Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... H... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 juillet 2019 par lequel le président du conseil départemental de La Réunion a refusé de la titulariser en qualité d'attaché de conservation du patrimoine, et de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices causés par le harcèlement moral dont elle a été victime.
Par un jugement n° 1901229, n°1901280 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 juillet 2021, le 28 mars 2022 et le 6 mai 2022, Mme D... H..., représentée par Me Benizri, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 mai 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2019 et de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices causés par le harcèlement moral dont elle a été victime, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2019 et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du département de La Réunion une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est victime d'un harcèlement moral ainsi que le révèle la plainte déposée à son encontre par sa supérieure hiérarchique et classée sans suite, les absences de réponses à ses demandes d'installation d'une climatisation, d'aménagement d'un bureau supplémentaire, de restauration du jardin de l'artothèque, d'aménagement d'un bassin, de résidences d'artistes ; de manière générale, l'artothèque est volontairement laissée à l'abandon ; elle doit par exemple fermer le week-end en raison d'un manque de personnel ; la directrice de la culture, Mme F..., a adopté depuis son arrivée un comportement de dénigrement, notamment lorsqu'elle a été victime de plagiat ; son analyse artistique est écartée, notamment celle concernant M. E..., et elle a été exclue de la programmation des événements de l'artothèque, en particulier de la célébration des 30 ans de cette institution, ainsi que de l'acquisition des œuvres et du jury du prix Célimène ; elle est de manière vexatoire désignée comme responsable de l'établissement et non directrice et n'est pas mentionnée dans le dossier de presse de l'anniversaire, n'a pu recevoir le trophée de l'accessibilité attribué à l'artothèque, est écartée de nombreuses informations ; ses réalisations sont effacées par la restauration de l'artothèque à laquelle elle n'a pas été associée, ou encore sur internet ; elle a également été soumise aux pernicieuses manigances de Mme C..., gestionnaire administrative et financière ;
- ces faits sont postérieurs au protocole transactionnel conclu en juillet 2014 ;
- ils ont provoqué une dégradation importante de son état de santé ;
- elle a fait l'objet d'une attaque verbale lors d'une réunion du 28 janvier 2022 ;
- les témoignages produits à son encontre émanent des quatre agents, la directrice de la culture, MM. A... et Timol, et Mme B... qui la détestent, si bien qu'ils n'ont aucune valeur probante ;
- sa rémunération n'a pas évolué entre 2015 et 2022, jusqu'à bénéficier de la garantie individuelle de pouvoir d'achat ; aucune NBI ne lui a été accordée ;
- son préjudice moral et la dégradation de son état de santé devront être indemnisés à hauteur de 100 000 euros ; son préjudice de carrière doit être évalué à 150 000 euros ;
- M. A... n'était pas compétent pour réaliser l'entretien professionnel à l'issue de son stage et signer l'évaluation de stage sur la base de laquelle la décision de non-titularisation a été prise ;
- aucun entretien de début de stage n'a été réalisé ;
- l'évaluation de fin de stage n'a donné lieu à aucun entretien ;
- la commission administrative paritaire n'a fait preuve d'aucune rigueur dans l'examen de sa situation ;
- le refus de titularisation est motivé par sa dénonciation des faits de harcèlement moral dont elle est victime, en méconnaissance de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;
- la décision de refus de titularisation est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- aucune difficulté managériale ne lui a été reprochée au cours de ses 18 années de service à la tête de l'artothèque ; la pétition du 3 mai 2018 a été initiée dans le but de l'évincer et signée sous la pression ; le reproche quant à la prévention et la gestion des conflits figurant dans l'évaluation du 3 juillet 2017, notamment quant aux stagiaires, est infondé ; aucun agent n'a quitté le service pour des maltraitances de sa part ; l'artothèque entretient de nombreux partenariats ; enfin, le manque de personnel a nui à a qualité de son travail, alors qu'elle a toujours fait preuve d'investissement et de dévouement ; alors que ses agents adoptaient un comportement irrespectueux et d'insubordination, sa hiérarchie l'a systématiquement décrédibilisée ; M. A... a adopté à son égard un comportement intimidant, humiliant et agressif ; ce comportement a repris en juin 2021 lors de son retour de congés de maladie.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 décembre 2021 et le 25 avril 2022, le département de La Réunion, représenté par la SELARL Bardon et de Faÿ, agissant par Me de Faÿ, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme H... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 25 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- le décret n°91-843 du 2 septembre 1991 ;
- le décret n°92-1194 du 4 novembre 1992 ;
- le décret n° 2012-1293 du 22 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dufour,
- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Lesure, représentant le département de la Réunion.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... H..., qui exerce les fonctions de responsable de l'artothèque du département de La Réunion sous contrat à durée indéterminée, a été nommée, par arrêté du 9 octobre 2017, attachée territoriale de conservation stagiaire, pour une durée de six mois à compter du 1er octobre 2017. Le président du conseil départemental l'a informée le 5 mars 2019 de son intention de ne pas procéder à sa titularisation. Par un courrier du 23 avril 2019, l'intéressée a dénoncé auprès de son employeur le harcèlement moral dont elle s'estime victime et a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, ainsi qu'une indemnisation à hauteur de 150 000 euros. Par arrêté du 12 juillet 2019, le président du conseil départemental, suivant l'avis rendu le 16 avril 2019 par la commission administrative paritaire, a refusé de titulariser Mme H... en qualité d'attachée de conservation du patrimoine et l'a replacée dans sa situation initiale d'agent en contrat à durée indéterminée. Puis, il a informé cette dernière, par un courrier du 26 juillet 2019, qu'un refus était opposé à l'ensemble des demandes formulées le 23 avril 2019. Mme H... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 juillet 2019 et de condamner le département de La Réunion à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement du 20 mai 2021 dont Mme H... relève appel, le tribunal a rejeté ses demandes.
Sur le harcèlement moral :
2. Aux termes du 1er alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
En ce qui concerne les faits antérieurs au 15 juillet 2014 :
3. Il résulte de l'instruction que Mme H... a été recrutée en juillet 2000 par le département de La Réunion pour exercer des fonctions d'attachée de conservation du patrimoine à l'Artothèque. Son contrat à durée déterminée (CDD) a fait l'objet de quatre renouvellements successifs jusqu'au 3 juillet 2009. Par un jugement du 25 novembre 2010, le tribunal de La Réunion a annulé la décision d'éviction du 17 avril 2009 en tant qu'elle méconnaissait le droit de l'intéressée à bénéficier d'un contrat à durée indéterminée (CDI). Par décision du 29 décembre 2010, Mme H... a été en conséquence réintégrée dans les effectifs du département au titre d'un CDI, avec affectation à la bibliothèque scientifique du muséum d'histoire naturelle. Par un jugement du 4 octobre 2012, le tribunal de La Réunion, saisi d'une demande d'exécution du jugement du 25 novembre 2010, a enjoint au département de réintégrer l'intéressée dans un emploi équivalent, par son niveau hiérarchique et son niveau d'encadrement, à celui qu'elle occupait en qualité de responsable de l'Artothèque. Puis, à compter du 15 mars 2013, Mme H... a été réintégrée en qualité de responsable de l'Artothèque. Le 10 juillet 2014, le département de La Réunion et Mme H... ont conclu un protocole transactionnel par lequel le Département s'est engagé à verser à la requérante une somme de 30 000 euros en réparation de l'intégralité des préjudices subis depuis son entrée en fonctions en juillet 2000, causés par son affectation au service des archives de juillet 2008 à juillet 2009, son éviction du service de juillet 2009 à décembre 2010, puis son affectation au poste d'attachée de conservation au muséum d'histoire naturelle en janvier 2011. En contrepartie, Mme H... s'est engagée " à ne pas introduire de recours indemnitaire à l'encontre du département pour un quelconque préjudice subi sur toute la période depuis son entrée au département jusqu'à ce jour ". Ces stipulations font obstacle à ce que la requérante obtienne l'indemnisation de préjudices antérieurs à la date de conclusion de l'accord, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges.
En ce qui concerne les mesures prises à l'égard de l'artothèque :
4. Mme H... soutient qu'afin de lui nuire, les demandes qu'elle présente à la direction de la culture et du sport au nom de l'artothèque sont refusées, restent sa ns réponse ou que ses démarches sont retardées. Elle évoque notamment l'absence de changement de la climatisation et d'entretien du bassin, les refus d'aménagement d'un bureau ou d'un nouveau bassin, les refus d'accueil d'artistes en résidence ou d'acquisition de leurs œuvres, notamment celle de Digema, la suppression des cartons d'invitation, le manque d'effectifs et, plus généralement, le désintérêt dont sa structure est victime. Il résulte cependant de l'instruction que les demandes de travaux ou d'achats sont examinées par la direction du bâtiment et des espaces publics, et que si des refus, provisoires ou définitifs, lui sont parfois opposés, ceux-ci sont justifiés par des raisons matérielles ou budgétaires, et relèvent d'un fonctionnement normal de l'institution. Ainsi, si les effectifs de l'artothèque ont baissé au cours de l'année 2018, il ressort des éléments produits par la requérante qu'ils ont également atteint leur plus haut niveau en 2014, alors que Mme H... en était déjà la responsable. En tout état de cause, l'évolution budgétaire différenciée des différents équipements culturels de la collectivité ne saurait attester de l'existence d'un harcèlement. Il ressort des courriels produits en défense que la décision de mettre fin, sauf exception, à l'impression de cartons d'invitation s'applique à l'ensemble des équipements culturels de la collectivité.
En ce qui concerne les vexations et mises à l'écart :
5. Mme H... soutient que le département, par mesure de rétorsion, l'a privée suite à sa réintégration du titre de " directrice de l'artothèque ", la reléguant au rang de simple " responsable de service ". Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressée avait été officiellement désignée " directrice " de cet équipement avant son éviction, le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 22 novembre 2012 désignant son emploi comme celui de " responsable de l'artothèque ". D'autre part, contrairement à ce que soutient la requérante, il existe d'autres équipements culturels dont la direction est assurée par des agents n'ayant pas le titre de " directeur " tels le musée historique de Villèle ou encore le Lazaret de la Grande Chaloupe, ainsi qu'il ressort de l'organigramme qu'elle produit. Enfin, il est constant que Mme H... exerce effectivement la direction de l'artothèque, et est identifiée comme telle par ses interlocuteurs internes comme extérieurs au Département. La circonstance que le Département mentionne sur le site internet de l'artothèque des personnes en ayant exercé la direction à titre intérimaire et sans posséder de qualification en matière artistique n'a aucun caractère vexatoire à l'égard de Mme H....
6. Si Mme H... se plaint de lourdeurs administratives imposées par sa hiérarchie, entraînant des retards dans l'activité de l'artothèque, notamment pour l'accueil de l'exposition d'Alain Noël ou la résidence de Didier Clain, il résulte de l'instruction que les démarches imposées à l'intéressée sont justifiées par le respect de la réglementation applicable au département ou des procédures internes de contrôle, ou encore la recherche d'économies budgétaires.
7. Le choix des artistes accueillis en résidence et des œuvres achetées fait l'objet d'arbitrages qui ne sont pas systématiquement défavorables à Mme H.... L'acquisition de l'œuvre du lauréat du prix Célimène s'explique par le fait que le Département participe à l'organisation de ce prix. En tout état de cause, sauf exception, l'avis de Mme H... est requis. De même, le département pouvait faire le choix de solliciter une partenaire extérieure, professeure agrégée et docteur en art plastique et sciences de l'art, afin de rédiger une analyse sur l'artiste Thierry E... pour le nouveau site internet de l'artothèque, alors même que Mme H... a elle-même déjà évoqué son travail dans plusieurs textes.
8. Mme H... soutient par ailleurs qu'elle a été exclue de la programmation de la célébration des 30 ans de l'artothèque, en 2021. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'intéressée, placée en congés de maladie d'août 2019 au 23 juin 2021, était absente lorsque l'organisation de l'événement, en partenariat avec le fonds régional d'art contemporain a débuté. Aucune pièce du dossier ne corrobore les allégations de la requérante selon lesquelles sa procédure de réintégration, débutée le 5 février 2021, aurait été volontairement retardée par son employeur. En outre, Mme H... a été rapidement, lors de son retour, associée aux préparatifs. Le ravalement des façades du bâtiment en vue de cette célébration s'inscrit dans le fonctionnement normal de l'institution et ne peut être regardé comme visant la requérante.
9. Compte tenu notamment des implications financières d'un tel déplacement, la circonstance que Mme H... n'a pas été autorisée à représenter à Paris le département de La Réunion pour la remise à l'artothèque d'un prix dans le cadre des Trophées de l'accessibilité à la culture ne relève pas du harcèlement moral.
10. Enfin, il n'est pas établi que les courriers adressés à Mme H... seraient retenus par sa hiérarchie, ou que la suppression d'articles la concernant sur le site d'information " Clicanoo " aurait un quelconque rapport avec son employeur.
En ce qui concerne les relations avec la directrice de la culture :
11. Mme H... soutient qu'elle fait l'objet d'un dénigrement systématique de la part de la directrice de la culture et du sport du département de la Réunion, Mme F..., qui manipule les agents placés sous sa responsabilité afin de lui nuire. La requérante se prévaut notamment d'une attestation rédigée par Mme F... dans le cadre d'un litige en contrefaçon l'opposant à l'une de ses collègues ayant reproduit, en 2010, une phrase rédigée par la requérante à propos d'un des artistes exposés à l'artothèque, et qui sera condamnée par la cour d'appel de Paris en 2015. Toutefois, cette attestation en date du 17 février 2014 se borne à partager une appréciation positive sur la personnalité et le travail de la collègue de Mme H..., et ne comporte aucune mention de cette dernière ni même du litige les opposant. Elle n'est pas susceptible de faire présumer de l'existence d'un harcèlement moral. Il en est de même du courrier électronique du 14 novembre 2014, rédigé par la directrice après qu'elle a reçu, en urgence, un agent de l'artothèque, dont les termes prudents ne révèlent aucun parti-pris défavorable à la requérante. Au-delà, il résulte de l'instruction qu'à la suite du contentieux ayant opposé Mme H... au département de La Réunion lors du non-renouvellement de son contrat, Mme F..., à la demande de Mme H... qui l'estimait personnellement responsable de son éviction, a été écartée de la supervision de l'artothèque au profit de son adjoint. Les pièces du dossier tendent à confirmer que cette précaution a été respectée, et ne témoignent pas d'actes de malveillance au préjudice de Mme H.... Si la requérante fait valoir que Mme F... a porté plainte contre elle pour outrage en avril 2015, plainte classée sans suite, elle n'apporte pas de précision suffisante sur les circonstances et le contenu de cette plainte, alors que la mésentente entre les deux agents est connue et ancienne. Dans ces conditions, l'absence de contact direct entre elles ne peut témoigner de l'existence d'un harcèlement moral.
En ce qui concerne l'attitude de Mme H... à l'égard de ses agents :
12. Mme H... soutient que la décision du 12 juillet 2019 refusant de la titulariser à l'issue de son stage traduit le harcèlement moral dont elle fait l'objet. Si elle critique la durée de son stage, débuté le 1er octobre 2017 et qui devait s'étendre sur six mois, il résulte de l'instruction que le 3 mai 2018, six agents de l'artothèque ont adressé au président du conseil départemental une note destinée à l'alerter sur leur souffrance, en raison d'une atmosphère dégradée et conflictuelle causée par le comportement agressif et méprisant de leur responsable. Trois des agents signataires de la note ont également adressé individuellement des courriers au directeur adjoint de la culture et du sport, supérieur hiérarchique de Mme H..., formulant les mêmes reproches, les 12 février, 1er mars et 18 mai 2018. Le directeur général des services a décidé de diligenter une enquête administrative qui a eu lieu au mois de juillet 2018, et les observations de Mme H... sur le rapport qui en est issu ont été sollicitées en décembre 2018. Par courrier du 5 mars 2019, l'agent a été informée de l'intention de la collectivité de ne pas procéder à sa titularisation, et la commission administrative paritaire a été consultée le 16 avril 2019. Dans ces conditions, l'allongement de la durée du stage ne témoigne pas d'un harcèlement moral.
13. Mme H... soutient que le refus de titularisation repose sur une critique infondée de son encadrement des agents de la part de la direction de la culture et du sport, à travers notamment le rapport du directeur adjoint en date du 6 avril 2018. Elle fait valoir qu'aucun départ du service n'est lié à sa personne, que deux des agents ayant signé la note du 3 mai 2018 attestent le regretter, que les autres ont eu un comportement indiscipliné que sa hiérarchie a encouragé au lieu de soutenir ses rappels à l'ordre, et que les reproches sont apparus au moment de son stage. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'enquête administrative rédigé après l'audition de l'ensemble des neuf agents de l'artothèque, que la manière excessivement autoritaire, agressive ou méprisante dont Mme H... communique avec ses agents provoque des tensions et un mal être chez la plupart d'entre eux et entretient une atmosphère dégradée. Ce constat n'émane pas uniquement de la direction de la culture et du sport, mais de la direction des ressources humaines, qui a produit le rapport. Même si les reproches se sont multipliés à partir du début de l'année 2018, l'un des objectifs fixés à Mme H... pour l'année 2017 était déjà d'améliorer son management, et les pièces produites par la requérante elle-même témoignent d'incidents antérieurs. Ainsi, dès novembre 2014, un agent a souhaité quitter l'artothèque en raison d'un management qualifié de trop brutal voire humiliant, ou encore en juin 2017 une stagiaire a été choquée par la façon dont Mme H... lui a reproché d'être sortie du cadre de sa mission. Il n'est pas établi que la directrice de la culture et du sport ou son adjoint aurait organisé le stage dans des conditions déloyales ou partiales, et ce dernier avait qualité pour procéder à l'évaluation de Mme H.... Dans ces conditions, même si la requérante produit les attestations de trois agents selon lesquelles elle ne leur aurait " jamais crié dessus ni humilié ", trois comptes rendus de réunions pour les années 2017 à 2019, ainsi que des témoignages de personnes extérieures au service, les rapports défavorables concernant son management et sa communication et la décision du 12 juillet 2019 relèvent d'un exercice normal du pouvoir hiérarchique.
En ce qui concerne son statut :
14. Mme H... fait valoir que sa rémunération n'a pas évolué depuis son recrutement par le département, il y a plus de vingt ans, alors notamment qu'elle en a fait expressément la demande par courrier du 27 septembre 2017. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que le département de La Réunion a, alors qu'il n'y était pas tenu, engagé la procédure devant conduire à la titularisation de l'intéressée, ouvrant la voie à une évolution de sa carrière. D'autre part, la requérante n'établit pas qu'elle aurait fait l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport aux autres agents contractuels du département. Enfin, si Mme H... n'a pas fait l'objet d'une évaluation au titre de l'année 2018, cette circonstance ne révèle pas, dans les circonstances de l'espèce, un harcèlement moral.
En ce qui concerne les autres éléments invoqués par Mme H... :
15. Mme H... n'établit pas que son supérieur hiérarchique aurait tenu à son égard des propos humiliants ou irrespectueux. Il résulte de l'instruction que les récriminations de la requérante à son encontre ne sont pas étrangères aux vives tensions les opposant, qui se sont traduites en une altercation le 28 janvier 2022. Dans ces conditions, la suspension temporaire de Mme H... décidée par arrêté du président du conseil départemental du 28 février 2022 témoigne d'un exercice normal du pouvoir hiérarchique.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et même si la requérante fait valoir qu'elle a souffert en 2015 et 2016 de problèmes de santé en lien avec l'exercice de son activité professionnelle que le harcèlement moral n'est pas établi.
Sur la légalité de l'arrêté du 12 juillet 2019 portant refus de titularisation :
17. La procédure de titularisation de Mme H... a été engagée sur le fondement de l'article 13 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, aux termes duquel : " Par dérogation à l'article 36 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, l'accès aux cadres d'emplois de fonctionnaires territoriaux peut être ouvert par la voie de modes de recrutement réservés valorisant les acquis professionnels, dans les conditions définies par le présent chapitre et précisées par des décrets en Conseil d'Etat, pendant une durée de six ans à compter de la date de publication de la présente loi. ". Et aux termes de l'article 15 du décret du 22 novembre 2012 pris pour l'application du chapitre II du titre Ier de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Les agents recrutés en application du présent décret sont nommés en qualité de fonctionnaires stagiaires au plus tard le 31 décembre de l'année au titre de laquelle le recrutement réservé est organisé. Ils effectuent un stage d'une durée de six mois. Pendant cette période, ils sont placés, au titre de leur contrat, en congé sans rémunération et sont soumis aux dispositions du décret du 4 novembre 1992 susvisé, à l'exception de celles relatives à la durée du stage. ".
En ce qui concerne la légalité externe :
18. En premier lieu, Mme H... soutient qu'elle n'a pas été reçue en début de stage par son supérieur hiérarchique afin qu'un cadre et des directives lui soient donnés. Toutefois, aucun texte ni aucun principe n'impose la tenue d'un tel entretien. Compte tenu d'une part de l'expérience de la requérante dans les fonctions de responsable de l'artothèque, d'autre part du motif du refus de titularisation, tenant aux insuffisances dans le management et la communication avec ses agents, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que du fait de cette absence d'entretien elle n'a pas été mise à même de faire la preuve de ses aptitudes au cours de son stage probatoire.
19. En deuxième lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les commissions administratives paritaires connaissent des refus de titularisation. (...) ". Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'extrait du compte-rendu de la séance produit en défense, que la commission administrative paritaire a procédé à un examen sérieux et impartial de la situation de Mme H....
20. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction, notamment de l'organigramme de la direction de la culture et du sport, dont relève l'artothèque, que l'adjoint à la directrice de la culture et du sport est le supérieur hiérarchique de Mme H..., sans qu'il soit nécessaire qu'une note de service ou un arrêté le désigne comme tel. Celui-ci pouvait légalement donner son avis sur l'aptitude de l'intéressée à être titularisée.
21. Enfin, la circonstance que la décision quant à la titularisation de Mme H... a été prise plus d'une année après l'expiration de la durée du stage telle que prévue par les dispositions précitées de l'article 15 du décret du 22 novembre 2012 est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cette décision.
En ce qui concerne la légalité interne :
22. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit, que la manière excessivement autoritaire, agressive ou méprisante dont Mme H... communique avec les agents placés sous son autorité hiérarchique provoque des tensions et un mal être chez la plupart d'entre eux et entretient une atmosphère dégradée. En refusant de la titulariser dans le cadre d'emploi des attachés territoriaux de conservation du patrimoine, le président du conseil départemental de La Réunion ne s'est pas fondé sur des faits matériellement inexacts et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
23. Aux termes du 2ème alinéa de l'article 6 quinquies du statut général des fonctionnaires : " Aucune mesure concernant notamment la titularisation, (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; (...) ". Toutefois, il résulte des points 2 à 16 que Mme H... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée s'inscrirait dans le cadre d'un harcèlement moral exercé à son encontre. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le refus de titularisation aurait été décidé pour des raisons autres que l'appréciation négative portée sur l'aptitude de l'intéressée à être titularisée en qualité d'attachée de conservation du patrimoine.
24. Il s'ensuit que Mme H... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.
Sur les frais de l'instance :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de La Réunion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme H... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme H... une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le département de La Réunion et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme H... est rejetée.
Article 2 : Mme H... versera au département de La Réunion une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme D... H... et au département de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Markarian, présidente,
M. Faïck, président assesseur,
M. Dufour, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.
Le rapporteur,
Julien DufourLa présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21BX02956 2