Vu la requête, enregistrée le 2 août 2006 par télécopie et régularisée par l'envoi de l'original le 25 août 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Aby Emeka X, demeurant ..., par Me Maachi ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0602774 du 12 mai 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 26 avril 2006 décidant sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;
Il soutient que l'arrêté de reconduite à la frontière pris à son encontre est entaché d'erreur de fait, le préfet n'ayant pas tenu compte de sa situation matrimoniale ; qu'il est également entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie personnelle et familiale, qui se situe en France auprès de son épouse, originaire du Nigéria, et de la fille de celle-ci, qu'il est isolé dans son pays d'origine où il n'a plus de contact ni avec ses deux enfants, ni avec son père et ses frères et soeurs et qu'il ne peut y reconstituer sa cellule familiale ; que l'arrêté attaqué est contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour les mêmes motifs ; que c'est à tort que le premier juge a rejeté comme tardives et irrecevables ses conclusions dirigées contre l'arrêté fixant le pays de renvoi ; qu'il est exposé personnellement à des risques graves en cas de retour au Nigéria ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu la décision du 7 août 2006 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Douai accordant l'aide juridictionnelle totale à M. X ;
Vu l'ordonnance en date du 30 août 2006 fixant la clôture de l'instruction au 30 septembre 2006 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2006, présenté par le préfet du Nord, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la décision attaquée est signée par une autorité compétente et parfaitement motivée ; que l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la commission de recours des réfugiés ont rejeté sa demande d'asile et que M. X n'établit pas qu'il serait exposé à des risques de persécutions ou de traitements inhumains ; que son mariage avec une compatriote est trop récent pour être pris en considération au titre de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autant qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine où demeurent ses deux enfants, son père, ses frères et soeurs ; qu'il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu l'ordonnance en date du 2 octobre 2006 rouvrant l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique et le décret
n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 octobre 2006, à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Brigitte Phémolant, président-assesseur et M. Manuel Delamarre, premier conseiller :
- le rapport de Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre,
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
En ce qui concerne la décision ordonnant la reconduite de M. X vers le pays dont il a la nationalité :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 776 ;12 du code de justice administrative : « Jusqu'au moment où l'affaire est appelée, les parties peuvent présenter des conclusions ou observations écrites » ; qu'aux termes de l'article R. 776 ;13 du même code : « Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou son délégué, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Aby Emeka X a présenté une demande devant le tribunal administratif tendant à l'annulation à la fois de l'arrêté de reconduite à la frontière du 26 avril 2006 et de la décision du même jour fixant le pays de renvoi ; que si sa requête écrite ne comportait aucune motivation à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays dont il a la nationalité comme pays de destination, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que M. X a exposé oralement le moyen tiré de la violation par cette décision des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que par suite, c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions comme tardives et par conséquent irrecevables ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la décision du 26 avril 2006 relative au pays de destination et d'évoquer l'affaire sur ce point ;
Considérant que si M. X, de nationalité nigériane, dont la demande d'admission au statut de réfugié a d'ailleurs été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Commission des recours des réfugiés, fait valoir qu'il serait personnellement exposé à des risques pour son intégrité physique en cas de retour dans son pays d'origine, les seuls faits allégués et la lettre de son frère datée du 5 mai 2006 ne permettent pas de tenir pour fondées ses craintes ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;
En ce qui concerne l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. X :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3º Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois à compter de la notification, le 30 novembre 2005, de l'arrêté du 29 novembre 2005 par lequel le préfet du Nord a retiré le récépissé valant autorisation provisoire de séjour qui lui avait été accordé et l'a invité à quitter le territoire à la suite du rejet par décision de la Commission des recours des réfugiés du 28 octobre 2005 de son recours formé contre la décision du 20 avril 2005 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de l'admettre au statut de réfugié ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application des dispositions précitées, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant que si M. X soutient que le préfet du Nord s'est fondé sur des faits matériellement inexacts pour apprécier sa situation personnelle dès lors qu'il a épousé le 4 mars 2006 une compatriote résidant en France, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que M. X ait porté à la connaissance du préfet cet élément de sa situation personnelle ; que par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de fait ;
Considérant que M. X déclare qu'il est entré en France en décembre 2004, qu'il a épousé le 4 mars 2006 une compatriote, que sa vie privée et familiale se situe désormais en France auprès de son épouse et l'enfant de celle-ci et qu'il n'a plus de contact avec ses deux enfants et les autres membres de sa famille restés au Nigéria où il serait isolé ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment du caractère récent de son entrée en France et de la très brève durée du mariage contracté, de ses conditions de séjour et des liens familiaux de l'intéressé dans son pays d'origine, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté du 26 avril 2006 du préfet du Nord n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que par suite, le préfet n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. X ;
Considérant qu'il résulte ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre l'arrêté de reconduite à la frontière ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0602774 du 12 mai 2006 du Tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la décision du 26 avril 2006 fixant le pays de destination de la reconduite prononcée à l'encontre de M. X.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. X tendant à l'annulation de la décision fixant le pays dont il a la nationalité comme pays de destination et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Aby Emeka X et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Copie sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2006, à laquelle siégeaient :
- Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre,
- Mme Brigitte Phémolant, président-assesseur,
- M. Manuel Delamarre, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 14 novembre 2006.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : B. PHEMOLANT
Le président-rapporteur,
Signé : C.V. HELMHOLTZ
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier
M.T. LEVEQUE
N°06DA01043 2