Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions unipersonnelle (SASU) " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général ", dont M. E... D... est l'associé unique, a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler le courrier du 10 janvier 2019 par lequel le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis en œuvre à l'encontre de la société L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général, les dispositions des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que la décision en date du 24 juin 2019 par laquelle cette même autorité a mis à la charge de la société les contributions spéciale et forfaitaire.
Par un jugement n° 1900363, 1901356 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2021 et le 6 janvier 2022, la SASU " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général ", représentée par M. E... D..., représentée par la SELARL FB Avocat, agissant par Me Babou, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 30 septembre 2021 ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé, le tribunal se bornant à reprendre les arguments de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation, une erreur de droit et une erreur de fait ;
- les premiers juges auraient dû écarter des débats le procès-verbal de constat, qui ne lui avait pas été communiqué ; ils ont méconnu le principe du contradictoire et le droit au procès équitable ;
- le procès-verbal n'est pas sincère, il porte la date du 11 août 2018 alors que les travaux n'ont démarré que le 13 août ;
- il n'a pas recruté de salarié en méconnaissance de l'article L. 8253-1 du code du travail ;
- il n'a pas reçu communication du procès-verbal de constat ;
- la liquidation et l'émission d'un titre de perception par l'Etat n'ont pas eu lieu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me Schegin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SASU l'Homme Pas Dieu Bâtiment Général le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2023 par une ordonnance du 13 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 10 janvier 2019, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a informé M. D..., unique associé de la société par actions unipersonnelle (SASU) " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général ", que les services de police avaient relevé, lors d'un contrôle réalisé le 11 août 2018 sur un chantier, l'emploi par sa société de trois travailleurs dépourvus d'autorisations de travail et de séjour et qu'il envisageait en conséquence de mettre à la charge de la société les contributions spéciale et forfaitaire prévues à l'article R. 8253-2 du code du travail et à l'article R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. D... a présenté des observations par lettre du
30 janvier 2019 avant de recevoir une décision du 24 juin 2019 du directeur général de l'OFII mettant à la charge de la SASU " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général " la somme de
53 550 euros au titre de la contribution spéciale et la somme de 16 725 euros au titre de la contribution forfaitaire, soit un montant total de 70 275 euros. La SASU " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général ", dont M. D... est l'associé unique, a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler le courrier du 10 janvier 2019 et la décision du 24 juin 2019. La SASU " L'homme Pas Dieu Bâtiment Général ", représentée par M. D..., relève appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance qu'après avoir écarté comme irrecevables les conclusions dirigées contre le courrier du 10 janvier 2019 et rappelé le cadre juridique applicable, les premiers juges ont examiné précisément les moyens invoqués en première instance, tirés de l'insuffisante motivation de la décision du 24 juin 2019, des erreurs de fait commises par l'OFII, du cumul des contributions avec une sanction pénale et des conséquences sur la situation économique de son entreprise, et y ont répondu de manière suffisamment motivée.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les procès-verbaux sur lesquels s'est appuyé le tribunal ont été produits par l'OFII à l'appui de son mémoire en défense enregistré le 23 avril 2019 dans le cadre de l'instance n° 1900363, et ont été communiqués à l'avocat de M. D..., qui en a accusé réception le 6 avril 2021. Ce dernier, qui a pu présenter toutes observations utiles sur ces pièces, n'est pas fondé à se plaindre de la méconnaissance du contradictoire et du droit au procès équitable, même si ces documents ne lui avaient pas été transmis avant que ne soit prise la décision contestée.
4. Enfin, en soutenant que les premiers juges ont commis des erreurs de droit, de fait ou d'appréciation, la société requérante ne critique pas la régularité du jugement attaqué mais son bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...). " L'article L. 8253-1 du même code dispose : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. (...) L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. / L'Etat est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. / Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines ". L'article R. 8253-3 de ce code précise : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. ". Et aux termes de l'article R. 8253-4 : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 (...) ".
6. Aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date des faits litigieux : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ". L'article R. 626-1 du même code dispose : " I. - La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui, en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail, a embauché ou employé un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour. (...) ". L'article R. 626-2 de ce code dispose : " I. - Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17 du code du travail, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 626-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / II. - A l'expiration du délai fixé, le directeur général décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. (...) ".
7. Si la société requérante soutient que les procès-verbaux constatant l'emploi par la société L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général d'étrangers en situation irrégulière et dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ne lui ont pas été communiqués préalablement à l'édiction de la décision du 24 juin 2019, il n'est pas établi, ni même allégué, que M. D... en aurait sollicité la communication, que l'administration n'était pas tenue d'effectuer spontanément. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.
8. Ainsi que l'on relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal dressé le 11 août 2018 par M. A..., brigadier de police de la direction départementale de la police aux frontières de Guyane, lequel fait foi jusqu'à preuve contraire, que ce fonctionnaire, accompagné d'autres agents de police, d'un contrôleur du travail de la DIECCTE et d'un inspecteur du recouvrement de l'URSSAF, a mené une opération de contrôle de chantiers à Rémire-Montjoly lors de laquelle il a constaté, " à l'éco-quartier se trouvant à Vidal ", la présence de cinq personnes en action de travail, occupées à " faire le coffrage d'une semelle pour la construction d'une villa sur pilotis ". Le procès-verbal indique qu'un homme nommé Passion Nicoise s'est présenté à eux en déclarant que le responsable du chantier était absent et qu'il s'agissait de M. D..., gérant de l'entreprise " L'homme pas Dieu ". Le procès-verbal constate également la présence de trois personnes de nationalité haïtienne, MM. Time, Cimat et C..., déclarant travailler pour l'entreprise " L'homme pas Dieu " sans avoir signé de contrat de travail, ni disposer d'une déclaration d'embauche préalable. En outre, il ressort du procès-verbal d'acceptation de composition pénale établi par un officier de police judiciaire sur instructions du procureur de la République du tribunal de grande instance de Cayenne que M. D... a reconnu avoir employé MM. Time, Cimat et C... et que ces derniers travaillaient pour lui le 11 août 2018.
9. La société requérante se borne, en appel, à remettre en cause la sincérité des procès-verbaux en arguant que le chantier n'a pas commencé le 13 août 2018 mais le 11 août 2018, sans apporter aucun commencement de preuve au soutien de ses allégations, et à contester avoir recruté un salarié en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail en soutenant que le site est régulièrement fréquenté par des tierces-personnes. Si l'appelant fait également valoir qu'un des étrangers en situation irrégulière, M. C..., a déclaré ne pas connaître une personne dénommée " M. D... ", il ressort de ses propos concordants en audition qu'il travaillait sur le chantier de construction, précisant qu'on l'avait chargé d'enlever des clous sur des planches en bois, que son employeur était " L'homme pas Dieu " et que celui-ci devait lui verser cinquante euros par jour. Dans ces conditions, l'emploi de trois étrangers en situation irrégulière et démunis d'autorisation de travail par la société " L'homme pas Dieu " est établi et le moyen tiré de l'erreur de fait et de l'erreur de qualification juridique des faits doit être écarté.
10. La circonstance, à la supposer établie, qu'aucun titre exécutoire n'a été émis afin de recouvrer la créance sur la société " L'homme pas Dieu Bâtiment Général " est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision d'infliger une sanction à cette société.
11. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
12. L'Etat n'étant pas partie à la présente instance, les conclusions présentées à son encontre par la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société " L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général " une somme de 1 000 euros à verser à l'OFII, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général est rejetée.
Article 2 : La société L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général versera à l'OFII une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société L'Homme Pas Dieu Bâtiment Général et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 février 2024.
Le rapporteur,
Julien B...
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21BX04381 2