Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Limoges :
1°) d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2021 par lequel le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle Aquitaine a autorisé le transfert d'une officine de pharmacie exploitée par la SARL Pharmacie A... du 9 rue Pasteur à Nexon à la route de la Meyze (pôle Super U) dans la même commune ;
2°) d'enjoindre à l'Agence régionale de santé de procéder à la fermeture de l'officine à l'emplacement du transfert dès que celui-ci sera effectif ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2101801 du 12 décembre 2023, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté contesté du 8 septembre 2021, enjoint à l'ARS de prendre toute mesure propre à assurer l'effectivité de l'annulation et mis à la charge de l'ARS une somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2023 sous le n° 23BX03217,
la SARL Pharmacie A..., représentée par la SELARL CPNC Avocats (Me Chaigneau), qui a relevé appel de ce jugement du tribunal administratif de Limoges par une requête enregistrée sous le n° 23BX03216, demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution.
Elle soutient que :
- ses moyens sont sérieux et de nature à justifier le sursis sur le fondement de
l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;
- le moyen tiré de l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour du 11 janvier 2018 rendu sur une précédente autorisation a été écarté à bon droit dès lors que sa nouvelle demande a été examinée au regard des dispositions nouvelles de l'ordonnance n° 2018-03
du 3 janvier 2018 ;
- en revanche, c'est à tort que le tribunal a estimé que le transfert autorisé ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population, en méconnaissance de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique ; la commune de Nexon, qui compte 2539 habitants pour 40 km², comporte deux quartiers Nord et Sud, et le transfert à une distance d'environ 2 km laisse subsister une desserte de centre-ville par l'autre pharmacie située anciennement à 30 mètres du local initial de la pharmacie A... ; la répartition géographique sera meilleure, la nouvelle implantation permettant de desservir le quartier sud et six communes avoisinantes dépourvues d'officine, et l'accueil du public, notamment handicapé, sera facilité ; l'accessibilité par la D11 est excellente, de même que la visibilité dans le pôle Super U, les possibilités de stationnement également, et il existe un cheminement piétonnier depuis le bourg ; l'aménagement du local respecte les nouvelles conditions minimales d'installation prévues par le décret n°2018-672 du 30 juillet 2018 ;
- une nouvelle cessation d'activité affecterait des emplois et la desserte d'une population rurale de plusieurs communes, et entraînerait la fin de son plan de redressement, une procédure de liquidation judiciaire et sa radiation de l'ordre.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 4 janvier 2024, Me Philippe Urbain, commissaire à l'exécution du plan de redressement de la Pharmacie A..., représenté
par Me Monpion, demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement.
Il fait valoir que la liquidation judiciaire qui suivrait l'exécution du jugement laisserait à la charge du fonds de garantie des salaires le versement des salaires dus aux sept salariés de la pharmacie, et ne permettrait pas de rembourser les créanciers, alors
que le chiffre d'affaires réalisé pendant les périodes d'ouverture démontre la viabilité
de l'officine. Il s'associe aux moyens présentés par la pharmacie A... en soulignant que l'interprétation faite par le tribunal du 3° de l'article L.5125-3-2 du code de la santé publique est erronée, et que son appréciation de la desserte optimale de la population est entachée d'erreur manifeste.
Par un mémoire enregistré le 17 janvier 2024, l'ARS de Nouvelle Aquitaine conclut à ce que le sursis à l'exécution du jugement soit prononcé.
Elle soutient que :
- la demande d'autorisation de transfert, enregistrée complète le 26 juin 2021, est soumise aux dispositions du code de la santé publique dans leur rédaction postérieure
à la date de publication des décrets pris pour l'application de l'ordonnance n° 2018-3
du 3 janvier 2018 ;
- l'officine transférée desservira le quartier sud du bourg, délimité par la RD 15 et les limites communales, dont la population est estimée à 578 habitants, lequel est dépourvu d'officine, ainsi que la commune de Saint Hilaire Les Places (799 habitants), également dépourvue de pharmacie, et la moitié de la population de Janailhac (244 habitants) ; un cheminement piétonnier a été aménagé depuis le bourg, les places de stationnement sont devant la porte, et l'accessibilité pour les personnes handicapées est aisée ; le local répond aux nouvelles conditions minimales d'installation ; la population du centre bourg est desservie par la pharmacie Saint-Roch et n'est donc nullement abandonnée ; à supposer que la population desservie l'ait été antérieurement par les officines de La Meyze ou de Ladignac-le-Long situées respectivement à 8 km et 14 km, cette circonstance ne permettait pas au tribunal de retenir qu'une desserte plus proche ne répondrait pas de façon optimale aux besoins de la population ;
Un mémoire a été présenté le 22 janvier 2024 pour Mme B... et
la SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe, représentées par la SELARL Sapone Blaesi, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 janvier 2024 :
- le rapport de Mme Catherine Girault, présidente ;
- les observations de Me Marques, représentant la SARL Pharmacie A...,
de Me Simon, représentant Mme B... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe, de M. C..., régulièrement muni d'un pouvoir pour représenter l'ARS
de Nouvelle-Aquitaine, et de Me Monpion, représentant Me Urbain, commissaire
à l'exécution du plan de redressement de la pharmacie A....
Considérant ce qui suit :
1. La Pharmacie A..., qui était installée rue Pasteur dans le centre du bourg
de Nexon (Haute-Vienne), à 30 mètres de la seconde pharmacie de cette commune
de 2 568 habitants, a sollicité en 2014 l'autorisation de transférer son officine à 1 800 mètres dans la même commune, à proximité d'un supermarché et d'un grand parking desservis par
la RD n°11. L'autorisation obtenue par décision de la ministre de la santé
du 9 décembre 2014, après un refus de l'agence régionale de santé (ARS) du Limousin, a été annulée le 28 septembre 2017 par le tribunal administratif de Limoges, sur la demande
de deux pharmacies implantées dans les communes voisines de La Meyze et de Ladignac-le-Long, au motif que le transfert ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins du quartier d'accueil. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour de
céans n° 17BX03256, 17BX03326, 17BX03500 du 8 février 2018, devenu définitif. La pharmacie A... ayant de nouveau sollicité une autorisation de transfert vers le même local, qu'elle avait ouvert en novembre 2015, un arrêté de la directrice générale de l'agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine du 29 juin 2018 a fait droit à sa demande. Cette seconde autorisation a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Limoges
du 21 octobre 2020, à la demande des deux mêmes pharmacies, pour le même motif et en faisant valoir l'autorité de chose jugée des décisions précédentes, décision confirmée par la cour administrative d'appel de Bordeaux par arrêt du 4 mai 2021. Une autorisation d'exploitation provisoire accordée pour un an le 9 février 2021 après la radiation de l'ordre de M. A... a fait l'objet d'une suspension d'exécution le 30 avril 2021, sur saisine du conseil de l'ordre des pharmaciens. Après l'entrée en vigueur des nouvelles conditions de transfert introduites dans le code de la santé publique par l'ordonnance du 3 janvier 2018, la SARL Pharmacie A... a sollicité une nouvelle fois l'autorisation de transfert sur le même local, qui lui a été accordée par arrêté du directeur de l'ARS Nouvelle-Aquitaine en date du 8 septembre 2021. A nouveau saisi par les deux mêmes pharmacies concurrentes, le tribunal administratif de Limoges a annulé également cette troisième autorisation par un jugement du 12 décembre 2023. La SARL Pharmacie A..., qui a relevé appel de ce jugement sous le n° 23BX03216, demande par la présente requête qu'il soit sursis à son exécution.
Sur l'intervention de Me Urbain, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL Pharmacie A... :
2. Me Urbain, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL Pharmacie A... acté par un jugement du tribunal de commerce de Limoges du 15 mai 2019, a intérêt au sursis à l'exécution du jugement. Son intervention est donc recevable.
Sur la demande de sursis :
3. Aux termes de l'article R. 811-14 du code de justice administrative : " Sauf dispositions particulières, le recours en appel n'a pas d'effet suspensif... ". Aux termes de l'article R. 811-15 de ce code: " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". Aux termes de l'article R. 222-25 du code de justice administrative : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 ".
4. Aux termes de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique, dans sa version applicable après l'ordonnance n°2018-03 du 3 janvier 2018 : " Lorsqu'ils permettent une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par le pharmacien demandeur au sein d'un quartier défini à l'article L. 5125-3-1, d'une commune ou des communes mentionnées à l'article L. 5125-6-1, sont autorisés par le directeur général de l'agence régionale de santé, respectivement dans les conditions suivantes : 1° Les transferts et regroupements d'officines, sous réserve de ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d'origine. /L'approvisionnement en médicaments est compromis lorsqu'il n'existe pas d'officine au sein du quartier, de la commune ou de la commune limitrophe accessible au public par voie piétonnière ou par un mode de transport motorisé répondant aux conditions prévues par décret, et disposant d'emplacements de stationnement ;(...) ". L'article L. 5125-3-2 précise : " Le caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins prévu à l'article L. 5125-3 est satisfait dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont respectées : 1° L'accès à la nouvelle officine est aisé ou facilité par sa visibilité, par des aménagements piétonniers, des stationnements et, le cas échéant, des dessertes par les transports en commun ; 2° Les locaux de la nouvelle officine remplissent les conditions d'accessibilité mentionnées aux articles L. 164-1 à L. 164-3 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les conditions minimales d'installation prévues par décret. Ils permettent la réalisation des missions prévues à l'article L. 5125-1-1 A du présent code et ils garantissent un accès permanent du public en vue d'assurer un service de garde et d'urgence ; 3° La nouvelle officine approvisionne la même population résidente ou une population résidente jusqu'ici non desservie ou une population résidente dont l'évolution démographique est avérée ou prévisible au regard des permis de construire délivrés pour des logements individuels ou collectifs. " Selon l'article L. 5125-3-1 du code de la santé publique : " Le directeur général de l'agence régionale de santé définit le quartier d'une commune en fonction de son unité géographique et de la présence d'une population résidente. L'unité géographique est déterminée par des limites naturelles ou communales ou par des infrastructures de transport. (...) ".
5. L'arrêté du directeur de l'ARS du 8 septembre 2021 a défini le quartier d'accueil du transfert comme la partie sud de la commune de Nexon, délimitée au nord
par la RD n°15 qui traverse le bourg d'ouest en est, et à l'ouest, au sud et à l'est
par " les limites communales ", en l'occurrence respectivement avec les communes
de St Hilaire-les-Places (qui ne dispose pas d'officine), La Meyze (où se trouve la pharmacie B...) et Janailhac (également dépourvue d'officine). Il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle délimitation, incluant la partie sud du bourg de Nexon, serait erronée.
6. Pour annuler l'arrêté du 8 septembre 2021, le tribunal administratif, qui a reconnu que l'approvisionnement en médicaments de la population du centre bourg, où demeure une pharmacie, n'était pas compromis, a cependant retenu " qu'il ne ressort pas des pièces
du dossier que la population résidente de ce quartier constitué d'une vingtaine de hameaux et évaluée en 2019 à 578 habitants, ni celle d'une partie de la population des communes environnantes dépourvues d'officine, n'était pas desservie jusqu'alors, d'une part,
par les officines implantées en centre bourg de Nexon et, d'autre part, par les officines
de Mme B... et par celle de la SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe. En outre, aucun élément ne permet d'établir que l'évolution démographique de ce secteur puisse y justifier le transfert d'une officine pour répondre aux besoins d'une population nouvelle. " Toutefois, s'agissant du transfert d'une officine, la circonstance que la population du quartier d'accueil pouvait s'approvisionner auparavant, d'une part dans les deux pharmacies du bourg de Nexon, y compris celle faisant l'objet du transfert, d'autre part le cas échéant dans des communes voisines, ne remet pas en cause l'amélioration de desserte résultant d'une plus grande proximité au sein de la commune de Nexon pour certains habitants, et la circonstance que le nombre d'habitants du vaste quartier sud soit inférieur à celui résidant dans la partie Nord de la commune n'est pas davantage de nature à faire en elle-même obstacle au transfert, en l'absence de seuil minimum de population résidente pour un transfert au sein d'une même commune sans compromission de l'approvisionnement de la population résidant à proximité du local initial.
7. Toutefois, Mme B... et la SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe avaient également invoqué devant les premiers juges l'insuffisance des aménagements piétonniers permettant d'accéder au nouveau local. Il ressort des deux constats d'huissier qu'elles
ont produit devant le tribunal que le cheminement piétonnier entre le centre bourg et le pôle super U où la pharmacie A... a été transférée, qui permet d'y accéder en 25 mn,
soit 50 mn aller-retour, emprunte les bas-côtés d'une route départementale assez étroite, lesquels sont majoritairement en terre avec peu de parties sécurisées par un trottoir, et qu'aucun éclairage n'est disponible sur environ 1,3 km. Dans ces conditions, le lieu d'implantation n'apparaît pas effectivement accessible sans danger par des piétons, et le caractère optimal de la desserte après transfert sur cet emplacement ne peut être reconnu, en l'absence de dérogation sur ce point aux dispositions précitées de l'article L. 5125-3-2
en faveur des zones rurales.
8. Il résulte de ce qui précède que les moyens invoqués par l'appelant n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, de nature à justifier le rejet des conclusions à fin d'annulation auxquelles ce jugement a fait droit. Par suite, les conclusions tendant au sursis à l'exécution de ce jugement sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies. Il s'ensuit que les conclusions de la pharmacie A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de Me Urbain, agissant en qualité de commissaire à l'exécution
du plan de redressement de la SARL Pharmacie A... est admise.
Article 2 : La requête de la SARL Pharmacie A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL Pharmacie A..., à Me Urbain, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de
la SARL Pharmacie A..., à Mme D... B..., à la SELARL Pharmacie Pierre Millet Lacombe, à l'Agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine et au ministre
du travail, de la santé et des solidarités.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2024.
La présidente de chambre,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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