Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... Caillaud a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges à lui verser une provision d'un montant global de 2 312 500 euros, après application d'un taux de perte de chance de 50 %, sur la réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge par l'établissement depuis juillet 2009, et une provision ad litem de 25 000 euros.
Par ordonnance n° 2301714 du 25 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a alloué une provision de 93 721,34 euros et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024, et des mémoires enregistrés les 22 août et 4 septembre 2024, M. Caillaud, représenté par la SCP Giroire Revalier, demande au juge d'appel des référés :
1°) de réformer cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de condamner le CHU de Limoges à lui verser une provision de 2 312 500 euros sur l'indemnisation de ses préjudices, outre une provision ad litem de 25 000 euros ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Limoges une somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'obligation du CHU n'est pas sérieusement contestable : l'expert a relevé dans le rapport rendu en 2014 un grand nombres de fautes, notamment l'arrêt prématuré de la surveillance clinique et radiologique, le choix en janvier 2012 d'une exérèse partielle du kyste sentinelle seul et non de la tumeur associée, l'absence de référence à l'APHP, conventionnée avec le CHU, pour une opération délicate et non urgente de neurochirurgie pédiatrique, alors que le chirurgien de Limoges n'avait pas les compétences nécessaires, et l'exérèse tardive de la tumeur ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la paraplégie n'était pas installée avant l'intervention de janvier 2012, et les fautes relevées sont bien à l'origine des préjudices subis ;
- c'est à tort que le premier juge, omettant de prendre en compte le suivi défaillant depuis 2010, a retenu un taux de perte de chance de 25 % au regard des conséquences de l'intervention chirurgicale, auquel il applique de surcroît sans s'en expliquer un taux de 25 % ; il y a lieu de retenir le taux de 50 % fixé par l'expertise, et alors que le CHU proposait en première instance un taux de 30 %, le premier juge ne pouvait retenir 6 % ; alors qu'il n'a perçu aucune indemnisation depuis 2009, le débat sur la perte de chance ne saurait retarder une provision minimale ;
- le préjudice lié au besoin d'aide par une tierce personne avant la consolidation a été justement évalué, avant application de la perte de chance, à 148 300,03 euros et cette aide ayant été apportée par sa mère, il n'a perçu aucune compensation financière ; sa demande de 4 heures par jour n'est pas nouvelle en appel, et le premier juge lui a accordé par erreur plus que la demande de 145 600 euros présentée à ce titre, qu'il réitère ;
- c'est à tort que le premier juge a refusé d'indemniser les dépenses de santé futures, alors que des factures ne sauraient être exigées et que les montants demandés sont calculés sur le reste à charge après prise en compte de la part des organismes sociaux pour l'achat et le renouvellement d'un lit médicalisé, d'un fauteuil roulant manuel et d'un fauteuil roulant électrique ; il y aura lieu de capitaliser également l'achat des roues motorisées Weeldrive améliorant le fauteuil manuel et l'achat d'un fauteuil tout-terrain ; il demande pour ces frais une provision de 1 000 000 euros ;
- la circonstance qu'il ne disposait pas encore d'un permis de conduire, qu'il a obtenu depuis, et que l'expertise n'a pas spécifié le gabarit du véhicule nécessaire pour permettre le transport d'un fauteuil électrique ne permettait pas de rejeter sa demande concernant les frais de véhicule adapté, qui doit être accueillie à hauteur de 1 720 000 euros alors que la MDPH refuse d'évaluer une hypothétique prise en charge avant tout achat ; il n'a pris en compte que le surcoût par rapport à son véhicule actuel et les frais d'adaptation ;
- le taux horaire pour rémunération d'une tierce personne ne saurait être diminué pour la période postérieure à la consolidation, et doit être retenu pour 24 euros, justifiant pour une heure par jour une somme de 60 888 euros du 31 juillet 2016 au 8 juillet 2024, et une somme
de 656 396,31 euros après cette période ; il y a lieu de majorer ces sommes au titre des congés payés, et il sollicite 760 000 euros au titre de l'aide définitive, pour lui permettre de rémunérer une personne en dépit de sa précarité ;
- compte tenu de la découverte d'une paraplégie à l'âge de 13 ans et de la longueur des hospitalisations, le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé sur la base de 50 euros par jour, sans en retirer la période du 13 au 25 juillet 2009, et en estimant le déficit partiel
du 25 juillet 2009 au 4 janvier 2012 à 50 %, et ensuite du fait de la paraplégie à 90 % jusqu'à la consolidation de 2016 ; il demande donc 99 400 euros pour ce poste de préjudice ;
- les souffrances endurées pendant 7 ans, cotées 6 sur 7 par l'expert, justifient une provision de 50 000 euros ;
- l'ordonnance peut être confirmée quant à l'évaluation à 25 000 euros du préjudice esthétique temporaire ;
- le déficit fonctionnel permanent, estimé à 65 % par l'expert, n'a pas pris en compte la perte de qualité de vie et doit être évalué à 75 % et indemnisé à hauteur de 525 000 euros ;
- l'impossibilité de pratiquer le football en club et le vélo justifie de porter l'indemnisation du préjudice d'agrément à 20 000 euros ;
- une provision de 35 000 euros est demandée pour le préjudice esthétique permanent ;
- le préjudice sexuel est important et justifie une provision de 70 000 euros ;
- le préjudice d'établissement doit être indemnisé à hauteur de 150 000 euros ;
- afin de faire face aux frais d'avocat pour le litige au fond et la prochaine expertise, il demande une provision ad litem de 25 000 euros ;
- après application du taux de 50 % de perte de chance, la provision totale demandée est de 2 312 500 euros.
Par des mémoires enregistrés les 9 et 29 août 2024, 3 octobre, 15 et 19 novembre 2024, le CHU de Limoges conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident à ce que les sommes allouées soient ramenées à de plus justes proportions, et au rejet de la demande de la mutualité sociale agricole (MSA).
Il soutient que :
- les conclusions sont irrecevables en tant qu'elles excèdent la somme
de 2 312 500 euros demandée en première instance ;
- son médecin conseil a estimé qu'en l'absence de faute dans le geste opératoire, il ne pouvait être reproché au chirurgien sa prudence quant à l'abord délicat de la tumeur en
janvier 2012, et rien n'obligeait le CHU à mettre en œuvre le protocole d'accord avec l'APHP, où l'enfant n'aurait pas nécessairement été mieux opéré alors que les cas de tumeurs médullaires sont rares et l'expérience de tout neurochirurgien nécessairement réduite ; c'est donc seulement au regard de l'arrêt prématuré de la surveillance par IRM en 2010 qu'il y a lieu en référé d'évaluer la perte de chance ;
- c'est à bon droit que le premier juge a évalué la perte de chance non sérieusement contestable à 6 % ;
- l'expert n'ayant pas quantifié les besoins d'aide par une tierce personne pour la période antérieure à la consolidation du 31 juillet 2016, c'est à tort que le tribunal a retenu un préjudice de 148 300,03 euros à ce titre, et le requérant n'établit pas le besoin de quatre heures qu'il allègue ; au demeurant, le requérant n'a pas fourni d'indications sur les éventuelles aides perçues, qui viendraient en déduction, notamment la prestation de compensation du handicap ; le taux horaire ne saurait excéder 13 euros ;
- c'est également à tort que le juge des référés n'a pas appliqué aux frais d'adaptation du véhicule, au préjudice esthétique permanent, au préjudice sexuel, au préjudice d'établissement et au préjudice d'agrément le taux de perte de chance retenu ;
- le déficit fonctionnel temporaire devrait être indemnisé sur la base de 13 euros par jour conformément à la jurisprudence, et non de 15 euros, et là encore la provision aurait dû tenir compte du taux de perte de chance ;
- le préjudice esthétique temporaire a été surévalué par l'expert à 4,5/7 et l'indemnisation allouée par le tribunal est excessive ;
- la demande de frais futurs de santé n'est pas justifiée alors qu'aucune dépense n'est restée jusqu'à présent à la charge de M. Caillaud ;
- le requérant ne peut prétendre au coût d'acquisition d'un véhicule, et l'expertise ne précise pas la nécessité d'acquérir un fauteuil roulant électrique, si bien que la nécessité d'un véhicule de grand gabarit n'est pas établie ; la créance n'est donc avérée que pour les frais d'adaptation, alors au demeurant que la MDPH est susceptible de les prendre partiellement en charge ;
- l'assistance par une tierce personne pour l'avenir ne peut être indemnisée au-dessus
de 14 euros par heure, et les aides éventuellement perçues ne sont pas connues ;
- M. Caillaud n'apporte aucun élément médical permettant de modifier le taux de déficit fonctionnel permanent de 65 % retenu par l'expert, et l'évaluation à 170 000 euros de ce préjudice est suffisante ;
- les provisions de 3 000 euros pour le préjudice d'agrément, de 10 000 euros pour le préjudice esthétique permanent, de 10 000 euros pour le préjudice sexuel et de 20 000 euros pour le préjudice d'établissement sont suffisantes également ;
- la MSA ne justifie toujours pas de frais exclusivement imputables au manquement relevé, il s'oppose en tout état de cause à une capitalisation, et subsidiairement il conviendrait d'appliquer le taux de perte de chance sur ces frais.
Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2024, régularisé par Me Reix
le 7 novembre 2024, la MSA du Limousin, représentée par la MSA Dordogne/Lot-et-Garonne, demande la condamnation du CHU de Limoges à lui verser la somme de 358 505,43 euros au titre de ses débours arrêtés à la date de consolidation et de ses frais futurs, ainsi que les sommes
de 1 191 euros et 2 000 euros au titre respectivement de l'indemnité forfaitaire de gestion et des frais d'instance ;
Le président de la cour a désigné, par une décision du 1er septembre 2024, Mme Catherine Girault, présidente de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... Caillaud, alors âgé de 11 ans, a été victime le 8 juillet 2009 d'une chute qui lui a provoqué de vives douleurs cervico-dorsales qui sont allées s'aggravant malgré la prescription d'antalgiques et d'anti-inflammatoires et l'objectivation radiographique d'absence de fracture. Devant ce tableau clinique, il a été adressé le 13 juillet 2009 par le médecin traitant à l'hôpital de Guéret, où un scanner a relevé une hyperdensité de signal sub-arachnoïdienne cervico-dorsale, et en état hyperalgique, il a été transféré le même jour en service de pédiatrie au centre hospitalier universitaire de Limoges. Une IRM pratiquée le 15 juillet 2009 a révélé un hématome épidural, d'apparence déjà ancienne, en situation pré-médullaire, s'étendant de la septième vertèbre cervicale à la cinquième vertèbre thoracique. Cet hématome a été évacué par une intervention chirurgicale le 17 juillet 2009, dont les suites ont été favorables, ce que confirmaient des IRM de contrôle effectuées les 22 juillet et 29 octobre suivants. Toutefois, cette dernière montrait deux collections résiduelles à chacune des extrémités de la zone opérée et un kyste arachnoïdien intra-dural rétro-médullaire. Au vu de la stabilité de l'imagerie médicale suivante du 3 mai 2010 et de la récupération clinique et fonctionnelle très satisfaisante, le chirurgien a décidé le 4 juin 2010 de mettre fin à la surveillance systématique par IRM.
2. Toutefois, à la suite d'une rapide altération de la motricité apparue en novembre 2011 au membre inférieur gauche, M. Caillaud a bénéficié sur consultation en pédiatrie au CHU de Limoges d'une nouvelle IRM le 5 janvier 2012. Celle-ci a mis en évidence, outre le kyste arachnoïdien, une masse tumorale volumineuse compressive au niveau de l'hématome opéré en juillet 2009. Une reprise chirurgicale d'exérèse a été indiquée en collège neurochirurgical et réalisée le 6 janvier 2012 par le même chirurgien. Celui-ci, s'il est parvenu à l'exérèse du kyste, a renoncé, après plusieurs approches, à aborder la tumeur devant le caractère dangereux du geste. Les suites opératoires ont été marquées par l'apparition au réveil, puis la permanence d'une paraplégie sensitivo-motrice complète, quoique les investigations postérieures n'aient pas montré de signe de contusion médullaire per ou post-opératoire. Alors que M. Caillaud était transféré en service de rééducation le 20 janvier 2012, le CHU de Limoges n'est pas parvenu à obtenir l'avis du service référent, par convention, de l'hôpital Necker à Paris. M. Caillaud a dans ces conditions été adressé au service de neurochirurgie pédiatrique de Tours. Une IRM de contrôle du 27 mars 2012 mettait en évidence l'évolutivité de la masse tumorale et maintenait le doute sur sa nature histologique. Devant cette aggravation, et parallèlement celle du tableau clinique malgré la poursuite de la rééducation, lors d'une hospitalisation du 1er au 13 avril 2012 à Tours, une nouvelle intervention d'exérèse a été réalisée le 10 avril 2012, cette fois avec succès mais sans obtenir de régression de la paraplégie, ce qui n'était pas le but de cette intervention. Les examens histologiques ont identifié le caractère bénin de la tumeur, qui correspondait à un neurinome, de type schwannome, mais les IRM postérieures révélaient un reliquat tumoral conduisant à une surveillance stricte d'une possible récidive, laquelle s'est produite rapidement sur fond de dégradation clinique, et a nécessité une reprise chirurgicale le 5 juin 2013. Cette dernière, comme l'intervention initiale, n'a pas amélioré la paraplégie. M. Caillaud, qui est rentré à domicile le 18 juin 2013, a poursuivi sa scolarité.
3. Saisi par M. Caillaud, le président du tribunal administratif de Limoges a ordonné une expertise médicale le 3 octobre 2013 aux fins de déterminer les conditions dans lesquelles il a été pris en charge au centre hospitalier universitaire de Limoges depuis le 13 juillet 2009, d'évaluer le lien entre les séquelles dont il est atteint et cette prise en charge et d'estimer ses préjudices, et, par une seconde ordonnance du 8 décembre 2016, une nouvelle expertise médicale aux fins de préciser l'état de santé consolidé de M. Caillaud et son évolution le cas échéant, ainsi que d'actualiser ses préjudices. Les rapports, réalisés par le même neurochirurgien, ont été déposés respectivement les 26 mars 2014 et 10 juin 2017.
4. Faisant valoir des fautes dans sa prise en charge par le centre hospitalier universitaire de Limoges, M. Caillaud, qui a saisi le juge du fond d'une requête indemnitaire après une demande préalable adressée à l'établissement le 12 juillet 2023, a demandé au juge des référés la condamnation de ce dernier à lui verser une provision d'un montant global de 2 312 500 euros, après application d'un taux de perte de chance de 50 %, sur la réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, et une provision ad litem de 25 000 euros. Il relève appel de l'ordonnance du 25 juin 2024 par laquelle ce juge a limité à 93 721,34 euros la provision allouée.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
5. Contrairement à ce que soutient M. Caillaud, le premier juge s'est expliqué, au point 7 de son ordonnance, sur la combinaison qu'il a faite des pertes de chance évaluées par l'expert pour la période antérieure à l'opération et celle qui lui est postérieure. La critique du bien-fondé de ce raisonnement ne relève pas de la régularité de l'ordonnance, qui est ainsi suffisamment motivée.
Sur le caractère non sérieusement contestable de la créance :
6. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
S'agissant de la responsabilité :
7. Il ressort des expertises que l'IRM médullaire de contrôle de mai 2010 montrait toujours un hypersignal en T2-T3 et un kyste arachnoïdien intra-dural de T6 à T8. Dans ces conditions, et alors même que l'examen clinique était bon, l'arrêt de la surveillance régulière par IRM a été regardé comme erroné par l'expert, et le CHU ne conteste pas sérieusement la faute ainsi commise, qui a fait obstacle à une exérèse rapide de la tumeur avant qu'elle ne grossisse et occasionne en novembre 2011 des difficultés motrices du membre inférieur gauche. Si le CHU conteste en revanche que le choix du chirurgien, en janvier 2012, de ne retirer que le kyste et non la tumeur jointe, soit fautif au regard des difficultés de l'opération, et suggère que l'envoi du patient à Paris pour l'application de la convention le liant à l'APHP pour la neurochirurgie pédiatrique, pour laquelle le Dr A... n'avait pas les qualifications requises, n'aurait pas nécessairement amélioré les résultats de l'opération au regard de la rareté de cette pathologie, il n'en reste pas moins que le jeune adolescent a perdu une chance d'être opéré plus tôt pour une exérèse complète sans séquelles. Au regard des chances de succès de l'opération telles qu'évaluées par l'expert, qui qualifie l'exérèse réussie de tumeurs pré-médullaires " d'exploits " et relève que celle en cause était plus difficile à extirper du fait des adhérences créées par des saignements antérieurs, cette perte de chance doit être regardée comme non sérieusement contestable à hauteur de 25 %, sans qu'il y ait lieu de combiner les deux pertes de chance retenues successivement par l'expert, pour le retard de surveillance et pour le retard de réopération après l'exérèse incomplète, pour réduire, comme l'a fait le premier juge, le taux retenu.
S'agissant des préjudices :
8. La seconde expertise a fixé la date de consolidation de M. Caillaud au 31 juillet 2016, fin d'un deuxième séjour en centre de rééducation, quelques mois après qu'il a atteint sa majorité. Au regard de la nature des préjudices dont l'indemnisation est demandée, il y a lieu, contrairement à la distinction opérée par le premier juge, d'appliquer le taux de perte de chance sur l'ensemble de ces préjudices.
9. En premier lieu, M. Caillaud fait état de dépenses de santé pour l'achat et le renouvellement d'un lit médicalisé, d'un fauteuil roulant manuel et d'un fauteuil roulant électrique, ainsi que du besoin d'un achat de roues motorisées Weeldrive améliorant le fauteuil manuel et de l'achat d'un fauteuil tout-terrain compte tenu de l'environnement agricole dans lequel il évolue. Toutefois, l'expert a seulement noté la nécessité de renouveler le fauteuil roulant, et M. Caillaud n'établit pas que ces frais devraient rester partiellement à sa charge alors qu'il pourrait bénéficier d'aides spécifiques. Il en va de même pour les cannes anglaises, coussins anti-escarres et matériel d'auto-sondages normalement pris en charge par la sécurité sociale. En l'état, la demande de frais capitalisés à hauteur de 1 000 000 euros n'apparaît revêtir le caractère d'une créance non sérieusement contestable qu'à hauteur de la part de l'assuré pour les frais d'achat d'un lit médicalisé, qui s'élève, selon le devis fourni, à 4 172 euros. La capitalisation des frais futurs de renouvellement relèvera du juge du fond, une fois confirmés le coût et la part prise en charge par des organismes sociaux ou mutualistes.
10. En deuxième lieu, M. Caillaud a passé son permis de conduire et dispose de sa propre voiture, acquise d'occasion, depuis octobre 2016. Il est ainsi autonome pour ses déplacements et n'établit pas la nécessité d'acquérir un Multivan pour transporter un fauteuil électrique. S'il a dû équiper son véhicule d'un dispositif " tout au volant ", il n'a pas individualisé ce coût. En l'état, la créance pour aménagement du véhicule ne peut donc être retenue.
11. En troisième lieu, M. Caillaud avait lui-même évalué au cours de l'expertise
de 2017 son besoin d'aide par une tierce personne à une heure par jour à compter de 2014, ce qui a été retenu par l'expert, qui n'a cependant pas distingué la période avant consolidation et la période postérieure. Rien ne justifie dans la situation du requérant, qui est autonome pour l'hygiène et peut faire quelques pas à l'intérieur de sa maison, de porter ce besoin pour l'avenir à quatre heures par jour, et la quotité au cours de la première année étant discutée, il y a lieu de retenir un minimum d'une heure par jour. Si le requérant n'a pas justifié, par la seule affirmation que cette aide lui a été apportée par sa mère, l'absence de perception de compensations financières de type prestation de compensation du handicap, le centre hospitalier ne saurait s'en prévaloir pour faire obstacle à une indemnisation provisoire, dès lors qu'au regard du taux réduit de la perte de chance, la probabilité que l'indemnisation cumulée avec d'éventuelles aides à percevoir soit supérieure au coût de cette assistance est faible. En retenant comme base minimale un taux du SMIC majoré des charges alors voisin de 14 euros, il y a lieu de fixer la part non sérieusement contestable de la créance à 20 230 euros jusqu'à la consolidation du 31 juillet 2016, et sur la base d'un taux moyen de 15 euros à 45 690 euros du 1er août 2016 à la date de la présente ordonnance. Pour l'avenir, afin de permettre à l'intéressé d'engager le cas échéant une aide au taux en vigueur sur le marché, une année de test sur la base de 24 euros par heure, taux qui intègre tous les coûts afférents, peut également être regardée comme une créance non sérieusement contestable, soit une somme de 8 760 euros. Le préjudice au titre de l'assistance par une tierce personne peut ainsi être provisoirement évalué a minima à 74 680 euros, et l'appréciation du reste sera à soumettre au juge du fond.
12. En quatrième lieu, le déficit fonctionnel total subi pendant une période de 228 jours, dont il y a bien lieu d'écarter la première hospitalisation subie en 2009, doit être évalué, sur une base de 20 euros par jour, à 4 560 euros.
13. En cinquième lieu, aucun déficit temporaire partiel ne peut être retenu avant l'apparition de la paraplégie en 2012, et la période postérieure aux hospitalisations liées à l'opération de 2012 doit être retenue, comme l'a relevé le premier juge, pour le déficit de 70 % indiqué par l'expert. Sur une base relevée de 15 à 20 euros par jour de déficit total, ce préjudice peut être évalué pour 1 445 jours à 20 230 euros.
14. En sixième lieu, l'expert a expliqué en réponse à un dire que M. Caillaud n'est pas atteint d'une paraplégie complète, et aucun élément médical n'étant fourni pour contester le déficit fonctionnel permanent de 65 % qu'il a évalué, il y a lieu de fixer la base non contestable d'évaluation de ce préjudice à 250 000 euros.
15. En septième lieu, l'expert a estimé que les souffrances importantes endurées, qu'il a cotées 6/7, sont pour moitié imputables à la pathologie elle-même. Dans ces conditions, la base de 25 000 euros retenue par le premier juge n'est pas insuffisante.
16. En huitième lieu, au regard des constatations de l'expert, le préjudice sexuel pourra être indemnisé sur une base minimale de 15 000 euros, et celle du préjudice d'établissement pourra être portée à 30 000 euros.
17. En neuvième lieu, le préjudice esthétique temporaire lié notamment au confinement en fauteuil roulant pendant les quatre années précédant la consolidation, dont le CHU conteste la fixation par le premier juge à 25 000 euros, justifie a minima une évaluation à 15 000 euros,
et la part non sérieusement contestable du préjudice esthétique permanent doit également être portée à 15 000 euros.
18. En dixième lieu, la base d'indemnisation du préjudice d'agrément lié à la privation des sports pratiqués auparavant peut être portée de 3 000 à 5 000 euros.
19. Enfin, le requérant ne critique pas les motifs par lesquels le premier juge a écarté sa demande de provision ad litem, qu'il y a donc lieu d'adopter.
20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le CHU, devenue sans objet, que la part non sérieusement contestable des préjudices allégués s'élève à 458 642 euros. Il y a lieu d'appliquer le taux de perte de chance de 25 %, et la provision allouée à M. Caillaud doit ainsi être portée à 114 660 euros.
Sur les conclusions de la MSA du Limousin :
21. La MSA se borne à produire le détail des dépenses exposées depuis
le 6 janvier 2012. Toutefois, l'intervention d'exérèse de la tumeur qui a eu lieu à cette date aurait été nécessaire même si celle-ci avait été détectée plus tôt, et la discussion sur la pertinence du mode opératoire, qui soulève des difficultés qu'il appartiendra au juge du fond de trancher, a des répercussions sur l'imputabilité des frais ultérieurs à une faute éventuelle en lien avec le dommage. Dans ces conditions, aucune créance non sérieusement contestable ne peut être déterminée, et les conclusions de la MSA, qui a au demeurant omis de préciser qu'elles portaient sur une provision, ne peuvent en l'état être accueillies, y compris en tout état de cause celles concernant l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU
de Limoges une somme de 2 000 euros au bénéfice de M. Caillaud au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la MSA du Limousin présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : La provision que le CHU de Limoges a été condamné à verser à M. Caillaud est portée de 93 721,34 euros à 114 660 euros.
Article 2 : Le CHU de Limoges versera une somme de 2 000 euros à M. Caillaud au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... Caillaud, au centre hospitalier universitaire de Limoges, à la Mutualité sociale agricole du Limousin et à Groupama d'Oc.
Fait à Bordeaux, le 4 décembre 2024.
La juge d'appel des référés,
Catherine Girault
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 24BX01673