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13/02/2024 | FRANCE | N°22BX01080

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 13 février 2024, 22BX01080


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 4ème section de l'unité territoriale des Deux-Sèvres a autorisé Me Dolley, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société BRM Mobilier, à le licencier.



Par un jugement n° 1601117 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2018, le 15 juil...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 4ème section de l'unité territoriale des Deux-Sèvres a autorisé Me Dolley, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société BRM Mobilier, à le licencier.

Par un jugement n° 1601117 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2018, le 15 juillet 2019 et 13 septembre 2019, M. B... A..., représenté par Me Rilov, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2018 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres du 21 mars 2016 ayant autorisé son licenciement.

Il soutient que :

- l'administration a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, s'agissant du contrôle qu'elle doit porter sur le motif économique ; en effet, la cause économique réelle et sérieuse doit être appréciée à l'échelle du secteur d'activité ou du groupe, ce que n'a pas fait l'inspecteur ; or, à ce niveau, la réalité de ce motif n'est pas établie, alors en outre, qu'en l'espèce, l'employeur est, par son propre comportement fautif, à l'origine de sa propre cessation d'activité ;

- l'administration a également commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail, s'agissant du contrôle qu'elle doit opérer sur l'obligation de reclassement ; en l'espèce, l'inspecteur du travail n'a pas fait porter son contrôle sur le périmètre pertinent, qui devait être celui du groupe ; de ce fait, il n'a pas été en mesure de contrôler le respect par l'employeur de son obligation de reclassement ; or, en l'espèce, les recherches de reclassement n'ont pas été effectuées au niveau du groupe ou, du moins, l'employeur ne l'établit pas ; en outre, l'employeur a violé l'article D. 1233-2-1 du code du travail, en méconnaissant son obligation d'information des salariés sur la possibilité de recevoir des offres de reclassement situées à l'étranger ; enfin, l'employeur a procédé aux offres de reclassement par l'envoi de simples lettres circulaires dépourvues d'indications personnalisées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 mars 2019 et le 14 août 2019, la Selal Actis Mandataires Judiciaires (ACM), agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. A... la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société ACM fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 18BX03018 du 22 juin 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. A..., annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1601117 du 26 juin 2018 ainsi que la décision de l'inspecteur du travail du 21 mars 2016.

Par une décision n° 443232 du 12 avril 2022 le Conseil d'Etat, a annulé l'arrêt n°18BX03018 rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 22 juin 2020 et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Par un mémoire, enregistré le 5 juillet 2023 le ministre du travail du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à son mémoire présenté le 15 juillet 2019 devant la Cour.

Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2023, M. A..., représenté Me Rilov conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.

Il soulève les mêmes moyens que dans ses précédentes écritures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Djabri représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 septembre 2015, le tribunal de commerce de Niort a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société BRM Mobilier, dont le siège social était implanté dans le département des Deux-Sèvres, qui avait pour activité principale la fabrication et l'assemblage de meubles de bureau et de magasin, et qui appartenait au groupe de droit belge Mecaseat. Par un jugement du 27 janvier 2016, le tribunal de commerce a placé la société BRM Mobilier en liquidation judiciaire avant de prononcer l'arrêt total et définitif de l'activité de cette société le 9 mars 2016. Le 5 février 2016, le juge commissaire de la procédure de liquidation judiciaire a autorisé l'administrateur judiciaire de la société BRM Mobilier à licencier pour motif économique l'ensemble des salariés de cette société. Le 1er mars 2016, l'inspecteur du travail a été saisi par l'administrateur judiciaire d'une demande d'autorisation de licenciement de M. A..., délégué du personnel. Par une décision du 21 mars 2016 l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle des Deux-Sèvres de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) Aquitaine-Limousin et Poitou-Charentes a autorisé le licenciement de M. A....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la réalité du motif économique :

2. En vertu de l'article L. 631-17 du code de commerce, lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce. Si le salarié dont le licenciement est envisagé bénéficie du statut protecteur, l'administrateur doit, en outre, solliciter l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement, et qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée. En revanche, il résulte des dispositions du code de commerce que le législateur a entendu que, pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes soient examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Dès lors qu'un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent donc être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration.

3. Il ressort de pièces du dossier que la société BRM Mobilier a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par un jugement du tribunal de commerce de Niort du 11 septembre 2015 avec une période d'observation se terminant au 11 mars 2016. Puis, par une ordonnance du 5 février 2016, le juge-commissaire du même tribunal a autorisé l'administrateur judiciaire à licencier pour motif économique l'intégralité du personnel de la société, dont M. A.... Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'administration du travail a été saisie d'une demande d'autorisation de licencier M. A..., en considération du mandat de délégué du personnel qu'il détenait, le 1er mars 2016, soit au cours de la période d'observation de l'entreprise en redressement judiciaire. Par suite, le moyen tiré de l'absence de motif économique justifiant le licenciement, qui ne pouvait être soulevé qu'à l'occasion de la contestation de l'ordonnance du juge-commissaire, est inopérant à l'encontre de l'autorisation délivrée par l'inspecteur du travail.

En ce qui concerne le respect de l'obligation de reclassement :

4. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans version applicable à la date de la décision de l'inspecteur du travail en litige, issue de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques: " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie./ Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la même loi, qui a été ultérieurement abrogé par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail : " Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. / Les modalités d'application du présent article, en particulier celles relatives à l'information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret ". Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du même code, alors en vigueur : " I. - Pour l'application de l'article L. 1233-4-1, l'employeur informe individuellement le salarié (...) de la possibilité de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national. II. - A compter de la réception de l'information de l'employeur, le salarié dispose de sept jours ouvrables pour formuler par écrit sa demande de recevoir ces offres. Il précise, le cas échéant, les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ainsi que toute autre information de nature à favoriser son reclassement (...) ".

5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, pour autant que l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 soit encore applicable, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national, d'une part au sein de l'entreprise, d'autre part dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

6. Il ressort des pièces du dossier que la société BRM Mobilier était détenue à 100 % par la société SMPC, elle-même détenue par la holding de droit belge Mecaseat, et que les sociétés composant ce groupe étaient, en dehors de BRM, au nombre de sept en France, et de huit réparties dans divers pays étrangers. En l'espèce, l'administrateur judiciaire a adressé le 5 février 2016 à M. A... un courrier auquel était joint un questionnaire l'invitant à faire savoir s'il accepterait un reclassement à l'étranger et à exprimer ses restrictions éventuelles en termes de rémunération et de conditions de travail. De plus, ce courrier du 5 février 2016 précisait à M. A... la localisation de chacune des sociétés du groupe situées à l'étranger. Le 9 février 2016, M. A... a fait savoir qu'il accepterait un reclassement à l'étranger sans formuler de restrictions particulières quant au poste qui pourrait lui être proposé. Ainsi, l'administrateur judiciaire a satisfait à son obligation d'information des salariés sur la possibilité de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, conformément à l'article D. 1233-2-1 précité du code du travail.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'administrateur judiciaire a, par des courriers recommandés du 5 février 2016, demandé aux sociétés composant le groupe Mecaseat, y compris à l'étranger, de lui faire connaître les postes dont elles pourraient disposer en vue de permettre le reclassement des salariés de la société BRM Mobilier. Ces courriers invitaient les sociétés interrogées à préciser la nature des postes éventuellement disponibles dans leur établissement, leur localisation, les tâches à accomplir, le niveau de formation requis et le montant de la rémunération. Ces courriers étaient accompagnés de la liste des postes supprimés au sein de la société BRM Mobilier. Il ressort des pièces du dossier qu'aucune des sociétés interrogées n'a donné de réponse favorable aux demandes de reclassement, lesquelles étaient rédigées en des termes suffisamment précis et personnalisés. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient M. A..., les éléments versés au dossier permettent d'établir que toutes les sociétés du groupe basées à l'étranger ont été sollicitées dans le cadre de la recherche d'un reclassement. Quant à la circonstance selon laquelle certaines des réponses des sociétés n'ont pas été adressées au mandataire désigné mais à d'autres administrateurs appartenant à la même étude, elle est sans incidence sur la réalité de la recherche d'un reclassement effectuée, alors qu'au demeurant le mandataire a bien été informé de ces réponses.

8. Enfin, M. A... allègue que certaines sociétés étrangères, membres du groupe Mecaseat, n'auraient pas été sollicitées. A cet égard, à supposer que la société Via Ferrata entretiendrait des liens capitalistiques avec le groupe Mecaseat, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle permettrait d'assurer la permutabilité des salariés de la société BRM Mobilier. Il en va de même pour les filiales du groupe Eurofind situées en Afrique, qui sont en outre spécialisées dans la production d'acier et de produits chimiques et agro-alimentaires, sans rapport avec l'activité de la société BRM Mobilier.

9. Il résulte de ce qui précède que l'administrateur judiciaire de la société BRM Mobilier a satisfait à son obligation de recherche d'un reclassement, laquelle est une obligation de moyens et non de résultat.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 21 mars 2016 en litige.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société ACM, qui n'est pas partie perdante dans le cadre de la présente instance, verse à M. A... une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme au titre de ces mêmes frais exposés par la société ACM.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société ACM présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la Selarl Actis Mandataires Judiciaires, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier.

Copie en sera adressée au directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Nouvelle Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Frédéric Faïck, président,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

M. Julien Dufour, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2024.

La rapporteure,

Caroline C...

Le président,

Frédéric Faïck

La greffière,

Stéphanie LarrueLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX01080 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01080
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SCP RILOV

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22bx01080 ?
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