Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société GTM Guadeloupe a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune des Abymes, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser à titre de provision une somme de 130 836,25 euros toutes taxes comprises.
Par une ordonnance n° 2300025 du 16 mai 2023, le juge des référés du tribunal a fait droit à la demande de la société GTM Guadeloupe.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 31 mai 2023 et le 21 juin 2023, la commune des Abymes, représentée par son maire en exercice et ayant pour avocat Me Heymans, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 mai 2023 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) de rejeter la demande de la société GTM ;
3°) à titre subsidiaire, à être garantie des condamnations éventuellement prononcées à son encontre par la société Icade Promotion ;
4°) de mettre à la charge de la société GTM Guadeloupe la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que la créance invoquée par la société GTM Guadeloupe présentait un caractère non sérieusement contestable ; ainsi, la somme réclamée par la société devant le juge des référés était nettement inférieure à celle mentionnée dans le décompte général et définitif du marché ; il existait dès lors une incertitude sur le montant de la créance réclamée ;
- elle avait signé une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée avec la société Icade Promotion aux termes de laquelle cette dernière était chargée de régler les sommes dues à la société GTM Guadeloupe ; contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés, elle a répondu à l'avance de fonds réclamée par Icade Promotion pour le paiement des entreprises ; il appartenait dès lors au mandataire et à lui seul de procéder à ce règlement ; c'est à tort que le juge des référés a déduit du courrier de la société Icade Promotion du 1er mars 2023 que la commune n'avait pas procédé à l'avance de fonds sollicitée ; le mandataire disposait bien des fonds pour régler les entreprises, et notamment la société GTM Guadeloupe ;
- à titre subsidiaire, elle serait fondée à appeler en garantie la société Icade Promotion qui n'a pas respecté les obligations découlant du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée en ne réglant pas à la société Icade Promotion les sommes dues en dépit des avances de fonds effectuées.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 septembre 2023, la société GTM Guadeloupe, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune des Abymes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par une ordonnance n° 23BX01470 du 20 novembre 2023, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé l'ordonnance n° 2300025 du 16 mai 2023 du juge des référés du tribunal et a rejeté la demande d'indemnité provisionnelle présentée par la société GTM Guadeloupe.
Par une décision n° 490688 du 21 mai 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'ordonnance du juge d'appel des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, et lui a renvoyé l'affaire.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2024, la commune des Abymes persiste dans ses conclusions antérieures, en portant toutefois à 6 000 euros le montant de la somme demandée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle reprend ses moyens précédents et ajoute que l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors que le juge des référés n'a pas statué sur ses conclusions subsidiaires aux fins d'appel en garantie de la société Icade Promotion.
Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2024, la société la société GTM Guadeloupe conclut à la condamnation de la commune des Abymes à lui verser la somme de 35 514,64 euros au titre des intérêts moratoires, arrêtés à la date du 7 mars 2024 et à parfaire, ainsi que la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle reprend ses moyens précédents, en ajoutant qu'elle a parfaitement justifié du montant demandé en dernier lieu, et que si la société Icade Promotion lui a versé le 27 février 2024 la somme de 132 232,85 euros correspondant au montant actualisé des travaux réalisés, les intérêts moratoires, dont le montant s'élève à 35 514,64 euros au 7 mars 2024, lui restent dus.
Par une ordonnance du 27 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 décembre 2024 à 12h00.
Le président de la cour a désigné M. B... A... comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre d'un marché de travaux publics portant sur la reconstruction d'une école, la société GTM Guadeloupe a été désignée attributaire du lot n° 2 " Bâtiment " par un acte d'engagement signé le 7 décembre 2015 avec la société Icade Promotion, mandataire de la commune des Abymes, maître de l'ouvrage. Le montant définitif de ce marché a été fixé, après avenants, à 12 417 943,71 euros toutes taxes comprises (TTC). Les travaux du lot n° 2 ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception avec des réserves qui ont été levées le 22 octobre 2020. Le décompte général et définitif du lot n° 2 du 15 juin 2021 a fait apparaître, au profit de la société GTM Guadeloupe, un solde créditeur de 273 164,14 euros TTC. Par un courriel du 13 avril 2022, la société GTM Guadeloupe a demandé à la société Icade Promotion, maître de l'ouvrage délégué, le versement des sommes lui restant dues au titre de l'exécution financière de son marché. En l'absence de réponse à sa demande, la société a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la condamnation de la commune des Abymes à lui verser une provision de 130 836,25 euros TTC, avec intérêts de retard de droit à parfaire, soit une somme totale de 173 813,55 euros. Par une ordonnance du 16 mai 2023, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à la demande de la société GTM Guadeloupe. La commune des Abymes relève appel de cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
3. La commune des Abymes, par son mémoire en défense présenté devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, avait demandé à ce dernier de condamner la société Icade Promotion à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre. Le juge des référés, alors qu'il a condamné la commune des Abymes à payer à la société GTM Guadeloupe l'indemnité provisionnelle sollicitée par celle-ci, a omis de statuer sur l'appel en garantie formé par la commune à l'encontre de la société Icade Promotion. Il y a lieu, dès lors, d'annuler l'ordonnance du 16 mai 2023 en tant qu'elle n'a pas statué sur ces conclusions.
4. Il y a lieu pour le juge d'appel des référés de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions principales de la requête et de se prononcer par la voie de l'évocation sur les conclusions subsidiaires à fin d'appel en garantie.
Sur les responsabilités :
En ce qui concerne les conclusions d'appel principales :
5. Aux termes de l'article 3 de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique, applicable au marché en litige et repris en substance aux articles L. 2422-6 et suivants du code de la commande publique : " Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle qu'il a arrêtés, le maître de l'ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention (...) l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d'ouvrage : / (...) 5° Versement de la rémunération (...) des travaux ; (...) Le mandataire n'est tenu envers le maître de l'ouvrage que de la bonne exécution des attributions dont il a personnellement été chargé par celui-ci. Le mandataire représente le maître de l'ouvrage à l'égard des tiers dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées jusqu'à ce que le maître de l'ouvrage ait constaté l'achèvement de sa mission (...) ". Aux termes de l'article 2 du contrat par lequel la commune des Abymes a délégué à la société Icade Promotion la maîtrise d'ouvrage des travaux du marché en litige : " Définition de la mission et des obligations des cocontractants. (...) Le mandat est dit " financier (...) Le mandataire est autorisé à percevoir les subventions allouées à l'opération pour le compte de la ville. Elles seront imputées directement sur le compte de l'opération. Elles seront appelées par le mandataire (...) ". Aux termes de l'article 5 du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée : " Modalités de règlement des sommes dues à la société (...) / Les versements ultérieurs se feront au prorata des versements effectués, conformément à l'article 15 du Cahier des Clauses Générales. Le paiement du solde du coût définitif interviendra dès présentation des décomptes généraux et définitifs ".
6. Il appartient aux constructeurs, s'ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d'ouvrage dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d'ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire, y compris dans le cas où ce dernier a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu'il intervient au nom et pour le compte du maître d'ouvrage, et n'est pas lui-même partie à ces marchés. Le cas échéant, le maître d'ouvrage dont la responsabilité est susceptible d'être engagée à ce titre peut appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu'il a conclu avec lui. La responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage à l'égard des constructeurs, qui ne peut jamais être mise en cause sur le terrain contractuel, ne peut l'être, sur le terrain quasi-délictuel, que dans l'hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d'ouvrage et son mandataire. En revanche, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l'inexécution de ce contrat.
7. Il ressort des pièces du dossier que la créance dont se prévaut la société GTM Guadeloupe correspond au solde restant dû, après paiement partiel, du décompte général et définitif du marché liant cette société à la commune des Abymes, maître de l'ouvrage. Dès lors, cette dernière n'est pas fondée à invoquer une incertitude quant au montant de la créance réclamée par la société GTM Guadeloupe. Par ailleurs, eu égard aux principes rappelés au point 6, la commune des Abymes ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il appartenait à la société Icade Promotion, dans le cadre de sa mission de maîtrise d'ouvrage déléguée, de procéder au versement des sommes dues au titre des travaux exécutés. Ainsi, la créance détenue par la société GTM Guadeloupe n'est sérieusement contestable ni dans son principe, ni dans son montant.
8. Par suite, la commune des Abymes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à verser à la société GTM Guadeloupe une indemnité provisionnelle de 130 836,25 euros majorée des intérêts dus en application de l'article L. 2192-13 du code de la commande publique.
En ce qui concerne les conclusions subsidiaires d'appel en garantie :
9. Il résulte de l'instruction que le décompte général et définitif du 15 juin 2021 faisait apparaître que la commune des Abymes restait redevable, envers la société GTM Guadeloupe, des sommes respectives de 168 960,16 euros, 118 167,47 euros et 36 872,21 euros (TTC) au titre des sous-lots " gros œuvre ", " charpente bois " et " serrurerie " du marché. Le 15 juin 2021, la société Icade Promotion a adressé à la commune un appel de fonds n° 30 d'un montant de 722 184,85 euros TTC. Au 12 novembre 2021, la commune des Abymes a établi un état récapitulatif des appels de fonds, au nombre de trente, émanant de la société Icade Promotion pour un montant total de 14 806 819,85 euros TTC représentant un taux d'avancement de 97,81 % de l'exécution financière du marché. Cet état récapitulatif incluait l'appel de fonds n° 30, et il apparaît au vu du document intitulé " mémoire des dépenses pour le groupe scolaire du Raizet " que les sommes précitées de 168 960,16 euros, 118 167,47 euros et 36 872,21 euros ont été réglées par la commune à son mandataire le 18 février 2022 au titre de l'appel de fonds n° 30, validé par le comptable public le 5 mai 2022. Par un courriel du 1er mars 2023, la société Icade Promotion a ensuite adressé à la commune des Abymes un appel de fonds n° 31 pour lui permettre de procéder au règlement de sommes restant dues au titre des lots du marché. Toutefois, il apparaît que cet appel de fonds ne concernait pas la société GTM mais d'autres intervenants au marché, ainsi que l'établit le document intitulé " AF 31 - mémoire des dépenses pour le groupe scolaire du Raizet ".
10. Dans ces conditions, il apparaît que la société Icade Promotion disposait, antérieurement à la décision du juge des référés, des fonds lui permettant de régler les sommes restant dues à la société GTM Guadeloupe. En exécution de la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée, il incombait donc à la société Icade Promotion, et non à la commune des Abymes, de procéder à ce versement. Dès lors, les conclusions de cette dernière tendant à être garantie par la société Icade Promotion de la condamnation prononcée à son encontre doivent être accueillies.
11. Par suite, la commune des Abymes est fondée à appeler la société Icade Promotion à la garantir de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise sur leur fondement à la charge de la société GTM Guadeloupe, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune des Abymes une somme de 1 500 euros à verser à la société GTM Guadeloupe en application des mêmes dispositions.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés n° 2300025 du 16 mai 2023 est annulée en tant qu'elle omet de statuer sur l'appel en garantie formé par la commune des Abymes à l'encontre de la société Icade Promotion.
Article 2 : La société Icade Promotion est condamnée à garantir la commune des Abymes de la condamnation prononcée à son encontre par l'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 16 mai 2023.
Article 3 : La commune des Abymes versera la somme de 1 500 euros à la société GTM Guadeloupe sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune des Abymes, à la société GTM Guadeloupe et à la société Icade Promotion.
Fait à Bordeaux, le 17 décembre 2024.
Le juge d'appel des référés,
B... A...
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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N° 24BX01241