Vu la requête, enregistrée le 2 septembre 2002 par télécopie et son original enregistré le
3 septembre 2002 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société A.C.E. Europe, dont le siège est situé 8,avenue de l'Arche à Courbevoie (92419), par la
S.C.P. Gatineau, avocats associés ; la société A.C.E. Europe demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0004400 en date du 26 juin 2002 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 13 962 114 francs en remboursement des indemnités qu'elle a payées à la société
Air Services Equipements et à la société civile immobilière Les Deux Tilleuls pour la réparation des préjudices subis en raison de l'incendie qui a été déclenché dans les locaux du
... dans la nuit du 17 avril 2000.
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Code C Classement CNIJ : 60-01-05-01
Elle soutient que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de viser les mémoires présentés à l'instance dont le contenu n'a pas été pris en compte par les premiers juges ; que les conditions posées pour ce qu'il soit fait application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales sont réunies ; que les évènements qui se sont produits dans la nuit du 17 au 18 avril 2000 sont incontestablement le fait d'un rassemblement au sens de la loi du 7 janvier 1983 ; que les manifestants se sont rendus coupables de crimes ou de délits ; qu'il existe une relation directe entre les dommages et le comportement des manifestants ; que ces dommages se rattachent à la manifestation du 17 avril 2000, qui a confiné à l'émeute ; que la responsabilité pour faute de l'Etat est également engagée en raison de l'inaction des forces de police qui n'ont pris aucune disposition pour prévenir les atteintes aux biens et aux personnes ; que le quartier est resté sans la moindre surveillance policière ; que la responsabilité de l'Etat est également engagée sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques en raison du préjudice anormal et spécial subi par les deux sociétés ainsi que par la société requérante ; qu'en considérant que le lien direct de causalité entre le comportement des forces de police et les faits dommageables n'était pas établi, les premiers juges ont entaché leur raisonnement d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2003, présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales concluant au rejet de la requête ; le ministre soutient que le jugement attaqué est régulier ; que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; que la société requérante n'établit pas que les dégâts commis dans la nuit du 17 au 18 avril 2000, qui sont le résultat de jets de cocktails molotof par des individus non identifiés, l'ont été par des participants à une manifestation qui aurait dégénéré ; que les services de police n'ont pas été inactifs, un renfort important de sécurité ayant été mis en service ; qu'aucune faute ne peut donc être reprochée à l'Etat ; que sa responsabilité sans faute n'est pas davantage engagée, aucun lien direct de cause à effet ne pouvant être établi entre le comportement des forces de police et les faits dommageables ; que la société a considérablement varié dans l'évaluation du préjudice allégué ; que le préjudice subi par la société Air Service Equipements n'est pas établi ; que la société requérante n'établit pas être subrogée dans les droits de la société civile immobilière Les Deux Tilleuls ; qu'en tout état de cause, la responsabilité de la victime est également engagée ; que la responsabilité de l'Etat n'est engagée qu'à hauteur du tiers du préjudice subi ; que la capitalisation des intérêts n'est pas dûe ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 9 juillet 2003 par télécopie et son original enregistré le 10 juillet 2003, présenté par la société A.C.E. Europe concluant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ; que les dommages ont été causés à l'occasion d'une manifestation qui a dégénéré ; qu'ils n'étaient pas prémédités ; que les mesures de police préventives ont été insuffisantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 juillet 2004 où siégeaient
M. Merloz, président de chambre, Mme Merlin-Desmartis, président-assesseur et M. Le Garzic, conseiller :
- le rapport de Mme Merlin-Desmartis, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Yeznikian, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier de première instance transmis à la Cour que le jugement attaqué en date du 26 juin 2002 ait comporté l'analyse des conclusions et des mémoires comme l'exige l'article R. 741-2 du code de justice administrative ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que ledit jugement est entaché d'une irrégularité de nature à en entraîner l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société A.C.E. Europe devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice subi par la société :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983, devenu l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens... ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après qu'un jeune homme a été accidentellement tué par les forces de l'ordre dans le quartier de Lille-Sud au cours de la nuit du 15 au 16 avril 2000, des troubles se sont produits et des dégradations ont été commises à partir du 16 avril au soir et pendant les quarante-huit heures qui ont suivi ; que les dommages indemnisés par la société requérante résultent d'exactions commises dans la nuit du
17 au 18 avril 2000 contre les locaux de la société A.F. Production, propriété de la S.C.I. Les Deux Tilleuls , qui ont été incendiés, ainsi que deux voitures garées dans la cour de l'immeuble ; qu'il résulte de l'instruction que l'incendie a été déclenché par des cocktails molotof lancés par des individus qui n'ont pu être identifiés ; que ces actes délictueux, eu égard notamment à leur caractère organisé et clandestin, ne sauraient être regardés comme commis par un attroupement ou un rassemblement ; que les dommages qu'ils ont causés ne sont donc pas de ceux qui peuvent ouvrir droit à réparation sur le terrain de l'article 92 précité de la loi du
7 janvier 1983 ; que la circonstance qu'une manifestation pacifique de soutien à la famille de la victime se serait déroulée le 17 avril 2000 ne saurait avoir pour effet d'établir la responsabilité de l'Etat sur ce fondement ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les forces de police aient commis une faute en omettant de prendre les mesures de prévention et de répression nécessaires au maintien de l'ordre public ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que le préjudice dont se prévaut la société requérante ait, dans les circonstances de l'espèce, revêtu un caractère spécial ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne peut être recherchée ni sur le terrain de la faute ni sur celui de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, partie perdante, il ne saurait être condamné à verser à la société A.C.E. Europe la somme qu'elle demande au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0004400 en date du 26 juin 2002 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société A.C.E. Europe devant le tribunal administratif de Lille et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société A.C.E. Europe et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Copie sera adressée à la société Air Services Equipements agissant au nom de la société civile immobilière Les Deux Tilleuls et au préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 8 juillet 2004 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 29 juillet 2004.
Le rapporteur
Signé : M. Merlin-Desmartis
Le président de chambre
Signé : G. X...
Le greffier
Signé : B. Y...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
Bénédicte Y...
N° 02DA00805 2