Vu, I, sous le n° 03DA01242, la requête enregistrée le 28 novembre 2003, présentée pour la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE, société en nom collectif, ayant son siège 58 quai de la Marine à L'Ile Saint-Denis (93450), représentée par son gérant en exercice, venant aux droits de la société Rocamat SNI, par la société CMS Bureau Francis Lefebvre, avocats ; la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0002403 du 25 septembre 2003 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens ne lui a accordé qu'une réduction des compléments de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 1996 et 1997 dans les rôles de la commune de
Saint Maximin ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité en se prononçant sur un point, à savoir l'assimilation d'une opération de dissolution - confusion à une fusion, qui ne faisait l'objet d'aucune discussion entre les parties ; que l'opération de confusion de patrimoine, effectuée sur la base de l'article 1844-5 du code civil par la société Rocamat SNI, ne constitue pas une opération de fusion, comme l'indique la doctrine administrative, exprimée dans la documentation administrative 4 I 1, n° 3 à jour au 1er novembre 1995 et la réponse ministérielle à M. X du 10 octobre 1994 ; qu'elle ne constitue pas davantage une opération de cession d'établissement, s'agissant d'une décision unilatérale alors que la notion de cession suppose un accord de deux parties, ainsi que le confirme l'instruction 6-E-3-80 n° 70 à 73 ; qu'ainsi, l'article 1518-B du code général des impôts qui est clair et limitatif, ne lui est pas applicable ; que l'article 85 de la loi de finances pour 2002, qui ajoute les opérations de confusion de patrimoine à celles assimilées aux fusions pour l'application du régime de faveur de l'article 210 A du code général des impôts, vient confirmer cette interprétation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2004, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que le tribunal, qui s'est borné à répondre au moyen invoqué sans soulever d'office un moyen, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité ; qu'une opération de confusion du patrimoine doit être regardée comme une cession, au sens de la loi fiscale, dès lors qu'elle a pour effet de permettre au cessionnaire de se rendre propriétaire des installations et d'exercer l'activité du cédant, quand bien même elle ne comporte pas de vente ; que l'article 85 de la loi de finances pour 2002, qui se borne à préciser la définition fiscale de la fusion, n'infirme pas l'interprétation de l'administration ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 6 juillet 2004, présenté pour la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 6 août 2004, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 17 novembre 2004, présenté pour la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 décembre 2004, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires, par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 7 novembre 2005, présenté par la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE, qui conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires, par les mêmes moyens ;
Vu, II, sous le n° 04DA00068, le recours, enregistré le 26 janvier 2004, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0002403 du 25 septembre 2003 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a accordé à la société Rocamat Pierre Naturelle, venant aux droits de la société Rocamat SNI la réduction des compléments de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 1996 et 1997 dans les rôles de la commune de Saint Maximin ;
2°) de remettre intégralement l'imposition contestée à la charge de la société Rocamat Pierre Naturelle ;
Il soutient qu'avant la cession à la société Slibail Location des équipements appartenant aux filiales de la société en nom collectif Rocamat SNI, laquelle était leur actionnaire unique, le contrôle de leur patrimoine était déjà dévolu à cette société, qui a disposé, dans le cadre d'un crédit-bail, de ces équipements après la dissolution des filiales ; que ladite société, qui exerçait toutes les prérogatives du propriétaire, doit être regardée comme ayant pris des décisions portant sur son propre patrimoine, le délai de trente jours prévu par l'article 1844-5 du code civil n'ayant pour objet que la protection des tiers ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2004, présenté pour la société en nom collectif Rocamat Pierre Naturelle, qui conclut au rejet du recours ; elle soutient qu'elle n'a jamais été propriétaire des équipements litigieux ; que la vente était parfaite plusieurs jours avant la dissolution ; qu'elle n'était pas propriétaire du patrimoine de ses filiales, personnes morales autonomes, avant la dissolution-confusion, qui n'emportait aucun effet rétroactif ; qu'une instruction administrative du 7 juillet 2003 précise que tant que la dissolution effective n'est pas intervenue, la personne morale survit, même en cas de réunion de toutes les parts sociales dans une seule main ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 novembre 2004, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, qui conclut aux mêmes fins que le recours par les mêmes moyens ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistré les 3 mars et 7 novembre 2005, présentés pour la société en nom collectif Rocamat Pierre Naturelle, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 novembre 2005 à laquelle siégeaient M. Daël, président de la Cour, M. Couzinet, président de chambre, M. Berthoud, président-assesseur, M. de Pontonx, premier conseiller et M. Le Garzic, conseiller :
- le rapport de M. Berthoud, président-assesseur ;
- les observations de Me de Crevoisier, avocat, pour la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE ;
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête et le recours susvisés sont relatifs au même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si le Tribunal administratif d'Amiens a estimé que l'opération par laquelle, en exécution d'une décision prise le 20 novembre 1995, la société en nom collectif Rocamat SNI a procédé à la dissolution des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE, par confusion de leurs patrimoines avec le sien, devait être regardée non comme une cession d'établissement, mais comme une fusion au sens de l'article 1518 B du code général des impôts, il s'est borné ainsi à examiner le moyen qui lui était soumis par la société en nom collectif ROCAMAT PIERRE NATURELLE, laquelle soutenait que cet article n'était pas applicable ; que par suite, le tribunal, qui n'a pas soulevé d'office un moyen non invoqué par les parties, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité ;
Sur l'application de l'article 1518 B du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 1518 B du code général des impôts : « A compter du 1er janvier 1980, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements réalisés à partir du 1er janvier 1976 ne peut être inférieure aux deux tiers de la valeur locative retenue l'année précédant l'apport, la scission, la fusion ou la cession. Pour les opérations mentionnées au premier alinéa réalisées à compter du 1er janvier 1992, la valeur locative des immobilisations corporelles ne peut être inférieure aux quatre cinquièmes de son montant avant l'opération... » ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, l'administration fiscale, pour calculer la taxe professionnelle due par la société en Rocamat SNI au titre des années 1996 et 1997 pour son établissement d'extraction de pierres situé à Saint Maximin, a rehaussé la valeur locative déclarée par cette société au titre des immobilisations dont elle était devenue propriétaire à la fin de l'année 1995, jusqu'à la valeur minimale des quatre cinquièmes de celle utilisée l'année précédente ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1844-5 du code civil : « La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n'a pas été régularisée dans un délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. .../ En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. (…) La transmission du patrimoine n'est réalisée et il n'y a disparition de la personne morale qu'à l'issue du délai d'opposition… » ;
Considérant que l'établissement de Saint Maximin était au nombre des établissements exploités jusqu'au mois de décembre 1995 par les sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE ; qu'en exécution d'une décision prise le 20 novembre 1995 et devenue définitive le 22 décembre 1995, la société Rocamat SNI, associée unique de ces trois sociétés, a procédé, dans le cadre des dispositions précitées de l'article 1844-5 du code civil, à leur dissolution par confusion de leurs patrimoines avec le sien ; que cette opération, qui a provoqué le transfert à la société Rocamat SNI de la propriété des moyens d'exploitation de l'établissement dont s'agit, doit être regardée comme une cession d'établissement au sens de l'article 1518 B du code général des impôts, dont les dispositions n'impliquent pas qu'une telle cession, non nécessairement constitutive d'une vente, résulte d'un accord entre deux parties ; que par suite, c'est à bon droit que le service a fait application desdites dispositions pour fixer la valeur locative des immobilisations corporelles acquises par la société Rocamat SNI à la suite de cette opération ;
Considérant, en second lieu, que l'instruction 6 E-3-80 du 8 février 1980, selon laquelle constitue une cession d'établissement « la cession soit d'une installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé, soit d'une unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial lorsqu'elle peut faire l'objet d'une exploitation autonome », ne comporte pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle rappelée ci-dessus ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE, qui vient aux droits de la société Rocamat SNI, n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté partiellement sa demande en décharge des compléments de taxe professionnelle auxquels cette société a été assujettie au titre des années 1996 et 1997 dans les rôles de la commune de Saint Maximin ;
Sur l'application du 4ème alinéa du 3° de l'article 1469 du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 1469 du code général des impôts : « La valeur locative comprise dans la base de la taxe professionnelle est déterminée comme suit : ... 3° Pour les autres biens, lorsqu'ils appartiennent au redevable, lui sont concédés ou font l'objet d'un contrat de crédit-bail mobilier, la valeur locative est égale à 16 p.100 du prix de revient. / Lorsque ces biens sont pris en location, la valeur locative est égale au montant du loyer au cours de l'exercice sans pouvoir différer de plus de 20 p. 100 de celle résultant des règles fixées à l'alinéa précédent .../ (...) / Lorsqu'un contribuable dispose, en vertu d'un contrat de crédit-bail ou de location conclu après le
1er janvier 1991, d'équipements et biens mobiliers dont il était précédemment propriétaire, la valeur locative de ces équipements et biens mobiliers ne peut, pour les impositions établies au titre de 1993 et des années suivantes, être inférieure à celle retenue au titre de l'année de leur cession... » ;
Considérant que les sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE ont cédé à la société Slibail divers biens et équipements mobiliers pour leur valeur nette comptable ; qu'il résulte de l'instruction que cette cession a pris effet avant l'expiration du délai d'opposition de trente jours prévu par l'article 1844-5 précité du code civil, c'est à dire antérieurement à la dissolution des cédants et à la transmission universelle de leur patrimoine à la société Rocamat SNI ; que même si cette dernière société avait alors la qualité d'associée unique de ses trois filiales et a immédiatement repris les mêmes biens et équipements en location pour une valeur identique, elle ne peut, dans ces conditions, être regardée comme en ayant été elle-même précédemment propriétaire au sens des dispositions précitées du 4ème alinéa du 3° de l'article 1469 du code général des impôts ; que dès lors, le service ne pouvait faire application de ces dispositions pour rectifier les bases d'imposition à la taxe professionnelle de la société Rocamat SNI ;
Considérant qu'il suit de là que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a accordé à la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE la réduction correspondante de la taxe due pour l'établissement dont s'agit au titre des années 1996 et 1997 ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant qu'il n' y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement à la société ROCAMAT PIERRE NATURELLE de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par elle et non compris les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société en nom collectif ROCAMAT PIERRE NATURELLE et le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE sont rejetés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en nom collectif ROCAMAT PIERRE NATURELLE et au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE.
Copie sera transmise au directeur des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal Ile-de-France Est.
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Nos03DA01242, 04DA00068