Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 23 août 2021 par lequel le préfet de la Guyane a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2101409 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Mindren, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101409 du 13 juillet 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- il est entaché d'une omission à statuer dès lors qu'il ne répond pas à son moyen tiré de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Au fond :
- l'interdiction de retour sur le territoire français en litige en litige est insuffisamment motivée ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité qui entache l'obligation de quitter le territoire français, laquelle n'est pas devenue définitive en l'absence de notification régulière ; ses deux enfants vivent sur le territoire français où ils sont scolarisés ; leur retour dans leur pays d'origine interromprait leur scolarité et les soumettrait à des risques d'atteinte à leur sécurité ; les premiers juges ne pouvaient donc se fonder sur la circonstance que ses enfants pourraient l'accompagner en Haïti, leur pays d'origine ; elle n'a plus d'attaches familiales en Haïti ; ainsi, l'obligation de quitter le territoire français méconnaît son droit à une vie privée et familiale ainsi que l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- pour les mêmes motifs, l'interdiction de retour sur le territoire français en litige méconnaît son droit à une vie privée et familiale ainsi que l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle a été édictée sans tenir compte de ses conditions de séjour en France et de celles de ses enfants.
La requête a été communiquée au préfet de la Guyane qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 octobre 2023.
Par une ordonnance du 13 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 janvier 2024 à 12h00.
Le 20 février 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français du 10 mai 2021, laquelle était devenue définitive à la date à laquelle ce moyen a été soulevé. Mme A... a présenté des observations le 20 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante haïtienne née le 28 février 1980, est entrée sur le territoire français en mars 2020, selon ses déclarations. Elle a déposé une demande d'asile que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA) a rejetée par une décision du 6 novembre 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 10 février 2021. Par un arrêté du 10 mai 2021, le préfet de la Guyane a rejeté la demande d'admission au séjour au titre de l'asile de Mme A..., qui n'avait pas présenté de demande sur un autre fondement, a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination. Le 23 août 2021, Mme A... a été interpellée dans le cadre d'une vérification du droit au séjour et a fait l'objet, le jour même, d'un arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler cet arrêté du 23 août 2021. Elle relève appel du jugement rendu le 13 juillet 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce qu'elle fait valoir en appel, Mme A... n'a pas soutenu, dans ses écritures de première instance, que l'arrêté en litige portait atteinte à l'intérêt supérieur de ses deux enfants mineurs, garanti par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Par suite, en ne répondant pas à ce moyen, qui n'était pas d'ordre public, les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'irrégularité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français :
3. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour (...) ".
4. L'illégalité d'un acte administratif non réglementaire n'est recevable que si cet acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'obligation de quitter le territoire français édictée le 10 mai 2021 a été régulièrement notifiée à l'adresse communiquée par Mme A... à la préfecture avant d'être retournée à l'expéditeur, le 17 juin 2021, avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Cette décision est en conséquence réputée avoir été régulièrement notifiée. Et dès lors, en outre, qu'elle comportait la mention des voies et délais de recours, elle est devenue définitive le 11 juin 2021. Par suite, le moyen soulevé par Mme A... dans sa requête d'appel du 6 décembre 2023, tiré de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, est irrecevable.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige rappelle que Mme A... n'a pas été en mesure de présenter un titre de séjour lors de son interpellation dans le cadre d'une vérification du droit au séjour et rappelle que, le 10 mai 2021, elle a fait l'objet d'un refus de titre assorti d'une mesure d'éloignement à l'exécution de laquelle elle s'est soustraite. L'arrêté précise que la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français est prise compte tenu de la durée du séjour en France de Mme A..., du fait qu'elle y est entrée irrégulièrement avec ses deux enfants mineurs ne possédant pas la nationalité française, et que ces derniers peuvent repartir avec leur mère dans leur pays d'origine. Ce faisant, le préfet, qui n'était pas tenu d'indiquer que Mme A... ne représentait pas une menace pour l'ordre public ni de retracer l'ensemble des éléments caractérisant sa situation, a suffisamment motivé sa décision. Cette motivation révèle par ailleurs qu'il a été procédé à un examen particulier de la situation de la requérante.
7. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, l'obligation de quitter le territoire français du 10 mai 2021 est réputée avoir été régulièrement notifiée à Mme A.... Par suite, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que, l'obligation de quitter le territoire français ne lui étant pas opposable faute de notification régulière, le préfet ne pouvait légalement édicter à son encontre l'interdiction de retour sur le territoire français en litige.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée irrégulièrement sur le territoire français en mars 2020 et justifiait ainsi d'une présence en France d'environ dix-huit mois seulement à la date de la décision attaquée. Après le rejet de sa demande d'asile par l'OFPRA, puis la CNDA, elle n'a pas cherché à régulariser sa situation en sollicitant un titre de séjour. Elle n'a pas davantage déféré à l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 10 mai 2021, devenue définitive. Ses deux enfants, nés en 2004 et 2014, ne possèdent pas la nationalité française et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ne pourraient poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que Mme A..., qui a quitté son pays à l'âge de 40 ans, entretiendrait des relations régulières avec ses parents et frères et sœurs qui séjournent régulièrement sur le territoire métropolitain. Dans ces circonstances, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs, la décision attaquée ne peut être regardée comme ayant méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant en vertu desquelles les institutions publiques doivent, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, tenir compte de l'intérêt supérieur de ces derniers.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par Mme A... tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine MarkarianLa greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02255