Vu la requête, enregistrée le 3 mai 2004, présentée pour la SARL J.M. X et
M. Y, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice, par Me Y... ; la SARL J.M. X et M. Y demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9703248 du 2 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif de Lille a, premièrement, condamné la ville de Lille à verser à la société Sogea Nord une somme de 342 706,03 euros, y compris la provision accordée par ordonnance du 31 décembre 1997, augmentée des intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés le 20 janvier 2000 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ; deuxièmement, condamné la SARL J.M. X et
M. Y à garantir la ville de Lille à hauteur de 75 % de ces condamnations ;
2°) à titre principal, de rejeter les prétentions de la société Sogea Nord ainsi que la demande de la ville de Lille ; à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions le montant des sommes susceptibles d'être allouées à l'encontre de la requérante ; plus subsidiairement, de condamner la ville de Lille, la société Sogea Nord et le bureau d'études techniques (BET) GII in solidum, ou l'un à défaut de l'autre, à relever indemne la SARL
J.M. X et M. Y de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Lille une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le Tribunal s'abstient de motiver autrement sa décision qu'en renvoyant au contenu du rapport d'expertise qui est discutable et contesté par les parties ; que les architectes ne se trouvent nullement concernés par chaque poste de réclamation ; que l'on ne peut admettre une équation trop simple selon laquelle la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre pourrait être arbitrée à hauteur de 75 % ; qu'il convient de raisonner poste par poste et non sur la base de ratios ; que, d'une manière générale, le rapport d'expertise ne saurait être entériné dans la mesure où il a abordé de manière trop sommaire les allégations de la société Sogea ; que la société Sogea ne saurait se présenter comme un simple exécutant n'ayant eu la possibilité d'appréhender toutes les contraintes de la tâche qu'on lui demandait d'effectuer ; que la compétence de la maîtrise d'oeuvre n'enlève rien au devoir de conseil propre à l'entrepreneur ; que les responsables des services techniques de la ville de Lille avaient eux-mêmes une possibilité d'intervention propre lorsqu'il apparaissait que la configuration des lieux, la découverte d'un alea ou d'une difficulté en cours de travaux permettaient d'ajouter aux ouvrages initialement imaginés ; qu'il ne s'agit pas d'imprévision de l'architecte mais de la théorie de l'imprévision propre à l'exécution des marchés publics ; que le Tribunal a écarté trop vite l'appel en garantie dirigé contre le bureau d'études techniques GII ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 9 février 2006 à la SCP A..., Lefèvre et Associés pour la ville de Lille, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu la mise en demeure adressée le 9 février 2006 à la société Sogea Nord en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2006, présenté pour la société Sogea Nord dont le siège est ... en Baroeul (59703), par
Me X... ; la société Sogea Nord conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la SARL J.M. X et M. Y à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ; la société Sogea Nord soutient que la motivation du jugement attaqué est pleinement conforme à la jurisprudence la mieux établie du Conseil d'Etat ; qu'elle a été contrainte d'exécuter les travaux objets de ses mémoires de réclamation ; que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas distincts de ceux qu'elle avait fait valoir dans le cadre des opérations d'expertise puis devant les premiers juges et ne peuvent conduire à la réformation du jugement ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2006, présenté pour la ville de Lille représentée par son maire, par Me A... ; la ville de Lille conclut, à titre principal, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Lille en ce qu'il l'a condamnée à indemniser la société Sogea Nord et à la condamnation de la société Sogea Nord à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à la condamnation de la SARL
J.M. X et M. Y à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article
L 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 10 avril 2006, présenté pour la SARL J.M. X et
M. Y qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mai 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Corinne Signerin-Icre, président-assesseur et M. Christian Bauzerand, premier conseiller :
- le rapport de M. Christian Bauzerand, premier conseiller,
- les observations de Me Z... pour la SARL J.M. X et M. Y, de
Me X..., pour la société Sogea Nord, et de Me A..., pour la ville de Lille,
- et les conclusions de M. B... Le Goff, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la ville de Lille a confié le 1er juin 1992 à la société Sogea Nord, venue aux droits de la société Sogea Nord-Ouest, dans le cadre de projet de rénovation du Palais des Beaux-Arts, le lot n° 2 « fondations, gros oeuvre » ; que, par le jugement attaqué en date du
2 mars 2004, le Tribunal administratif de Lille a condamné la ville de Lille à payer à la société Sogea divers travaux supplémentaires pour un montant de 342 706,03 euros et a condamné la SARL J.M. X et M. Y, en sa qualité de maître d'oeuvre, à garantir la ville de Lille à hauteur de 75 % du montant des condamnations prononcées contre elle ; que la SARL
J.M. X et M. Y demande l'annulation de ce jugement et la ville de Lille demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation dudit jugement en ce qu'il l'a condamnée à indemniser la société Sogea Nord ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'en se bornant à retenir le montant de travaux supplémentaires nécessaires à la bonne réalisation des prestations sans indiquer les motifs pour lesquels certains étaient retenus et d'autres écartés, le tribunal administratif n'a pas suffisamment motivé son jugement ; que, par suite, la société requérante est fondée à demander son annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Sogea Nord devant le Tribunal administratif de Lille ;
Sur les travaux supplémentaires :
En ce qui concerne les réclamations nos 4, 5, 6, 7, 14, 15, 16, 20, 21 et 22 :
Considérant, en premier lieu, que s'agissant de la mise en place d'un échafaudage dans le cadre de la démolition complémentaire de la façade sud de l'atrium, il résulte de l'instruction que ce matériel était déjà en place pour la prestation de base ;
Considérant, en deuxième lieu, que s'agissant de la réalisation d'une poutre supplémentaire, il résulte de l'instruction que la société Sogea Nord n'a pas fourni la note de calcul demandée pour vérification des documents fournis qui sont inexploitables ;
Considérant, en troisième lieu, que s'agissant de la modification des maçonneries sur plancher de 22,2, il résulte de l'instruction que cette prestation ressortissait bien des documents contractuels ;
Considérant, en quatrième lieu, que s'agissant des percements supplémentaires du plancher haut de la salle des plans-reliefs, il résulte de l'instruction que le diamètre des réservations n'étant pas prévu dans le dossier de consultation des entreprises, la société Sogea Nord devait le détailler dans son offre contractuelle ainsi que sa méthodologie ;
Considérant, en cinquième lieu, que s'agissant du rebouchage des oculi des pavillons d'angle dans le bâtiment ancien, si la société Sogea Nord, qui ne conteste pas que la prestation était prévue à son marché de base, soutient qu'elle ne pouvait en déterminer la consistance effective des travaux à la prise de possession du chantier, il résulte de l'instruction qu'elle aurait dû faire des sondages préalables à son offre ; que, par suite, la prestation supplémentaire résulte d'un manque d'analyse et de prévision des termes du marché ;
Considérant, en sixième lieu, que s'agissant de la démolition et de la reconstruction du double plancher du niveau R-1, il résulte de l'instruction que la procédure contractuelle n'a pas été respectée par la société Sogea Nord ;
Considérant, en septième lieu, que s'agissant des conséquences de l'arrêt du chantier qui a eu lieu les 28, 29 et 30 juin 1994 à la suite du retard de livraison des huisseries métalliques, il résulte de l'instruction que la société Sogea Nord ne justifie pas des prestations supplémentaires dont elle entend demander le paiement ; que la seule circonstance que ladite société a repris le chiffre fournit par l'expert ne saurait valoir justification ;
Considérant, en huitième lieu, que s'agissant du dossier de demande d'installation classée relatif aux groupes frigorifiques, il résulte de l'instruction que la société Sogea Nord était informée depuis le 13 juillet 1993 que l'installation de tels groupes nécessitait un dossier de demande d'installation classée ; que le devis n° 15 qu'elle a présenté le 12 novembre 1993 intégrait au demeurant une telle démarche ;
Considérant, enfin, que, s'agissant de l'exécution de deux cloisons séparatives de gaines situées dans les pavillons du bâtiment ancien, il résulte de l'instruction que le plan contractuel
A 48 fait clairement apparaître les maçonneries qui devaient être réalisées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Sogea Nord n'est pas fondée à demander le paiement au titre des travaux supplémentaires des sommes relatives à ces réclamations ;
En ce qui concerne les réclamations nos 17, 18, 19 et 23 :
Considérant, en premier lieu, que s'agissant du « rebouchement » des ouvertures de façades situées dans le monte-charge n° 2 et l'ascenseur n° 2, il résulte de l'instruction que cette prestation faisait partie du lot « façades » et non « gros oeuvre » ; que, par suite, la société Sogea Nord est fondée à en demander le paiement fixé à la somme de 19 790,00 francs hors taxes
(3 016,96 euros hors taxes) ;
Considérant, en second lieu, que s'agissant de l'exécution des fentes dans le plafond Staff et briques des salles du 1er étage, il résulte de l'instruction que cette prestation trouve son origine dans une erreur de descriptif en contradiction avec l'article 3.9.4. du cahier des clauses techniques particulières ; que, par suite, la société Sogea Nord est fondée à en demander le paiement fixé à la somme de 179 875 francs hors taxes (27 421,76 euros hors taxes) ;
Considérant, en troisième lieu, que s'agissant de la reconstitution de l'anneau en pierre et du parement de pierre à l'extérieur de cet anneau, il résulte de l'instruction que cette prestation ne figurait pas dans les pièces écrites et les plans annexés au marché ; que, par suite, la société Sogea Nord est fondée à en demander le paiement fixé à la somme de 706 397,35 francs hors taxes (107 689,58 euros hors taxes)
Considérant, en quatrième lieu, que s'agissant de la réalisation de cloisons séparatives de gaines situées dans les pavillons sud-est et sud-ouest, il résulte de l'instruction que cette prestation a été mise à la charge du lot « gros oeuvre » par suite d'un oubli de la maîtrise d'oeuvre ; que, par suite, la société Sogea Nord est fondée à en demander le paiement fixé à la somme de 29 000 francs hors taxes (4 421, 02 euros hors taxes) ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la ville de Lille à payer la somme de 142 549,32 euros hors taxes à la SARL Sogea Nord au titre des travaux supplémentaires non prévus au contrat initial et nécessaires à la bonne réalisation des prestations, en ce compris la provision de 174 949,05 euros accordée par le juge du référé du Tribunal administratif de Lille ;
Sur les intérêts :
Considérant qu'eu égard aux dates des mémoires tendant au paiement de ces sommes, celles-ci doivent porter intérêts à compter du 17 juin 1994 sur la somme de 3 016,96 euros
(19 790,00 francs), à compter du 21 novembre 1994 sur la somme de 107 689,58 euros
(706 397,35 francs), à compter du 10 janvier 1995 sur la somme de 4 421,02 euros
(29 000,00 francs) et à compter du 5 avril 1995 sur la somme de 27 421,76 euros
(179 875,00 francs), et ce jusqu'à la date à laquelle la provision a été versée en application de l'ordonnance de référé susvisée ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le
20 janvier 2000 ; qu'à cette date il était dû au moins une année entière d'intérêts ; que, par suite, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour qu'ils produisent eux-mêmes intérêts à cette date et à chacune des échéances annuelles ultérieures, et ce jusqu'à la date à laquelle la provision a été versée en application de l'ordonnance de référé susvisée ;
Sur les appels en garantie :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si certains travaux ont été demandés en cours de chantier par le maître de l'ouvrage, une partie d'entre eux a été rendue nécessaire par les imprécisions, les insuffisances ou les erreurs des descriptifs et des plans de la maîtrise d'oeuvre ou les oublis de celle-ci ; que, par suite, il y a lieu de condamner la SARL
J.M. X et M. Y à garantir la ville de Lille à hauteur de 75 % des condamnations prononcées contre elle ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter la demande d'appel en garantie de la SARL J.M. X et M. Y à l'encontre de la ville de Lille et à l'encontre de la société Sogea Nord ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que le bureau d'études techniques GII, chargé jusqu'en mars 1992 de la conception de la structure et des fluides, n'était pas concerné par les travaux en litige ; que, par suite, il y a lieu de rejeter la demande d'appel en garantie formé à son encontre par la SARL J.M. X et
M. Y ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de
8 387,95 euros (55 021,35 francs), garantis à hauteur de 75 % par la SARL J.M. X et
M. Y ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SARL J.M. X et M. Y qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamnée à payer à la ville de Lille et à la société Sogea Nord les sommes qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions précitées font également obstacle à ce que la Sogea Nord soit condamnée à verser à la ville de Lille la somme demandée par elle au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 et de mettre à la charge de la ville de Lille une somme de
1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL J.M. X et M. Y et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE
Article 1er : Le jugement n° 9703248 du Tribunal administratif de Lille en date du
2 mars 2004 est annulé.
Article 2 : La ville de Lille est condamnée à verser la somme de 142 549,32 euros hors taxes à la SARL Sogea Nord au titre des travaux supplémentaires non prévus au contrat initial et nécessaires à la bonne réalisation des prestations, en ce compris la provision de 174 949,05 euros accordée par le juge du référé du Tribunal administratif de Lille. Cette somme sera augmentée des intérêts à compter du 17 juin 1994 sur la somme de 3 016,96 euros, à compter du
21 novembre 1994 sur la somme de 107 689,58 euros, à compter du 10 janvier 1995 sur la somme de 4 421,02 euros et à compter du 5 avril 1995 sur la somme de 27 421,76 euros. Les intérêts échus le 20 janvier 2000, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. Les intérêts et la capitalisation des intérêts seront acquis jusqu'à la date du versement de la provision ordonnée par les premiers juges.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 8 397,95 euros, sont mis à la charge de la ville de Lille.
.
Article 4 : La SARL J.M. X et M. Y est condamnée à garantir la ville de Lille à hauteur de 75 % de condamnations prononcées à son encontre aux articles 2 et 3 du présent jugement.
Article 5 : La ville de Lille versera à la SARL J.M. X et M. Y une somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la demande de la SARL J.M. X et
M. Y et des conclusions de sa requête est rejeté.
Article 7 : Les conclusions de la ville de Lille et de la Sogea Nord tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL J.M. X et M. Y, à la SARL Sogea Nord, à la ville de Lille, et au bureau d'études techniques GII.
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N°04DA00365