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09/09/2024 | FRANCE | N°24BX01247

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 09 septembre 2024, 24BX01247


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'agglomération d'Agen à lui verser une provision de 50 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice lié à une maladie imputable au service.



Par une ordonnance n° 2205995 du 29 avril 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'agglomération d'Agen à verser une provision de 50 000 euros à M. D... et a mis les fra

is d'expertise à la charge de l'agglomération d'Agen.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'agglomération d'Agen à lui verser une provision de 50 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice lié à une maladie imputable au service.

Par une ordonnance n° 2205995 du 29 avril 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'agglomération d'Agen à verser une provision de 50 000 euros à M. D... et a mis les frais d'expertise à la charge de l'agglomération d'Agen.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mai 2024 et un mémoire enregistré le 12 juillet 2024, l'agglomération d'Agen, représentée par la SELARL Cabinet Ferrant, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 29 avril 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a versé la provision ordonnée en première instance mais conteste l'ordonnance de référé du 29 avril 2024 ;

- la décision de première instance fait droit à la demande alors que l'obligation est sérieusement contestable ; elle est donc entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- la maladie de M. D... n'est pas imputable au service ; le harcèlement moral qu'il a dénoncé de la part de la gardienne du cimetière dans lequel il exerçait ses fonctions de conservateur, ne repose que sur des allégations non établies ; de plus, les faits qu'il a dénoncés ne constituent pas un événement soudain et violent de nature à justifier une imputabilité au service ; il existe donc un doute sérieux sur l'imputabilité de la maladie au service ;

- la direction des ressources humaines pensait être liée par l'avis de la commission de réforme et a reconnu l'imputabilité au service mais cette reconnaissance ne résulte que d'une erreur ;

- la juge des référés n'a pas pris en compte que la reconnaissance d'imputabilité au service permet déjà à M. D... de percevoir une allocation temporaire d'invalidité ;

- l'expert ne s'est appuyé sur aucun justificatif pour reconnaître un déficit fonctionnel temporaire partiel ; M. D... réclame réparation d'un déficit fonctionnel permanent de 40 % alors que l'expert n'a reconnu qu'un taux de 15 % ; de plus, il réclame l'application du barème des pensions civiles et militaires et du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors que c'est le barème de droit commun qui doit s'appliquer ; la somme demandée à ce titre est excessive au regard du barème de l'ONIAM ; le préjudice lié à des souffrances endurées n'est aucunement justifié ; de plus, l'évaluation qu'en fait le requérant est excessive ; le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel ne sont pas davantage justifiés dès lors qu'ils sont indemnisés au titre du déficit fonctionnel temporaire et que M. D... n'a produit aucun élément quant à la réalité de ces préjudices ; de plus, l'évaluation qu'il fait de ces préjudices est arbitraire.

Par un mémoire enregistré le 17 juin 2024, M. D..., représenté par Me Renoult, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'agglomération d'Agen le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dès lors que sa maladie a été reconnue imputable au service le 19 mars 2019 par une décision devenue définitive, la responsabilité sans faute de l'agglomération est engagée et elle lui doit indemnisation de ses préjudices personnels et patrimoniaux ;

- le déficit fonctionnel temporaire et le déficit fonctionnel permanent ne sont pas indemnisés par la rente ;

- les juridictions ne sont tenues par aucun barème ou référentiel ;

- l'évaluation de ses préjudices se fonde sur les résultats de l'expertise à laquelle l'administration était présente ; dès lors qu'elle n'a présenté aucun dire quant au déficit fonctionnel temporaire, celui-ci doit être admis ; il en va de même pour les souffrances endurées ; son déficit fonctionnel permanent a été évalué à 40 % par le médecin agréé et le conseil médical sur la base du barème des pensions civiles et militaires ; il n'a jamais sollicité l'application du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre comme semble le penser la collectivité ; la provision demandée est justifiée.

Par une ordonnance du 15 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 août 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme C... A... comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., adjoint technique territorial alors employé en qualité d'agent de propreté des cimetières auprès de la commune d'Agen, a souffert à compter de 2013, de troubles présentant le caractère d'un syndrome d'épuisement professionnel qu'il a imputé à un comportement de harcèlement moral de la part de la gardienne du cimetière dans lequel il exerçait ses fonctions. Atteint d'un état anxio-dépressif, M. D..., après avis de la commission de réforme du 22 février 2019 en faveur d'une imputabilité de ces troubles au service, a été reconnu, par arrêté du président de l'agglomération du 4 mars suivant, atteint d'une maladie imputable au service. Le 6 juillet 2022, il a présenté une demande indemnitaire à l'agglomération d'Agen, rejetée le 9 septembre suivant. Le 2 mars 2023, saisi par M. D..., le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a désigné un expert en vue de déterminer l'étendue de ses préjudices. L'expert a déposé son rapport le 7 janvier 2024. M. D... a saisi le tribunal administratif d'un recours indemnitaire tendant à la condamnation de l'agglomération d'Agen à réparer son préjudice, évalué à 151 776 euros, ainsi que d'un recours en référé tendant à l'obtention d'une provision évaluée, dans le dernier état de sa demande, à 50 000 euros. L'agglomération d'Agen fait appel, dans la présente instance, de l'ordonnance du 29 avril 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif l'a condamnée à verser une provision de 50 000 euros à M. D... et à supporter les frais d'expertise d'un montant de 2 160 euros.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation est non sérieusement contestable (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

3. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, les articles 1er et 2 du décret du 2 mai 2005, relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale, ainsi que les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle.

4. Ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.

5. Ainsi que l'a constaté le premier juge, par arrêté du 4 mars 2019, le président de l'agglomération d'Agen a reconnu imputable au service la maladie de M. D..., survenue le 16 décembre 2013 et cette décision créatrice de droits au profit de l'agent est devenue définitive. Par suite, et comme l'a jugé la juge des référés du tribunal, en application des règles rappelées aux points 3 et 4 ci-dessus, la responsabilité de l'agglomération d'Agen est engagée en l'absence de toute faute, et l'existence de son obligation envers le requérant présente un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative sans que l'agglomération puisse utilement soutenir que l'arrêté du 4 mars 2019 aurait été pris par erreur et que le harcèlement dont M. D... a fait état ne serait pas établi.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée en première instance, que M. D... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire du 16 décembre 2013 au 8 novembre 2019, à un taux lissé estimé par l'expert à 20 %. Aucun élément de l'instruction ne permettant, en l'état, de remettre en cause cette estimation, une provision peut être allouée à ce titre pour un montant non contestable de 7 000 euros. Il résulte également de l'instruction et notamment de cette expertise, que l'état de santé de M. D..., né le 31 octobre 1972, a été consolidé le 8 novembre 2019 et que le taux de son déficit fonctionnel permanent a été estimé par l'expert non à 30 % comme l'a considéré le premier juge, mais à 15 %. En l'absence d'éléments permettant de considérer que ce taux serait excessif ou au contraire sous-estimé en l'état de l'instruction, il y a lieu de considérer l'obligation de réparation de ce chef de préjudice comme non contestable à hauteur de 20 000 euros. L'expert a également retenu des souffrances endurées évaluées à 3 sur une échelle de 7. Alors même que ces souffrances sont psychologiques et non physiologiques, elles justifient une réparation qui peut être considérée comme non sérieusement contestable à hauteur de 3 600 euros. Enfin, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel, retenus par l'expert et qu'aucun élément ne permet de mettre sérieusement en doute compte tenu de la nature de l'affection dont souffre M. D..., présentent un degré suffisant de certitude et justifient une provision d'un montant de 1 000 euros chacun. Ainsi, le préjudice de M. D... peut être regardé comme non sérieusement contestable à hauteur de 32 600 euros et non à hauteur de 50 000 euros comme l'a estimé la juge des référés du tribunal.

7. Il résulte de ce qui précède que l'agglomération d'Agen est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal l'a condamnée à verser à M. D... une provision supérieure à 32 600 euros.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'agglomération d'Agen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. D... de la somme qu'il demande au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. D... le versement à l'agglomération d'Agen de la somme qu'elle demande sur le fondement de ces dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La provision que l'agglomération d'Agen a été condamnée à verser à M. D... par l'ordonnance du 29 avril 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est réduite à 32 600 euros.

Article 2 : L'ordonnance du 29 avril 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'agglomération d'Agen et les conclusions de M. D... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'agglomération d'Agen et à M. B... D....

Fait à Bordeaux, le 9 septembre 2024

La juge des référés,

C... A...

La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

No 24BX01247


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24BX01247
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CABINET FERRANT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-09;24bx01247 ?
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