Vu la requête, enregistrée le 12 février 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. et Mme Thierry X, demeurant ..., par Me Julia ; M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0402062-0501649 du 6 décembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du groupe hospitalier du Havre à leur verser une indemnité en réparation des préjudices subis par leur fils Armand lors de sa naissance ;
2°) de condamner le groupe hospitalier du Havre à leur verser une somme de 335 405 euros ;
3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux dépens ;
Ils soutiennent :
- que le groupe hospitalier n'a pas mis en oeuvre tous les éléments de diagnostic nécessaires au cours de l'admission de Mme X aux urgences de la maternité à 27 semaines et 5 jours d'aménorrhée, qu'il a commis une erreur de diagnostic et a commis une faute thérapeutique en déclenchant l'accouchement et en ne mettant pas en place dès l'admission de Mme X une tocolyse et une corticothérapie pour permettre la maturation pulmonaire foetale ;
- que ces fautes ont fait perdre à Mme X une chance de poursuivre sa grossesse ; que le Tribunal ne pouvait estimer que l'accouchement n'aurait été retardé que de un ou deux jours et que le pronostic n'aurait pas été très différent pour l'enfant ;
- que les troubles dont souffre le jeune Armand au niveau pulmonaire et neurologique sont liés à sa grande prématurité et auraient été limités par la mise en place d'un traitement permettant de retarder, même de 48 heures, l'accouchement ; que rien ne permet de limiter à 2 % l'appréciation de la perte de chance ainsi causée ; qu'au contraire, la mise en place de ce traitement aurait réduit de 50 % les risques de pathologie pulmonaire et diminué les hémorragies ventriculaires génératrices de leucomalacie ;
- que le jeune Armand souffre essentiellement de troubles neurologiques occasionnant une incapacité de 60 %, un pretium doloris qui ne sera pas inférieur à 4/7, un préjudice d'agrément majeur, des préjudices sexuels, esthétiques et professionnels justifiant une provision de 300 000 euros ;
- que l'aménagement du logement peut être évalué à 35 405 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2007, présenté pour le groupe hospitalier du Havre, par Me Boizard, tendant au rejet de la requête ;
Il soutient:
- que le diagnostic était malaisé et délicat à porter et doit être apprécié sans reconstitution a posteriori de la symptologie mais en interprétant dans l'ordre logique les constatations faites par les médecins et que l'erreur commise n'a, dans les circonstances de l'espèce, en particulier compte tenu de l'urgence, pas revêtu un caractère fautif ; que l'erreur de diagnostic commise était explicable et même légitime dès lors que compte tenu du tableau clinique présenté par la patiente et compte tenu de ses antécédents, la poursuite d'examens complémentaires présentait un risque pour la patiente comme pour son enfant ;
- qu'une fois le diagnostic posé, il était légitime de rompre les membranes ; que cette rupture a accéléré l'accouchement qui, compte tenu de la protusion de la poche des eaux, serait intervenu à brève échéance ; que l'absence de rupture de la poche des eaux présentait un risque ; que cet acte a été pratiqué après analyse de la situation et vérification de la disponibilité de l'équipe dans le but essentiel de prévenir des complications qui auraient aggravé une situation déjà à haut risque pour l'enfant à naître ; que dès lors cet acte, même erroné, n'est pas fautif ;
- que la prise en charge ultérieure a été conforme aux pratiques ;
- à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la rupture provoquée de la poche des eaux et les préjudices de l'enfant dès lors qu'un accouchement était inéluctable au plus dans les 48 heures et que ce délai n'aurait pas significativement réduit les risques de complications néonatales ni de séquelles neurologiques ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée le 27 février 2007 à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre qui n'a pas produit d'observations ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 octobre 2007 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Brigitte Phémolant, président-assesseur et M. Christian Bauzerand, premier conseiller :
- le rapport de Mme Brigitte Phémolant, président-assesseur ;
- les observations de Me Jegu pour M. et Mme X ;
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'en janvier 1999, Mme X, âgée de 33 ans, a confié le suivi de sa grossesse à la maternité Jacques Monod dépendant du groupe hospitalier du Havre, établissement de niveau I ; qu'en raison d'antécédents de plusieurs fausses couches, dont certaines tardives, et d'un accouchement prématuré, un cerclage du col a été mis en place ; que le 29 juin 1999, à 27 semaines et 5 jours d'aménorrhées, Mme X, qui ressentait une gène dans le petit bassin, s'est présentée vers 14h30 à la maternité ; que le monitorage foetal mis en place pendant une demi-heure n'a mis en évidence ni contractions utérines ni souffrance foetale ; que la sage-femme et le médecin qui ont examiné Mme X ont diagnostiqué une poche des eaux bombant dans le vagin et ont estimé que le col de l'utérus était dilaté et que l'accouchement était imminent ; que ce diagnostic a conduit le médecin à rompre artificiellement la poche des eaux à 15h30 ; qu'à la suite de cet acte, il est apparu que le col de l'utérus n'était en réalité pas dilaté ; que Mme X a alors été transférée vers 16h30 à la maternité Flaubert du groupe hospitalier du Havre, établissement de niveau III ; qu'en dépit d'un traitement tocolytique destiné à retarder l'accouchement, qui lui a été administré à son arrivée dans cet établissement, elle a donné naissance le même jour à 21h à un petit garçon qui garde de graves séquelles de sa naissance prématurée ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis par le Tribunal, que la sage-femme et le médecin qui ont examiné Mme X lors de son admission à la maternité Jacques Monod le 29 juin 1999 ont commis une confusion dans la perception de la situation obstétricale de Mme X en estimant que le col utérin était entièrement dilaté ; que cette erreur de diagnostic les a conduit à rompre artificiellement la poche des eaux et que ce geste, totalement inapproprié, a activé les contractions et rendu inéluctable un accouchement le jour même ; que même si l'expert relève qu'en raison de la descente de la poche des eaux dans le vagin, qui constitue selon ses dires une présentation clinique suffisamment fréquente pour qu'une méprise sur cette situation soit invraisemblable, un accouchement à brève échéance était inéluctable, il résulte cependant de son rapport que s'il est possible de retarder un accouchement prématuré, ne fusse que de douze heures, en administrant à la parturiente un traitement corticoïde renouvelé à l'issue de ce délai, la maturation du poumon du foetus est accélérée ce qui diminue les risques d'insuffisance respiratoire du nouveau-né et la maladie des membranes hyalines inhérents à une grande prématurité, même si le traitement n'agit pleinement qu'après 48 heures de délai ; qu'en l'espèce, alors même que les antécédents de Mme X étaient connus de la maternité Jacques Monod, qui avait accepté d'assurer le suivi de sa grossesse, et que les risques liés à une naissance aussi prématurée sans traitement préalable étaient connus, aucun traitement destiné à retarder l'accouchement ne lui a été administré et la décision de procéder à une rupture médicale de la poche des eaux a été prise très rapidement après son admission sans qu'il soit procédé à des examens complémentaires autres qu'une échographie ayant constaté l'état de l'enfant et du liquide amniotique et sans recueillir, même s'il n'était pas obligatoire, d'autre avis médical préalable alors que la rupture volontaire de la poche des eaux déclenchait inéluctablement l'accouchement ; que le traitement par tocolyse, destiné à retarder l'accouchement, n'a été administré à Mme X qu'après son transfert, une fois la poche des eaux rompues, à la maternité Flaubert où ce traitement a été immédiatement entrepris ; que compte tenu de l'importance pour la santé de l'enfant de retarder un accouchement aussi précoce et de pouvoir entreprendre avant sa naissance un traitement de sa mère par corticoïde d'au moins 12 heures, l'erreur de diagnostic commise par la maternité Jaques Monod du groupe hospitalier du Havre a fait perdre à l'enfant des chances sérieuses de limiter les séquelles d'une naissance prématurée même s'il résulte de l'expertise que, compte tenu des circonstances, l'accouchement serait intervenu presque assurément dans les 48 heures ; que, dès lors, M. et Mme X sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la responsabilité du groupe hospitalier du Havre n'était pas engagée et à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant que, par l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu de statuer sur les préjudices invoqués ;
Sur le préjudice global :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de sa naissance prématurée, le jeune Armand X a développé une détresse respiratoire pour immaturité de ses poumons et a présenté des troubles d'ordre nutritionnel et digestif et des troubles neurologiques avec l'apparition de lésions cavitaires de la substance blanche dites « leucomalacie péri ventriculaire » ; qu'il garde d'importantes séquelles neurologiques entraînant une absence totale de possibilité de station assise ou debout et de déplacement spontané ainsi qu'un retard des acquisitions de l'éveil et de la communication ; qu'il résulte de l'expertise que son état n'est pas consolidé et que, compte tenu des troubles précités, son incapacité permanente partielle peut être évaluée au minimum à 60 % ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et des préjudices personnels de toute nature en les évaluant à une rente annuelle de 16 000 euros jusqu'à la majorité de l'enfant dont 30 % réparent ses préjudices personnels ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'expertise que M. et Mme X ont exposé 9 100 euros pour procéder à des aménagements de leur maison ; que s'ils soutiennent devoir réaliser 26 305 euros d'aménagements supplémentaires, il résulte de leurs dires lors de l'expertise qu'ils envisageaient un déménagement ; que lesdites dépenses ne revêtent donc pas un caractère certain ;
Considérant qu'il résulte par ailleurs du mémoire produit en première instance par la caisse primaire d'assurance maladie du Havre que ladite caisse justifie par un état non contesté avoir engagé, au 16 novembre 2006, les sommes de 149 550,59 euros au titre des frais d'hospitalisation, de 23 928,88 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques, de 14 252,62 euros au titre des frais d'appareillage, de 10 443,78 euros au titre des frais de transport et de 644,65 euros au titre des frais de kinésithérapie ; que si elle demande le remboursement des frais futurs, elle n'apporte aucune précision sur ce chef de préjudice et ne met dès lors pas en mesure la Cour de déterminer la part du préjudice global correspondante ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie du Havre :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 19 décembre 2005 : « (…) Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.(…) » ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Havre a droit au remboursement des frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage, de transport et de kinésithérapie déjà engagés pour un montant total de 198 820,52 euros ; que si elle demande le remboursement des frais futurs, elle n'apporte aucune précision sur ce chef de préjudice ; que sa demande doit sur ce point être rejetée ;
Sur les droits de M. et Mme X :
Considérant que M. et Mme X ont droit à une somme de 9 100 euros au titre de leur préjudice matériel et, pour leur fils Armand, à une rente annuelle de 16 000 euros qui sera versée par trimestre échu jusqu'à la majorité de l'enfant ; que, par suite, le groupe hospitalier du Havre leur versera à ce titre une somme de 116 000 euros au titre des trimestres échus jusqu'au 30 septembre 2007 ; que le versement trimestriel de la rente commencera à compter du quatrième trimestre de l'année 2007 ;
Sur les intérêts :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Havre a droit aux intérêts de la somme de 198 820,52 euros à compter du 16 novembre 2006, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif ;
Sur les dépens :
Considérant qu'en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre les frais d'expertise exposés devant le Tribunal administratif de Rouen liquidés et taxés à la somme de 1 215 euros par ordonnance du président du Tribunal en date du 11 février 2003 et à la somme de 1 076 euros par ordonnance du 18 novembre 2003 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 19 décembre 2005 : « (…) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros » ;
Considérant qu'en application de ces dispositions, il y a lieu de condamner le groupe hospitalier du Havre à verser la somme de 910 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du groupe hospitalier du Havre la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. et
Mme X et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0402062-0501649 du Tribunal administratif de Rouen en date du 6 décembre 2006 est annulé.
Article 2 : Le groupe hospitalier du Havre est condamné à verser à M. et Mme Thierry X une somme de 9 100 euros au titre de leur préjudice matériel.
Article 3 : Le groupe hospitalier du Havre est condamné à verser à M. et Mme Thierry X, pour leur fils, une rente annuelle de 16 000 euros qui sera versée chaque trimestre échu jusqu'à la majorité de Armand X. A ce titre, le groupe hospitalier du Havre versera à M. et Mme Thierry X une somme de 116 000 euros au titre des arrérages de la rente échus au 30 septembre 2007. La rente sera versée à chaque trimestre échu à compter du quatrième trimestre 2007.
Article 4 : Le groupe hospitalier du Havre est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre une somme de 198 820,52 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 16 novembre 2006.
Article 5 : Le groupe hospitalier du Havre est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre une somme de 910 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 6 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 215 euros par ordonnance du président du Tribunal administratif de Rouen en date du 11 février 2003 et à la somme de 1 076 euros par ordonnance du 18 novembre 2003 sont laissés à la charge définitive du groupe hospitalier du Havre.
Article 7 : Le groupe hospitalier du Havre versera à M. et Mme Thierry X une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Thierry X et des conclusions de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Havre est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Thierry X, au groupe hospitalier général du Havre et à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre.
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N°07DA00203