Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 janvier 2023 par lequel le préfet de Charente-Maritime a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°2300403 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 27 avril et le 3 octobre 2023, Mme E... C... D..., représentée par Me Feydeau, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 mars 2023 ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut, après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour, de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français porte atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant, en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de fixer comme pays de renvoi " tout autre pays dans lequel elle est légalement admissible " méconnaît le principe de non refoulement figurant à l'article 33 de la convention de Genève.
La requête a été communiquée au préfet de la Charente-Maritime, qui n'a pas présenté d'observations en défense.
Par décision du 20 juin 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à Mme C... D... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le rapporteur public a été dispensé, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique a été entendu le rapport de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... C... D..., ressortissante camerounaise née le 9 novembre 1982 a obtenu le statut de réfugié en Grèce. Elle déclare être entrée en France, accompagnée de son fils F... B... C..., le 10 mars 2022. Sa demande d'asile a été rejetée comme irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 9 septembre 2022. Par un arrêté du 16 janvier 2023, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler cet arrêté. Elle relève appel du jugement du 17 mars 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret le 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Il ressort des pièces du dossier que le fils de Mme C... D..., né le 16 mai 2019, souffre d'un retard global de développement, de particularités dans sa communication et ses interactions sociales, ainsi que d'un trouble oppositionnel, qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire. Toutefois, en se bornant à produire des documents de portée générale concernant les défaillances de la prise en charge des réfugiés en Grèce, Mme C... D..., qui a obtenu le statut de réfugié dans cet Etat membre de l'Union européenne, n'établit pas que son fils ne pourrait y recevoir, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, les soins que son état exige. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que son accompagnement devrait être effectué en langue française. Par suite, la mesure d'éloignement, qui n'implique pas la séparation de la mère et de son enfant, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. En second lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure (...) nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre (...) ". Et aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ". Si Mme C... D... fait valoir qu'elle bénéficie en France d'un suivi psychologique et psychiatrique conséquent ainsi que d'un traitement médicamenteux, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle n'aurait pas fait l'objet d'une prise en charge adaptée en Grèce et ne pourrait en bénéficier à l'avenir en cas d'éloignement à destination de ce pays. Dès lors, le préfet de la Charente-Maritime n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise la mesure d'éloignement, et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
5. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (...) ". L'article L. 721-4 du même code dispose que : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Enfin, aux termes du 1 de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ".
6. L'arrêté contesté fait obligation à Mme C... D... de quitter le territoire à destination de la Grèce ou de tout pays dans lequel elle est légalement admissible. Il n'a ni pour objet, ni pour effet de permettre son éloignement d'office à destination du Cameroun. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève, ou de ce qu'elle risquerait de subir dans son pays d'origine des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme C... D..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme C... D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2023.
Le rapporteur,
Julien A...
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX01133