Vu l'ordonnance du 25 juillet 2006, enregistrée le 4 septembre 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai sous le n° 06DA01220, par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour administrative d'appel de Douai, la requête présentée pour Mlle Isabelle X, demeurant ..., par la SCP Waquet-Farge-Hazan ;
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au Conseil d'Etat les 28 février et 28 juin 2006 et, au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, le 4 septembre 2006, présentés pour Mlle Isabelle X, demeurant ..., par la SCP Waquet-Farge-Hazan ; Mlle X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0406090 du 8 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du
23 septembre 2004 par laquelle le directeur du centre hospitalier d'Arras l'a suspendue de ses fonctions de praticien hospitalier, chef du service de cure médicale ;
2°) d'annuler la décision du 23 septembre 2004 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arras une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que le jugement attaqué ne répond pas à tous les moyens invoqués en première instance ; qu'il est, dans ces conditions, insuffisamment motivé, et, par suite, entaché d'irrégularité ;
- que la décision de suspension prise par le directeur du centre hospitalier d'Arras le
23 septembre 2004 est entachée d'incompétence ; que l'article 68 du décret n° 84-131 du
24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, alors en vigueur et seul applicable contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal à la suite d'une erreur matérielle, donne au ministre chargé de la santé le pouvoir de suspendre un praticien qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire ; que les dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ne donnent au directeur du centre hospitalier, qui n'a pas de pouvoir hiérarchique à l'égard des praticiens hospitaliers, le pouvoir de prononcer leur suspension que lorsque certaines conditions sont remplies, tenant à l'existence de circonstances exceptionnelles, à une situation d'urgence, à la nécessité d'assurer la continuité du service public et à l'information immédiate de l'autorité compétente pour prononcer la nomination ; qu'en l'espèce le Tribunal a fait une application erronée de ces exceptions ; qu'il ne comprend aucune précision dans ses visas, motifs ou considérants, qui permettrait d'établir que le directeur aurait informé immédiatement l'autorité compétente de la mesure de suspension qu'il avait prise et que cette information n'est pas plus établie par les pièces du dossier ; que la condition d'urgence ou encore les risques de paralysie du service ou d'une atteinte grave et imminente à la continuité du service ou d'une atteinte à la sécurité des patients qui résulteraient du comportement personnel de la requérante ne sont pas non plus établis ; que le jugement ne fait au demeurant même pas état de cette dernière condition puisqu'il se borne à faire état d'un risque, purement éventuel, de perturbation du fonctionnement du service et de mise en cause corrélative de la sécurité des soins ; que ni les erreurs d'appréciation sur les faits imputés aux personnes mises en examen, les carences de management ou encore le retard à signer des certificats de décès et la remise en ordre des dossiers des patients, à les supposer établis, ni encore le bref placement de Mlle X en garde à vue, ne suffisent à établir que les conditions susmentionnées seraient remplies ;
- que la décision de suspension est entachée d'une erreur d'appréciation ; que les plaintes des membres du personnel du service que dirigeait Mlle X et la falsification du contenu de dossiers médicaux, à la supposer établie, ne mettaient pas en danger les patients ou la continuité du service public de la santé ; que l'urgence à prononcer une mesure de suspension n'est pas avérée, en l'absence d'atteinte portée à la sécurité des malades et de risque de paralysie du fonctionnement du service ; que la décision litigieuse a été notifiée le 23 décembre 2004, en fin de soirée, alors que la garde à vue avait cessé dès le milieu de l'après-midi et que, selon les stipulations de l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; que ces dernières stipulations ont été, par suite, méconnues par le Tribunal ; que la décision se fonde sur la procédure judiciaire diligentée à son encontre, alors pourtant que Mlle X n'a fait l'objet d'aucune poursuite liée aux faits de maltraitance à l'origine de deux mises en examen d'agents de son service et que sa propre mise en examen n'interviendra que le 5 novembre 2004, pour des faits distincts liés à l'altération frauduleuse de la vérité dans un écrit ; que la suspension des fonctions de Mlle X sera prononcée le 5 novembre 2004 par le ministre, à titre conservatoire et jusqu'à l'issue de la procédure pénale ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 15 mars 2007 et régularisé par la production de l'original le 16 mars 2007, présenté pour le centre hospitalier d'Arras, dont le siège est 57 avenue Winston Churchill à Arras (62022), représenté par son directeur en exercice, par Me Houdart ; il conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mlle X au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Le centre hospitalier d'Arras soutient :
- qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête ; que les effets de la suspension prise à titre conservatoire par le directeur ont pris fin le 16 mars 2005, date de la décision de suspension du ministre de la santé et des solidarités ; que la procédure ne présente en outre pas d'intérêt particulier pour la requérante puisque, d'une part, elle a continué à percevoir sa rémunération et, d'autre part, elle a été réintégrée en qualité de praticien hospitalier, le 11 septembre 2006, dans le service de soins de suite et de réadaptation du docteur Derrien ;
- que le directeur du centre hospitalier, agissant dans le cadre des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, était compétent pour prendre, à titre conservatoire, la mesure de suspension contestée ; que les conditions dans lesquelles la jurisprudence enserre l'exercice de ce pouvoir sont réunies ; qu'il a averti tant les organes de tutelle locaux que l'administration centrale, autorité de nomination du praticien hospitalier ; qu'une réunion a été organisée par le préfet le 23 septembre 2004, avec le directeur de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), en liaison avec l'agence régionale de l'hospitalisation et le ministère ; qu'une copie de la décision de suspension, rédigée après avoir pris l'avis d'un membre de la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins du ministre de la santé, a été transmise par télécopie dès le 24 septembre 2004 tant au directeur de la DDASS qu'au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation ; que la condition relative à l'existence de circonstances exceptionnelles est remplie, l'intéressée étant susceptible d'avoir modifié le contenu de dossiers médicaux, d'en avoir détruit et d'avoir falsifié la date du décès de patients alors qu'une information judiciaire avait été ouverte après signalement de faits de maltraitance à l'encontre de résidents de la maison de retraite, et qu'elle a d'ailleurs été placée en garde à vue à ce titre ; que l'urgence commandait que l'intéressée, dont la garde à vue avait pris fin, ne réintègre pas le service ; que, par ailleurs, les faits reprochés induisaient une perte d'autorité et de légitimité du praticien, chef de service du centre de cure Pierre Brunet, et, par suite, une perte de confiance du personnel et des cadres de santé ; que, dans ces conditions, le retour de l'intéressée aurait nuit gravement à la continuité du service ; que les faits reprochés, qui présentaient un caractère suffisant de vraisemblance pour justifier la mesure de suspension, sont, enfin, de nature à mettre en péril la sécurité des patients, les exigences liées à une transmission des données indispensables à une prise en charge de qualité et sécurisées par des dossiers médicaux fiables étant en cause ;
- que la décision de suspension, qui ne constitue pas une sanction disciplinaire et ne préjuge ni de cette responsabilité disciplinaire ni de la responsabilité pénale éventuelle, ne peut méconnaître les stipulations de l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 28 mars 2008 et régularisé par la production de l'original le 31 mars 2008, présenté pour Mlle X, et tendant aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, abrogé par le décret n° 2005-840 du 20 juillet 2005 relatif à la sixième partie du code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 avril 2008 à laquelle
siégeaient M. Jean-Claude Stortz, président de chambre, Mme Marie-Christine Mehl-Schouder, président-assesseur et M. Alain de Pontonx, premier conseiller :
- le rapport de Mme Marie-Christine Mehl-Schouder, président-assesseur ;
- les observations de Me Weppe, pour Mlle X ;
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'une infirmière et une aide-soignante exerçant leurs fonctions au centre hospitalier d'Arras, dans le centre de cure Pierre Brunet, ont été mises en examen le
22 septembre 2004 et placées en détention provisoire pour des faits de maltraitance commis sur des personnes âgées ; que Mlle X, praticien hospitalier chef de service dudit centre de cure, s'est vue reprocher d'avoir, le même jour, modifié et détruit certains dossiers de patients ; qu'elle a été placée les 22 et 23 septembre 2004 en garde à vue dans le cadre d'une enquête de flagrance ordonnée par le parquet du chef de destruction de preuves ; qu'elle a ensuite été mise en examen, le 5 novembre 2004, sur le fondement d'une altération frauduleuse de la vérité dans un écrit, et qu'une mesure de contrôle judiciaire lui a alors interdit de se rendre dans le centre de cure Pierre Brunet hors le cadre des visites à sa mère, pensionnaire de cet établissement ; que le directeur du centre hospitalier d'Arras, par décision du 23 septembre 2004 prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, a suspendu Mlle X de ses fonctions, à titre provisoire et jusqu'à ce que l'autorité compétente prenne une décision ; que Mlle X a saisi le Tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation de cette décision de suspension du 23 septembre 2004 ; qu'elle relève appel du jugement du 8 décembre 2005 rejetant sa demande ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier d'Arras :
Considérant, en premier lieu, que l'intervention de la décision de suspension de
Mlle X, prise, le 16 mars 2005, par l'autorité compétente ne prive pas d'objet les conclusions relatives à la décision de suspension litigieuse du 23 septembre 2004 du directeur du centre hospitalier ;
Considérant, en second lieu, que les circonstances que Mlle X ait continué de percevoir l'intégralité de sa rémunération pendant la période de suspension et qu'elle ait été ensuite réintégrée par décision du 11 septembre 2006 au sein du centre hospitalier, dans un service de soins de suite et de réadaptation, ne sont pas de nature à la priver d'un intérêt lui donnant qualité à contester le jugement du Tribunal administratif de Lille du 8 décembre 2005 rejetant sa demande d'annulation de la décision de suspension dont elle a fait l'objet ;
Sur la légalité de la décision de suspension :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 69 du décret du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, alors en vigueur et codifiées par le décret n° 2005-840 du 20 juillet 2005 à l'article R. 6152-77 du code de la santé publique : « Dans l'intérêt du service, le praticien qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire peut être immédiatement suspendu par le ministre chargé de la santé pour une durée maximum de six mois. Toutefois, lorsque l'intéressé fait l'objet de poursuites pénales, la suspension peut être prolongée pendant toute la durée de la procédure. / Le praticien suspendu conserve les émoluments mentionnés au 1, de l'article 28. Toutefois, lorsqu'une décision de justice lui interdit d'exercer, ses émoluments subissent une retenue, qui ne peut excéder la moitié de leur montant. Lorsqu'à l'issue de la procédure disciplinaire aucune sanction n'a été prononcée, le praticien perçoit à nouveau l'intégralité de sa rémunération. » ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : « Le directeur (...) assure la gestion et la conduite générale de l'établissement, et en tient le conseil d'administration informé. A cet effet, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art (...) » ;
Considérant qu'il résulte d'une lecture combinée des dispositions susmentionnées que le directeur d'un centre hospitalier, qui exerce, aux termes de l'article L. 714-12 du code de la santé publique, devenu depuis l'ordonnance n° 2005-1112 du 1er septembre 2005, l'article L. 6143-7 dudit code, son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider, sous le contrôle du juge, et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, de suspendre ses activités cliniques et thérapeutiques au sein du centre hospitalier, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 69 du décret du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, alors en vigueur et codifiées, ainsi que dit précédemment, à l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui ne prévoient la possibilité de suspendre les intéressés que par une décision du ministre chargé de la santé que dans le seul cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire ; qu'en l'espèce, il ne résulte pas des pièces du dossier que le directeur du centre hospitalier d'Arras a informé le ministre de la santé, qui est l'autorité compétente pour prononcer la nomination du praticien concerné, de la décision de suspension qu'il avait prise ; que si le centre hospitalier d'Arras soutient que la décision en cause a été rédigée en étroite collaboration avec les services du ministère et se prévaut de ce qu'il a adressé une copie de cette décision de suspension au directeur de la DDASS et au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation, ces circonstances ne sont pas de nature à suppléer à l'exigence d'information du ministre ; que, dans ces conditions, Mlle X est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de cet article : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arras une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par
Mlle X et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la cour administrative d'appel ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que Mlle X n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier d'Arras doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0406090 du 8 décembre 2005 du Tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La décision du 23 septembre 2004 prononçant la suspension de fonctions de Mlle X est annulée.
Article 3 : Le centre hospitalier d'Arras versera une somme de 1 500 euros à
Mlle X au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier d'Arras tendant à la mise à la charge de Mlle X d'une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Isabelle X et au centre hospitalier d'Arras.
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N°06DA01220