Vu la requête, enregistrée le 6 mars 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société anonyme GT, anciennement Pillet, dont le siège est 118 bis avenue du Mont Riboudet à Rouen (76000), par Me Farcy ; la société GT demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 0002207-0101257-0101259 du 21 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, en droits et pénalités, au titre des exercices clos en 1994 et 1996, d'autre part, de la contribution de 10 % à cet impôt à laquelle elle a été assujettie, en droits et pénalités, au titre de l'exercice clos en 1996 ;
2°) de prononcer la décharge demandée et de mettre à la charge de l'Etat la somme de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la procédure d'imposition de l'exercice clos en 1996 a méconnu les dispositions du paragraphe V du chapitre 3 de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; qu'elle est intervenue en méconnaissance de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 ; qu'il y a eu non changement d'activité, mais continuation de son activité de loueurs de locaux professionnels initiée en 1989 et incluse dans son objet social ; qu'elle entre dans les prévisions de l'instruction fiscale 4-A-6123 n° 30 du 1er septembre 1993 ; qu'elle a encore vendu son stock de pièces détachées après juillet 1991 ; que les intérêts de retard assignés constituaient avant l'intervention de l'ordonnance du 7 décembre 2005 des pénalités ; qu'ils auraient dû être motivés ; qu'en vertu du principe de la loi pénale la plus douce, ils auraient dû au moins être réduits ; que la majoration de 40 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts n'est pas compatible avec l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le juge ne peut les moduler ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui oppose une fin de non-recevoir à la requête tirée de son défaut de motivation et conclut à titre subsidiaire à son rejet au fond ; à cette fin, il fait valoir que la société n'a pas sollicité d'entretien avec l'inspecteur divisionnaire ou principal ; qu'elle ne saurait invoquer utilement le décret du 28 novembre 1983 ; qu'après juillet 1991, son activité d'origine se bornait à la commercialisation de ses stocks de pièces détachées ; qu'avant 1991, son activité de loueur était résiduelle ; que l'intérêt de retard assigné est dépourvu de tout caractère de sanction ; que le juge administratif exerce un contrôle suffisant sur les sanctions fiscales telles que la majoration de 40 % prévue à l'article 1728-3 du code général des impôts ;
Vu l'ordonnance du 29 novembre 2007 fixant la clôture de l'instruction au
31 décembre 2007, à 16h30 ;
Vu l'ordonnance du 17 janvier 2008, portant réouverture de l'instruction ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 4 février 2008, présenté pour la société GT tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que sa requête est motivée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 février 2008 à laquelle siégeaient M. Jean-Claude Stortz, président de chambre, Mme Marie-Christine Mehl-Schouder, président-assesseur et M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller :
- le rapport de M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable à l'introduction de l'instance devant le juge d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : « La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours » ;
Considérant que la société GT a présenté dans le délai de recours un mémoire d'appel qui ne constitue pas la seule reproduction littérale de son mémoire de première instance et énonce à nouveau de manière précise les critiques adressées au supplément d'imposition dont elle avait demandé la décharge ; qu'une telle motivation répond aux conditions posées par l'article
R. 411-1 du code de justice administrative ; que, dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie doit être écartée ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du paragraphe V du chapitre 3 de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié : « Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis, si nécessaire, par l'inspecteur divisionnaire ou principal » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans l'avis de vérification adressé le
10 novembre 1997 à la société Pillet, devenue la société GT, le service indiquait le nom, la qualité et les coordonnées du supérieur hiérarchique du vérificateur ; que, dans ces conditions, il appartenait à cette société de se manifester, si elle le jugeait opportun, auprès de ce supérieur hiérarchique, sans que ses observations du 7 janvier 1998 sur la notification de redressement, ni sa lettre du 19 février 1998 en réponse au maintien des redressements contestés, ne puissent être regardées comme une demande d'entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'eu égard à l'obligation faite à l'administration d'établir les impôts dus par tous les contribuables d'après leur situation au regard de la loi fiscale, les décisions par lesquelles elle met une imposition à la charge d'une personne physique ou morale, ne peuvent, en dépit de la sujétion qui en résulte pour cette dernière, être regardées comme des décisions administratives individuelles défavorables, au sens de l'article 1er de la loi du
11 juillet 1979, y compris dans le cas où il s'agit d'une imposition supplémentaire découlant d'un rehaussement de base déclarée par le contribuable ; que ces décisions ne sont donc pas au nombre de celles dont les motifs doivent être sans délai portés à la connaissance des intéressés ; que, par voie de conséquence, les dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ne leur sont pas applicables ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article est inopérant ;
Considérant qu'il ne suit pas de là que les impositions contestées ont été établies au terme d'une procédure irrégulière ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts relatif à la détermination de la base de l'impôt sur les sociétés, dans sa rédaction alors applicable : « (...) En cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si le bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté successivement sur les exercices suivants jusqu'au cinquième exercice qui suit l'exercice déficitaire » ; et qu'aux termes du 5 de l'article 221 du même code, dans sa rédaction issue de l'article de la loi du 30 décembre 1985, portant loi de finances pour 1986 : « Le changement d'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte la cessation d'entreprise » ; qu'il résulte de la combinaison desdites dispositions que le droit au report déficitaire est subordonné à la condition que la personne de l'exploitant et l'objet de l'entreprise soient restés les mêmes ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la vente et la réparation de véhicules automobiles représentait 95 % du chiffre d'affaires total de la société en 1989 et
23 % en 1994 ; que la société requérante a progressivement abandonné cette activité, en donnant à bail ou en vendant ses différents établissements ; qu'employant encore 31 salariés en 1991, elle n'avait plus de personnel en 1993 ; qu'après avoir obtenu du Tribunal de commerce de Rouen en 1995 un jugement en sa faveur dans le litige qui l'opposait à la société Sonauto qui lui avait retiré la concession des marques Porsche et Mitsubishi en juillet 1991, elle n'a pas repris son activité dans le secteur automobile, si ce n'est pour écouler son stock de pièces détachées ; qu'ainsi, elle doit être regardée comme s'étant retirée de ce secteur ;
Considérant, d'autre part, que si la société requérante fait valoir qu'elle a, au cours de la période vérifiée, poursuivi et développé son activité de location de locaux professionnels, il est constant que les revenus qu'elle tirait de ce secteur représentaient moins de 5 % de son chiffre d'affaires en 1989, contre 70 % en 1994 ; qu'ainsi, son activité réelle, bien que s'exerçant toujours dans un des domaines prévus dans son objet social, avait subi en 1994 de telles transformations qu'elle ne pouvait plus être regardée comme la même ;
Considérant, dès lors, qu'eu égard à ce changement d'activité au sens des dispositions précitées du code général des impôts, elle ne pouvait bénéficier du report sur les bénéfices des exercices clos en 1994 et 1996 des déficits et des amortissements réputés différés, antérieurement subis ou comptabilisés ; que si elle invoque, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction fiscale 4-A-6123 du
1er septembre 1993 (paragraphe 30), son activité n'est pas au nombre de celles visées par cette instruction ;
Sur les pénalités :
En ce qui concerne l'intérêt de retard :
Considérant qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : « Le défaut ou l'insuffisance dans le paiement ou le versement tardif de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts donnent lieu au versement de l'intérêt de retard qui est dû indépendamment de toute sanction. Cet intérêt n'est pas dû lorsque sont applicables les dispositions de
l'article 1732, ou les sanctions prévues aux articles 1791 à 1825 F. Le taux de l'intérêt de retard est fixé à 0,75 % par mois. Il s'applique sur le montant des sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé » ;
Considérant, en premier lieu, que l'intérêt de retard institué par ces dispositions vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales ; qu'ainsi la décision mettant à la charge du contribuable cet intérêt de retard ne constitue ni une sanction fiscale au sens de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, ni une sanction au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'ainsi, elle n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées ;
Considérant, en deuxième lieu, que si l'évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d'une sanction, dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié ;
Considérant, en troisième lieu, que si les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables, elles sont, en tout état de cause, sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt ; que, dès lors, le moyen tiré de l'existence d'une différence de taux entre l'intérêt de retard institué par
l'article 1727 du code général des impôts et les intérêts moratoires mentionnés aux articles
L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales n'est pas susceptible d'être accueilli ;
Considérant, en quatrième lieu, que le principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, n'est pas applicable aux intérêts de retard dès lors que ceux-ci ne présentent pas le caractère de sanction ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à demander pour ce motif l'application rétroactive de l'article 29 de la loi de finances pour 2006 ;
Considérant qu'il s'ensuit que c'est par une exacte application de la loi fiscale que des intérêts de retard ont été assignés à la société GT ;
En ce qui concerne la majoration prévue au 3 de l'article 1728 du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : « 1. Lorsqu'une personne physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou
de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 10 p. 100. 2. Le décompte de l'intérêt de retard est arrêté soit au dernier jour du mois de la proposition de rectification, soit au dernier jour du mois au cours duquel la déclaration ou l'acte a été déposé. 3. La majoration visée au 1 est portée à : 40 p. 100 lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à le produire dans ce délai ; 80 p. 100 lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une deuxième mise en demeure notifiée dans les mêmes formes que la première ; 80 p. 100 en cas de découverte d'une activité occulte » ;
Considérant que les dispositions de l'article 1728 proportionnent les pénalités qu'il prévoit à la gravité des agissements du contribuable, en prévoyant des taux de majoration différents selon que le défaut de déclaration dans le délai est constaté sans mise en demeure de l'intéressé ou après une ou deux mises en demeure infructueuses ; que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir le taux auquel l'administration s'est arrêtée, soit de lui substituer un taux inférieur parmi ceux prévus par le texte s'il l'estime légalement justifié, soit de ne laisser à la charge du contribuable que les intérêts de retard, s'il estime que ce dernier ne s'est pas abstenu de souscrire une déclaration ou de déposer un acte dans le délai légal ; qu'eu égard au pouvoir de pleine juridiction dont dispose le juge de l'impôt en application de ces dispositions de la loi fiscale, le moyen tiré de ce que les pénalités dont s'agit ne sont pas compatibles avec les stipulations du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société GT n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, en droits et pénalités, au titre des exercices clos en 1994 et 1996, d'autre part, de la contribution de 10 % à cet impôt à laquelle elle a été assujettie, en droits et pénalités, au titre de l'exercice clos en 1996 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société GT est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme GT et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
Copie sera transmise au directeur des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal Nord.
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N°06DA00352