Vu la requête, enregistrée le 8 avril 2002 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée par Mme Catherine X demeurant ... ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 01-2728 en date du 31 décembre 2001 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de la Ferté Milon en date du 5 avril 2001 et du préfet de l'Aisne en date du 6 avril 2001 prononçant son hospitalisation d'office et à la condamnation de la commune et de l'Etat à lui verser une indemnité de 300 000 francs au titre du préjudice subi ;
Elle soutient que l'arrêté municipal du 5 avril 2001 n'est pas suffisamment motivé au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'elle a été obligée de saisir la C.A.D.A. pour obtenir les certificats médicaux ayant servi de base à son hospitalisation d'office ; que le certificat du médecin généraliste qui a servi de fondement à l'arrêté municipal rapporte des faits non constatés personnellement par ce médecin ; qu'il constitue un faux entrant dans les prévisions de l'article 161 du code pénal ; que la fausseté de ces affirmations n'établit pas le certificat de M. Y qui conclut à l'absence de dangerosité de son comportement ; que l'arrêté du préfet de l'Aisne est également insuffisamment motivé au regard des exigences de l'article
L. 342 du code de la santé publique ; que le docteur Z, signataire du certificat médical ayant servi de fondement à l'arrêté préfectoral ne l'a jamais examiné ; qu'il s'agit d'une fausse attestation, délit prévu par l'article 161 du code pénal ; que la Cour peut ordonner une mesure d'expertise pour savoir quel médecin l'a réellement examiné le 6 avril 2001 ; que ledit certificat
Code C Classement CNIJ : 49-05-01-01
ne constate pas des troubles actuels susceptibles de se reproduire dans l'année mais seulement des troubles passés ; que le préfet ne donne aucune précision sur les circonstances ou fait précités qui ont fondé sa décision ; que l'arrêté préfectoral ne pouvait se fonder sur un certificat médical établi par un médecin de l'établissement d'accueil ; que le préjudice subi à raison de ces deux décisions illégales doit être réparé ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 juin 2002, présenté par le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées concluant au rejet de la requête ; il soutient que les conclusions indemnitaires de la requérante doivent être rejetées comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que le certificat médical sur lequel est fondé l'arrêté préfectoral énonce avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire ; que son signataire a bien examiné l'intéressée ; que l'appréciation du bien-fondé de l'hospitalisation relève de la compétence du juge judiciaire ; que l'article L. 3213-1 n'interdit pas que la décision d'hospitalisation repose sur des faits passés ; que l'arrêté préfectoral vise également le certificat du médecin généraliste qui a examiné l'intéressée le 5 avril ; que l'arrêté préfectoral est suffisamment motivé ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2002, présenté par Mme X et tendant aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; que la nécessité de saisir à nouveau le juge judiciaire d'une demande d'indemnisation est contraire à l'exigence du délai raisonnable posée par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que l'article 5 de la même convention s'oppose à ce qu'une personne non aliénée soit internée ;
Vu les mémoires, enregistrés les 5 août et 21 octobre 2002, présentés par le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens ; il ajoute que l'arrêté préfectoral ne peut légalement se fonder sur le certificat médical établi par un médecin généraliste de la Ferté Milon ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 20 septembre et 9 décembre 2002, présentés par Mme X concluant aux mêmes fins que sa requête ; elle soutient que l'arrêté préfectoral ne pouvait légalement se fonder sur le certificat établi par un médecin généraliste, non compétent et non expert dans le domaine psychiatrique ; qu'il aurait du avoir recours à un psychiatre extérieur à l'établissement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 2004 où siégeaient
M. Merloz, président de chambre, Mme Merlin-Desmartis, président-assesseur et M. Le Garzic, conseiller :
- le rapport de Mme Merlin-Desmartis, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Yeznikian, commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté en date du 5 avril 2001 du maire de la Ferté Milon :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juin 1990 : En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision préfectorale, ces mesures sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures ;
Considérant que les mesures prises par un maire en vertu de ces dispositions entrent dans le champ des prévisions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 aux termes duquel doivent être motivées les décisions qui restreignent les libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; que, selon l'article 3 de la même loi, la motivation ainsi exigée doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ;
Considérant que, par arrêté en date du 5 avril 2001, le maire de la Ferté Milon a, en application de l'article L. 3213-2 précité du code de la santé publique, ordonné à titre provisoire l'hospitalisation d'office de la requérante à l'établissement public de santé mentale (E.P.S.M.) de l'Aisne ; qu'il ressort des pièces du dossier que cet arrêté se borne à indiquer que Mme X constitue un danger imminent pour la sécurité des personnes et pour elle-même et que son hospitalisation d'office s'impose d'urgence ; que si l'arrêté fait référence à un certificat médical établi le jour même par un médecin généraliste de la Ferté Milon, la requérante affirme sans être contestée que ce certificat n'était pas annexé à l'arrêté litigieux ; qu'ainsi, ledit arrêté est insuffisamment motivé au regard des exigences des dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ;
Sur la légalité de l'arrêté en date du 6 avril 2001 du préfet de l'Aisne :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juin 1990 applicable à la date de la décision attaquée : A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les préfets prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 322-1 des personnes dont les troubles mentaux compromettent l'ordre public et la sécurité des personnes. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire. Dans les 24 heures suivant l'admission, le directeur de l'établissement d'accueil transmet au représentant de l'Etat dans le département (...) un certificat médical établi par un psychiatre de l'établissement ;
Considérant que, par arrêté en date du 6 avril 2001, le préfet de l'Aisne a, en application de l'article L. 3213-1 précité du code de la santé publique, prononcé l'internement d'office de la requérante à l'E.P.S.M. de l'Aisne ; que l'arrêté préfectoral litigieux indique que les troubles comportementaux présentés par l'intéressée ont été jugés dangereux pour les autres et que la non-reconnaissance des troubles, la dangerosité potentielle niée, le comportement provocateur, l'absence totale de critiques, l'attitude d'opposition à l'entretien et aux soins nécessitent l'hospitalisation d'office sans énoncer avec précision, comme l'exige l'article L. 3213-1 précité du code de la santé publique, les circonstances qui ont rendu nécessaire l'hospitalisation d'office ; que si l'arrêté fait référence tant au certificat médical précité établi le 5 avril 2001 par un médecin généraliste de la Ferté Milon qu'à un deuxième certificat établi le 6 avril 2001 par un médecin de l'établissement hospitalier d'accueil, lesquels sont circonstanciés et décrivent avec précision l'état mental de l'intéressée, Mme X affirme sans être contredite que ces certificats n'étaient pas annexés à l'arrêté attaqué ; qu'ainsi, l'autorité administrative, qui ne s'est pas appropriée le contenu des certificats médicaux et ne les a pas joints à son arrêté, n'a pas satisfait aux exigences de motivation énoncées par les dispositions précitées de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions dirigées contre les arrêtés des 5 et 6 avril 2001 ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
Considérant que, s'il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne un placement d'office, l'autorité judiciaire est seule compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office ; qu'ainsi les conclusions indemnitaires présentées par la requérante doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à l'allocation de dommages et intérêts ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 31 décembre 2001 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de Mme Catherine X contre l'arrêté en date du 5 avril 2001 du maire de la Ferté Milon et l'arrêté en date du 6 avril 2001 du préfet de l'Aisne.
Article 2 : L'arrêté en date du 5 avril 2001 du maire de la Ferté Milon et l'arrêté en date du 6 avril 2001 du préfet de l'Aisne sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Catherine X est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Catherine X, à la commune de la Ferté Milon et au ministre de la santé et de la protection sociale.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 10 juin 2004 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 24 juin 2004.
Le rapporteur
Signé : M. Merlin-Desmartis
Le président de chambre
Signé : G. Merloz
Le greffier
Signé : B. Robert
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la protection sociale en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
Bénédicte Robert
N°02DA00311 6