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10/07/2024 | FRANCE | N°24BX01349

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre (juge unique), 10 juillet 2024, 24BX01349


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... E... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2023 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de renouveler son titre de séjour.



Par un jugement n° 2301083 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :



Par une requête enregistrée le 3 juin 2024, Mme B..., représentée par Me Meaude, demande

au juge des référés de la cour :



1°) de suspendre l'exécution de ce jugement du 23 mai 2024 du tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2023 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 2301083 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregistrée le 3 juin 2024, Mme B..., représentée par Me Meaude, demande au juge des référés de la cour :

1°) de suspendre l'exécution de ce jugement du 23 mai 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder au réexamen de sa demande dans le mois suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer dans l'attente de la nouvelle décision un récépissé l'autorisant à travailler ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- ses conclusions sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

- elle justifie de l'urgence de sa situation ; elle est en France depuis 15 ans et en situation régulière depuis plus de 10 ans ; elle a été titulaire de titres de séjour du fait de son état de santé depuis le 28 décembre 2011 ; elle a obtenu le renouvellement de son titre de séjour jusqu'en 2020 ; elle souffre d'importants troubles psychiatriques ; il est important qu'elle soit mise en possession d'un titre de séjour afin de pouvoir continuer à bénéficier de son suivi médical et à travailler ; elle est dans une situation financière très précaire ; elle a désormais une dette de loyer de 4 000 euros alors qu'elle réglait ses loyers régulièrement avant le refus de renouvellement qui lui a été opposé ; une procédure d'expulsion de logement a été intentée par son bailleur ; elle a un jeune enfant né le 8 mai 2024 ;

- elle fait également état de moyens de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision qu'elle conteste ;

- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ; elle n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation ;

- la préfète s'est fondée sur une menace à l'ordre public en se référant aux données du fichier de traitement des antécédents judiciaires sans que la procédure de consultation de ce fichier prévue par le code de la sécurité intérieure ait été respectée ; elle n'a pas reçu l'information prévue à l'article R. 114-6 de ce code ; l'agent qui a procédé à la consultation du fichier n'avait pas compétence dès lors qu'il n'avait pas été désigné conformément aux dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ; les services visés à l'article R. 40-29 du code de procédure pénale n'ont pas été saisis ; le tribunal ne pouvait écarter ces moyens tout en admettant les irrégularités de la procédure ; la préfète a, en effet, fondé sa décision sur une menace à l'ordre public ;

- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie, conformément à l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'article L. 435-1 du même code ; même si sa demande de titre de séjour n'était pas fondée sur cet article L. 435-1, l'arrêté contesté se prononce sur ce fondement ;

- la décision contestée méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne pourra avoir effectivement accès à un traitement adapté au Nigéria ; les personnes atteintes de troubles psychiatriques souffrent de mauvais traitements dans ce pays ; les coûts des traitements y sont excessifs et il n'existe pas de prise en charge sociale ; ce pays est également la porte d'entrée de faux médicaments sur le continent ; son retour au Nigéria risque d'aggraver sa pathologie dès lors que les événements à l'origine de ses troubles s'y sont produits ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle a été contrainte de quitter son pays en raison de conditions de vie extrêmement précaires ; elle souffre de traumatismes liés aux événements dont elle a été victime dans le cadre d'un réseau de traite d'être humains ainsi qu'à la perte de son frère jumeau à l'âge de 11 ans ; elle réside en France depuis 15 ans et est en situation régulière depuis 2011 ; elle a su s'intégrer professionnellement ; elle a un enfant né le 8 mai 2024 ; son père et sa mère sont décédés ; l'ensemble de ses attaches se trouve en France.

Par un mémoire enregistré le 10 juin 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il se réfère à ses écritures de première instance dont il joint une copie.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête d'appel n° 24BX01348.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme D... A... en qualité de juge des référés, en application du livre V du code de justice administrative.

Après avoir, à l'audience publique du 8 juillet 2024, présenté le rapport de l'affaire et entendu les observations de :

- Me Meaude, représentant Mme B..., qui rappelle les éléments caractérisant la situation de Mme B... et, notamment, l'ancienneté et la régularité de son séjour en France, les conditions dans lesquelles elle a été victime d'un réseau de traite d'êtres humains, sa pathologie et sa situation financière ; elle précise que la procédure d'expulsion du logement n'a pu être momentanément évitée que par une négociation avec le bailleur et que cette procédure pourrait être reprise si Mme B... n'obtenait pas prochainement un titre de séjour ; elle soutient que l'urgence doit être présumée, s'agissant d'un refus de renouvellement de titre de séjour et insiste, en tout état de cause, sur les difficultés et la vulnérabilité de l'intéressée ; elle rappelle les moyens développés dans ses écritures ; sur demande de la juge des référés, elle indique ne pas avoir d'information sur les raisons pour lesquelles le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a émis un avis en faveur de la possibilité pour Mme B... de bénéficier d'un traitement adapté dans son pays d'origine après que l'intéressée ait bénéficié pendant plusieurs années d'un titre de séjour à raison de son état de santé ; elle indique qu'il peut s'agir d'un changement de position de l'OFII sur le système de santé au Nigéria ;

- Mme B..., qui, sur demande de la juge des référés, indique qu'elle a bien un fils mais qu'il ne vit pas avec elle mais avec un membre de sa famille en Allemagne.

L'instruction a été différée au 8 juillet 2024 à 18 h en application de l'article R. 522-8 du code de justice administrative.

Un mémoire a été enregistré le 8 juillet 2024 à 15h00, présenté pour Mme B.... Mme B... conclut à ce que la somme demandée au titre des frais d'instance soit versée non à son avocate mais à elle-même, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 17 décembre 1986, est entrée irrégulièrement en France le 5 septembre 2008 selon ses déclarations. Elle a été titulaire d'une carte de séjour temporaire à raison de son état de santé, valable du 15 novembre 2011 au 14 novembre 2012, qui a été renouvelée jusqu'au 23 octobre 2020, date à laquelle il lui a été délivré une carte de séjour pluriannuelle de deux ans également au titre de son état de santé, valable du 3 mars 2020 au 2 mars 2022. Le 1er février 2022, elle a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 janvier 2023, la préfète de la Gironde a refusé de renouveler son titre de séjour. Par jugement du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de cet arrêté du 4 janvier 2023. Mme B... demande au juge des référés, dans la présente instance, de suspendre l'exécution de ce jugement. Dès lors qu'elle présente ses conclusions sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, elle doit être regardée comme demandant la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 janvier 2023.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement la gravité des troubles invoqués par le requérant pour caractériser la situation d'urgence, au vu de l'ensemble des circonstances de la demande qui lui est présentée et compte tenu des justifications apportées par le requérant et par l'administration.

4. Mme B... soutient sans être contredite être arrivée le 5 septembre 2008, à l'âge de 22 ans, en France où elle a été victime d'un réseau de prostitution avant d'être prise en charge, en 2010 par un dispositif d'accompagnement des personnes qui se prostituent et de cesser la prostitution à la fin de l'année 2010. Souffrant de graves troubles psychiatriques, elle a alors sollicité son admission au séjour au titre de son état de santé et s'est vu délivrer, à compter du 15 novembre 2011, un titre de séjour en tant qu'étranger malade qui a été renouvelé sans interruption jusqu'au 23 octobre 2020, date à laquelle il lui a été délivré, également à raison de ses troubles de santé, une carte de séjour pluriannuelle valable deux ans, jusqu'au 2 mars 2022. Mme B..., qui a deux enfants dont un très jeune enfant né le 8 mai 2024 qui vit avec elle, et qui résidait régulièrement en France depuis plus de 11 ans à la date de refus de renouvellement de son titre de séjour le 4 janvier 2023, justifie devoir suivre des soins médicaux réguliers pour le traitement de la pathologie psychiatrique dont elle souffre et être dans une situation financière difficile, ne pouvant plus faire face au paiement du loyer de son logement par suite, notamment, de l'arrêt des prestations sociales auxquelles elle pouvait jusque-là prétendre. Au regard de l'ancienneté de son séjour régulier en France, de sa situation médicale et financière et des conséquences qu'entraine pour elle la fin de la régularité de son séjour, la requérante justifie, ainsi, d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

5. Par ailleurs, à l'appui de ses conclusions, Mme B... soutient que, pour rejeter sa demande de renouvellement de son titre de séjour, la préfète s'est fondée sur une menace à l'ordre public en se référant aux données du fichier de traitement des antécédents judiciaires sans que la procédure de consultation de ce fichier prévue par le code de la sécurité intérieure renvoyant au code de procédure pénale ait été respectée, que la commission du titre de séjour aurait dû être saisie, conformément l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et qu'elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces moyens paraissent propres, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision préfectorale du 4 janvier 2023.

6. Dès lors que les deux conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies, Mme B... est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté de la préfète de la Gironde au 4 janvier 2023.

7. Lorsque le juge des référés a suspendu une décision de refus, il incombe à l'administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu'elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à ce refus.

8. La suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 janvier 2023 implique que le préfet de la Gironde procède au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B.... Il y a lieu de prescrire ce réexamen et l'intervention d'une nouvelle décision dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance, ainsi que la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour dans les conditions prévues aux articles L. 431-3 et L. 431-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

9. Dans le dernier état de ses conclusions, Mme B... demande le versement à son profit d'une somme au titre des frais d'instance, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros à ce titre.

ORDONNE :

Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 4 janvier 2023 de la préfète de la Gironde est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête d'appel au fond de Mme B....

Article 2 : Le préfet de la Gironde procèdera au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B... et prendra une nouvelle décision dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance et lui délivrera, dans l'attente de la nouvelle décision, une autorisation provisoire de séjour dans les conditions prévues aux articles L. 431-3 et L. 431-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de La Gironde.

Fait à Bordeaux, le 10 juillet 2024.

La juge des référés,

D... A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N° 24BX01349


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 24BX01349
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Avocat(s) : MEAUDE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-10;24bx01349 ?
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