant se prévaut du rapport d'expertise du 28 juillet 1995 et de diverses attestations de son entourage, établissant qu'il a regardé cette mesure comme une atteinte injustifiée à son honneur professionnel et qu'elle a causé un trouble dans ses conditions d'existence, en le réduisant à l'inactivité ; mais que, d'autre part, il résulte de l'instruction qu'avant même sa suspension, la mise en cause de ses compétences découlait des protestations du personnel, des réserves de la direction du centre hospitalier de Béthune, qui ont conduit à ne pas le reconduire dans ses fonctions de chef de service en 1992, et des poursuites pénales mentionnées ci-dessus pour des faits jugés en appel non détachables du service ; que, de plus, le requérant a bénéficié, ainsi qu'il a été dit, du maintien de son traitement intégral ; qu'enfin, en se bornant à adresser un recours le 14 mars 1995 au ministre chargé de la santé tendant à l'annulation de la mesure litigieuse, et deux lettres aux fins d'obtenir communication de son dossier, datant du 25 novembre 2002 et du 11 juin 2003, cette dernière étant d'ailleurs postérieure à sa mise à la retraite, M. X n'a pas entrepris les démarches propres à abréger cette suspension ; que, dans ces conditions, il a contribué, par son inaction, à la prolongation de la mesure dont il demande réparation ; que le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'Etat a été à tort exonéré des deux-tiers de sa responsabilité et que l'indemnité qui lui a été accordée est d'un montant insuffisant ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a atténué la responsabilité de l'administration et ne lui accordé qu'une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Guy X et au ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
Copie sera transmise au directeur de l'administration des ressources humaines du centre hospitalier de Béthune.
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N°06DA01454