La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2025 | FRANCE | N°24BX02946

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 27 mars 2025, 24BX02946


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... a demandé au juge des référés du tribunal judiciaire de Paris de prescrire une expertise aux fins d'évaluer les conditions de sa prise en charge de sa conjointe, Mme C... A..., par une série de médecins consultés dans le cadre d'un désir de grossesse, les produits prescrits pouvant être à l'origine du cancer du sein dont elle est décédée en décembre 2017.



Le rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire a conclu à une responsa

bilité partielle du Dr H... D..., gynécologue obstétricien exerçant en Guyane. Ce médecin a alors saisi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... a demandé au juge des référés du tribunal judiciaire de Paris de prescrire une expertise aux fins d'évaluer les conditions de sa prise en charge de sa conjointe, Mme C... A..., par une série de médecins consultés dans le cadre d'un désir de grossesse, les produits prescrits pouvant être à l'origine du cancer du sein dont elle est décédée en décembre 2017.

Le rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire a conclu à une responsabilité partielle du Dr H... D..., gynécologue obstétricien exerçant en Guyane. Ce médecin a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane d'une demande d'expertise au contradictoire du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, qui a été rejetée par une ordonnance du 12 novembre 2024 du président de ce tribunal.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 décembre 2024, le Dr D..., représenté

par Me Taoumi, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de faire droit à sa demande d'expertise pour apprécier la part de responsabilité

du centre hospitalier de Cayenne ;

Il soutient que :

- la requête en référé ne le visait pas à l'origine et sa mise en cause n'a été demandée qu'en cours d'expertise ;

- il est utile de déterminer si Mme A... a reçu seulement, sur sa demande, un neuvième cycle de traitement par stimulation ovarienne au Clomid au centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, ou plusieurs cycles, si elle a été examinée par palpation ou par mammographie ; l'expert ne s'est pas prononcé sur la prise en charge par le Dr E... au centre hospitalier de Cayenne ; la détermination d'une part de responsabilité du CHU aurait nécessairement des conséquences sur la suppression ou diminution de sa propre responsabilité, retenue à 40% des préjudices par l'expert désigné par le tribunal judiciaire ; les enjeux financiers sont lourds, dès lors qu'outre les préjudices de Mme A... et de M. G..., la CPAM a présenté devant le juge judiciaire une demande de remboursement de ses débours à hauteur de 109 350 euros, et l'agent judiciaire de l'Etat a également demandé le remboursement du capital décès et des salaires maintenus à Mme A..., qui était enseignante, pour un montant de 252 536 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2025, le centre hospitalier

de Cayenne, représenté par Me Chiffert, conclut au rejet de la requête et à la condamnation

du Dr D... à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que

- la notification de l'ordonnance du tribunal administratif de la Guyane au Dr D...

le 27 novembre 2024 doit être justifiée pour admettre la recevabilité de son appel ;

- l'expertise sollicitée n'est pas plus utile qu'en 2021, et la demande procède d'une manœuvre dilatoire du Dr D... pour obtenir une contre-expertise et retarder sa condamnation par le tribunal judiciaire ; l'expert désigné par le tribunal judiciaire de Paris disposait du précédent rapport ordonné par la CCI, rendu au contradictoire du CH de Cayenne et mentionnant la consultation du 28 juin 2012 au cours de laquelle la patiente n'avait pas informé le Dr E... de ses antécédents, et avait eu accès au dossier médical du CHAR ; il n'a pas critiqué la prise en charge par celui-ci, et a intégralement réparti la perte de chance entre les autres intervenants, ce qui démontre qu'il n'a pas retenu de faute du centre hospitalier ;

- l'expert a au demeurant retenu à l'encontre du Dr D... une pluralité de fautes, et le débat sur la 9e prescription de stimulation ovarienne est donc inutile, alors au demeurant que les personnes condamnées devant la juridiction civile peuvent effectuer un recours subrogatoire devant la juridiction administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme F... en application du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors âgée de 36 ans et sous traitement dans le cadre d'un désir

de grossesse depuis 3 ans, a découvert une grosseur dans son sein gauche par autopalpation

en octobre 2012. Les examens radiologiques et échographiques prescrits par les médecins consultés n'ont pas immédiatement permis de détecter l'origine de ses douleurs, mais un bilan biologique a décelé une hypercalcémie faisant suspecter des métastases osseuses, et un examen par tomodensitométrie en mars 2013 au centre hospitalier de Kourou, alors géré par l'association Croix-Rouge Française, a révélé des métastases intéressant le bassin, le foie et le poumon, induisant un diagnostic de cancer du sein et la mise en place d'une chimiothérapie qui

s'est compliquée d'un hémopneumothorax nécessitant une antibiothérapie et une transfusion. Mme A... a alors été transférée à Bordeaux pour prise en charge par l'Institut Bergonié et rapprochement familial, et y est décédée le 28 décembre 2017.

2. Mme A... avait saisi la CCI de la Guyane, qui avait ordonné une expertise au contradictoire de quatre médecins et du Centre médico-chirurgical de Kourou, étendue ultérieurement au Dr D... et au centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne. Le rapport déposé en novembre 2015, complété sur la demande de la CCI en mai 2016, estimait que l'absence de mammographie avait fait perdre 30% de chance d'éviter le décès, et imputait cette perte de chance pour 15% au médecin gynécologue libéral et pour 15% au service hospitalier. La CCI a entériné ces conclusions par un avis du 29 novembre 2016 répartissant la part du service hospitalier pour moitié à Kourou et pour moitié à Cayenne. Les assureurs du médecin et des établissements hospitaliers n'ayant pas donné suite, Mme A... a saisi le tribunal judiciaire de Paris d'une demande de condamnation solidaire du CMC de Kourou et des docteurs D..., Lançon, Parent et Daltroff à lui verser une provision, et d'une demande d'expertise. Après son décès, son compagnon et héritier M. G... a repris l'instance.

3. Le tribunal judiciaire de Paris a ordonné le 22 mars 2021 une expertise au contradictoire des médecins libéraux consultés, soit le Dr D..., gynécologue, et trois généralistes. Le rapport déposé par un cancérologue le 14 septembre 2022 reconnait un retard de diagnostic en l'absence de prescription d'une mammographie devant une patiente jeune se plaignant de mastodynies, imputable au Dr D..., consulté entre 2011 et 2012, mais aussi aux quatre médecins qui lui ont succédé. Surtout, il retient que sur 8 cycles de stimulation ovarienne prescrits par le Dr D..., les deux derniers étaient inutiles et que la prescription d'ethynil estradiol qu'il a faite après chaque cycle de Clomid (inducteur de l'ovulation) a contribué à induire la croissance d'une tumeur préexistante et à favoriser la dissémination métastatique. L'expert a ainsi estimé la perte de chance de guérison à 80%, et en a attribué 50% d'imputabilité au Dr D..., les autres 50% étant répartis entre les docteurs Parent, Lançon, Casimir-Léandri (radiologue à la Croix-Rouge) et Daltroff.

4. Le Dr D... a alors saisi le tribunal administratif de la Guyane d'une demande d'expertise complémentaire sur la responsabilité éventuelle du centre hospitalier de Cayenne, en sollicitant du tribunal judiciaire qu'il sursoie à statuer sur le fond. Il relève appel de l'ordonnance du 12 novembre 2024 par laquelle le président du tribunal administratif a rejeté sa demande comme inutile dès lors qu'une éventuelle instance au fond permettrait le cas échéant d'ordonner une nouvelle expertise.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

5. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple demande et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ces dispositions doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. Peuvent être appelées en qualité de parties à une expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article R. 532- les personnes qui ne sont pas manifestement étrangères au litige susceptible d'être engagé devant le juge de l'action qui motive l'expertise.

6. Lorsqu'une demande ne tend qu'à voir ordonner une mesure

d'instruction et que le litige est susceptible de relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction devant lequel cette demande a été présentée, le juge des référés se trouve valablement saisi de celle-ci. Lorsqu'un patient a été successivement traité par un établissement public et un

établissement privé, la circonstance qu'un litige au fond ultérieur pourrait être porté pour partie devant la juridiction judiciaire ne saurait faire obstacle à ce que le juge des référés ordonne, s'il l'estime utile, une expertise au contradictoire de tous les intervenants.

7. Pour contester le rejet de sa demande d'expertise, le Dr D... fait valoir que le Dr E... a prescrit au centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) de Cayenne une neuvième stimulation ovarienne en juin 2012, qu'au regard de l'errance médicale de la patiente il n'est pas impossible qu'elle ait sollicité d'autres médecins pour poursuivre d'autres tentatives, et que seule la consultation du dossier médical au CHAR, qui vient en outre aux droits de l'ancien hôpital privé de Kourou où des examens avaient été pratiqués, permettrait de préciser les responsabilités respectives. Toutefois, ainsi que le souligne le centre hospitalier de Cayenne, le rapport définitif de l'expert judiciaire, qu'il produit dès lors que le requérant n'avait versé au dossier que le pré-rapport, mentionne que l'expert a eu connaissance du dossier médical du CHAR, et qu'il a tenu compte de l'existence d'une neuvième stimulation ovarienne rappelée dans l'historique de la patiente, sans en tirer de conséquences quant à la responsabilité éventuelle de l'hôpital public. S'il est exact que l'expert n'avait pas mission de rechercher si une part de responsabilité pouvait être imputée au centre hospitalier public, rien ne semblait faire obstacle à ce qu'il fasse des observations sur ce point au regard des documents dont il disposait, et il a d'ailleurs admis que la croissance de la tumeur a été stimulée par les 8 cycles d'induction de l'ovulation prescrits par le Dr D... et par le 9e prescrit au CHAR.

8. Au regard des deux expertises déjà disponibles, dont l'une au contradictoire du CHAR, il n'appartiendrait qu'au juge du fond éventuellement saisi d'apprécier les conséquences à tirer de la définition de la deuxième mission d'expertise quant à la nécessité d'une nouvelle expertise, et c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande du Dr D... comme ne présentant pas en l'état le caractère d'utilité requis.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non- recevoir opposée en défense, la requête du Dr D... doit être rejetée, ensemble ses conclusions au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par le CHAR.

ORDONNE :

Article 1er : La requête du Dr D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CHAR présentées sur le fondement des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Dr H... D..., au centre hospitalier de Cayenne, et à M. B... G.... Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'agent judiciaire de l'Etat.

Fait à Bordeaux, le 27 mars 2025.

La juge d'appel des référés,

Catherine F...

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

N° 24BX02946

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24BX02946
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TAOUMI OLIVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-27;24bx02946 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award