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07/11/2023 | FRANCE | N°21BX02416

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 07 novembre 2023, 21BX02416


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Moderne de Technique Routière (Moter) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 2 337 888,12 euros toutes taxes comprises au titre du marché public d'extension de la ligne B du tramway entre Pessac et Bougnard, dont elle était titulaire.

Par un jugement n° 1801874 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné Bordeaux Métropole à verser à la société Moter la somme de 244

543,55 euros toutes taxes comprises et a rejeté le surplus de la demande.

Procédur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Moderne de Technique Routière (Moter) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 2 337 888,12 euros toutes taxes comprises au titre du marché public d'extension de la ligne B du tramway entre Pessac et Bougnard, dont elle était titulaire.

Par un jugement n° 1801874 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné Bordeaux Métropole à verser à la société Moter la somme de 244 543,55 euros toutes taxes comprises et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin 2021 et 21 juillet 2023, la société Moter, représentée par la SELAS Adamas Affaires Publiques, agissant par Me Heymans, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801874 du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2021 ;

2°) de condamner Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 948 240,11 euros hors taxes, soit 2 337 888,12 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires au taux de 8,05 % à compter du 16 juin 2015 et des intérêts capitalisés ;

3°) à défaut, de désigner un expert chargé d'examiner les travaux réalisés, de retracer les conditions d'exécution du marché, de déterminer si des prestations non prévues au marché ont été exigées de l'entreprise et si les travaux effectués ont été pris en compte dans le décompte général, d'émettre un avis technique sur le bien-fondé des demandes présentées dans le mémoire en réclamation de la société, de dégager les obligations réciproques des parties au marché, de faire toutes constatations utiles et, le cas échéant, de chercher à concilier les parties ;

4°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole une somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- en vertu des règles et principes généraux applicables aux contrats administratifs, l'entrepreneur a droit à être indemnisé des difficultés rencontrées dans l'exécution des travaux notamment quand elles sont imputables à une faute du maître de l'ouvrage ou résultent de sujétions techniques imprévues ;

- elle doit être indemnisée de la découverte de réseaux non prévus ou mal répertoriés situés sous l'emprise des travaux ; cette découverte l'a contrainte à procéder à des travaux de terrassement ; la preuve de ces terrassements et les volumes concernés par ces travaux résultent des nombreux constats qu'elle a fait dresser sur place ; elle a dû assumer des coûts directs et indirects pour un montant total de 283 032 euros hors taxes ;

- il a été procédé à une modification de la consistance des massifs " LAC " à la suite d'un changement de norme qui lui a été imposé et dont le coût a été à juste titre indemnisé par le tribunal ; par ailleurs, le ferraillage de 18 massifs a été perturbé par la présence de réseaux non prévus ; il y a eu également une augmentation de l'emprise des massifs ; il en résulte un coût supplémentaire de 24 480 euros hors taxes ; les travaux de réalisation des massifs ont conduit en outre la société à procéder à des terrassements d'un volume de 364,5 m3 en raison de la modification de l'emprise des massifs et de la découverte de réseaux non répertoriés ; la société a supporté un coût de 110 444,25 euros hors taxes qui doit lui être indemnisé ;

- l'exécution des travaux de raccordement de la phase 2 du tramway lui a été notifiée deux jours après le début du démarrage sans information préalable sur les conditions d'exécution des travaux, ce qui révèle une faute du maître de l'ouvrage ; le planning d'exécution ne prévoyait pas que la société intervienne durant la période concernée, soit l'été 2013 ; la société a été ainsi confrontée à des difficultés d'exécution liées notamment à l'intervention de plusieurs entrepreneurs sur le même site durant la même période ; elle a dû mobiliser des moyens humains et techniques non prévus initialement ; elle a supporté un coût de 122 000 euros hors taxes qui doit lui être indemnisé ;

- il a été procédé à la modification de l'emprise des cinq tronçons prévus au marché au cours de l'exécution des travaux ; ces modifications ont pour cause l'intégration et l'exclusion de giratoires ou le morcellements de certains des tronçons ; la société a été contrainte de mobiliser des moyens supplémentaires et de multiplier ses zones d'intervention ; ces difficultés ont pour origine des défaillances de l'administration dans l'organisation du chantier ; le préjudice subi par la société s'établit à la somme de 650 505,80 euros hors taxes et elle a droit à une indemnisation ;

- l'accélération des travaux sur les tronçons 2 et 4 a obligé la société à mobiliser des moyens humains et techniques supplémentaires ; l'indemnisation du préjudice qui en est résulté pour elle doit se faire en retenant le mode de calcul fixé dans l'avenant n°1 qui seul permet une réparation intégrale de ce préjudice ;

- elle a été confrontée au cours de l'exécution des travaux à de nombreux aléas qui sont établis par les constats qu'elle a fait réaliser sur place et transmis au fur et à mesure au maître d'œuvre ; son préjudice s'établit à 96 264,20 euros hors taxes ;

- elle a subi un préjudice en raison du refus du maître d'œuvre d'agréer les mâchefers d'incinération des déchets non dangereux, ce qui l'a privée de la possibilité de diminuer les coûts afférents à la réalisation de ces ouvrages ; elle a subi un préjudice qui s'établit à 155 119,45 euros hors taxes ;

- elle a droit sur les sommes qui lui sont dues aux intérêts moratoires et aux intérêts capitalisés ;

- si la cour ne s'estimait pas suffisamment éclairée sur les droits et obligations des parties au contrat, il lui reviendrait de désigner un expert.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 et 22 mars 2023, Bordeaux Métropole, représentée par la SELARL Cabanes avocats, agissant par Me Cabanes, conclut :

1°) au rejet de la requête de la société Moter ;

2°) et, par voie d'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a condamné Bordeaux Métropole à verser à la société Moter la somme de 102 816 euros hors taxes soit 123 379,20 euros toutes taxes comprises au titre du prix des massifs " LAC " en fondation superficielle et, en conséquence, de réduire le montant de la condamnation à 121 164,35 euros toutes taxes comprises ;

3°) de mettre à la charge de la société Moter une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Elle ajoute, en ce qui concerne l'indemnisation des travaux sur les massifs " LAC ", que si la modification des normes devant être respectées a bien entraîné un coût supplémentaire pour la société, rien ne justifie l'application d'un prix nouveau au titre de difficultés d'exécution supplémentaires ; le marché a été conclu sur la base d'un prix unitaire, qui a un caractère forfaitaire et définitif ; ce prix est par conséquent réputé comprendre toutes les dépenses résultant des travaux en tenant compte des sujétions normalement prévisibles ; de plus, la société n'a pas apporté la preuve, qui lui incombe, de ce que le prix proposé ne couvrait pas la totalité des éléments entrant dans la prestation commandée.

Par une ordonnance du 4 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 21 juillet 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Heymans pour la société Moter et de Me Couette, substituant Me Cabanes, pour Bordeaux Métropole.

Une note en délibéré, présentée pour la société Moter a été enregistrée le 18 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La Communauté urbaine de Bordeaux, devenue Bordeaux Métropole, a attribué à la société moderne de technique routière (Moter), par un acte d'engagement signé le 23 mai 2012, un marché négocié avec mise en concurrence préalable portant sur des travaux de voirie et réseaux divers " dans le cadre des travaux d'extension de la ligne B du tramway divisés en cinq tronçons. Ce marché à prix unitaires a été conclu pour un montant de 9 327 924,81 euros hors taxes, porté à 10 257 712,20 euros hors taxes à la suite d'un avenant signé le 26 mai 2014. Le marché d'une durée de 32,5 mois a été notifié le 4 juin 2012. La réception des travaux a été prononcée, après levée des réserves, le 16 janvier 2015 pour le tronçon n° 1, le 16 mars 2015 pour les tronçons 2, 3 et 4 et le 1er avril 2015 pour le tronçon n° 5. Le 7 mai 2015, la société Moter a transmis au maître d'œuvre, le groupement Tysia dont le mandataire était la société Systra, un projet de décompte final accompagné d'une demande de rémunération complémentaire d'un montant de 2 402 752,44 euros. Cette demande a été acceptée à hauteur de 2 251,79 euros dans le décompte général du marché que Bordeaux Métropole a adressé à la société Moter par lettre du 16 décembre 2016. La société Moter a contesté ce décompte par un mémoire en réclamation en date du 4 janvier 2017 auquel Bordeaux Métropole a fait droit, par courrier du 26 janvier suivant, à hauteur de 69 847,89 euros hors taxes. La société Moter a saisi le comité consultatif interrégional de règlements amiables des litiges (CCIRAL), qui a émis son avis le 21 novembre 2017. La Métropole refusant de suivre cet avis, la société Moter a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 2 337 888,12 euros toutes taxes comprises au titre du solde de son marché. Par un jugement rendu le 12 avril 2021, le tribunal a condamné Bordeaux Métropole à verser à la société Moter la somme de 203 786,29 euros hors taxes soit 244 543,55 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché en litige et a rejeté le surplus des demandes de la société Moter. Cette dernière relève appel de ce jugement et demande à la Cour de condamner Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 948 240,11 euros hors taxes soit 2 337 888,12 euros toutes taxes comprises au titre du solde de son marché. Bordeaux Métropole conclut, devant la Cour, au rejet des conclusions d'appel de la société Moter et, par la voie de l'appel incident, à ce que le montant de sa condamnation prononcée par les premiers juges soit ramené à 121 164,35 euros toutes taxes comprises.

Sur l'appel principal de la société Moter :

2. L'entreprise titulaire d'un marché de travaux à prix unitaires a le droit d'être indemnisée des travaux supplémentaires indispensables à l'exécution du marché dans les règles de l'art, sauf dans le cas où la personne publique s'est préalablement opposée, de manière précise, à leur réalisation. Par ailleurs, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché dans la mesure où celle-ci justifie soit qu'elles trouvent leur origine dans des sujétions techniques imprévues, qui ne peuvent être que des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties, et dont l'indemnisation n'est pas subordonnée à un bouleversement de l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre.

3. Il résulte de l'instruction que le lot " VRD " confié à la société Moter était composé de cinq tronçons, le tronçon n° 1 allant du parc relais Bougnard au giratoire Luc, le tronçon n° 2 du giratoire Luc au giratoire Honoré de Balzac, le tronçon n° 3 du giratoire Honoré de Balzac au giratoire Canéjan, le tronçon n° 4 du giratoire Canéjan au giratoire Clavé, et enfin le tronçon n° 5 allant du giratoire Clavé au carrefour H. Levêque.

En ce qui concerne la présence de réseaux non répertoriés ou mal répertoriés dans l'emprise des travaux :

4. Aux termes de l'article 8.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige : " Piquetage spécial des ouvrages souterrains ou enterrés. La reconnaissance des ouvrages souterrains ou enterrés, tels que canalisations ou câbles situés au droit ou au voisinage des travaux à exécuter, sera effectuée, après le piquetage général, contradictoirement avec les services ou concessionnaires intéressés. Pour cela, l'Entrepreneur sera tenu d'ouvrir, à ses frais, des fouilles à la main aux abords des ouvrages enterrés. L'Entrepreneur est tenu de se livrer, dès notification du marché, à l'enquête générale habituelle auprès des concessionnaires selon la procédure légale fixée par les textes en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 2.3.1 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché : " Les ouvrages à construire sont définis sur les plans fournis par la Maîtrise d'œuvre : L'ensemble de ces documents est donné à titre indicatif et des éléments complémentaires seront fournis pendant la phase étude. En particulier, le Maître d'Œuvre fournira pendant la période de préparation des plans directeurs d'exécution. A partir de ces éléments, le titulaire a, à sa charge, l'élaboration de ses plans d'études d'exécution détaillés qui devront intégrer, en parfaite cohérence avec les autres intervenants, toutes les contraintes indiquées par le Maître d'Œuvre (...) ".

5. Les stipulations contractuelles précitées ont mis à la charge de la société Moter les prestations de repérage et de piquetage des réseaux préalablement au démarrage des travaux. Si elles précisent que les plans fournis par le maître d'œuvre sont indicatifs et laissent à la charge du titulaire l'élaboration de plans détaillés, ces mêmes stipulations ne sauraient être interprétées comme privant ce titulaire du droit à obtenir réparation des préjudices subis en raison des erreurs que comportaient les plans remis. Il est constant que les plans remis à la société Moter comportaient des informations erronées quant à la localisation de l'emprise de réseaux souterrains. Par suite, la société est en droit, sur le terrain de la faute du maître de l'ouvrage dans la conception du marché, d'obtenir une indemnité réparant les difficultés qu'elle a rencontrées dans l'exécution de ses prestations.

6. La société Moter demande ainsi la somme de 33 784,50 euros hors taxes au titre des coûts directs résultant des travaux de terrassements manuels qu'elle a réalisés afin de procéder au dégagement des réseaux et d'établir l'adaptation possible à retenir ainsi que la somme de 249 247,50 euros hors taxes au titre des coûts indirects représentés par les immobilisations de personnels et de matériels qu'elle soutient avoir dû effectuer, soit la somme totale de 283 032,46 euros hors taxes.

S'agissant des coûts directs :

7. Aux termes de l'article 12.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux, auquel renvoie l'article 2.2 du marché en litige : " des constatations contradictoires concernant les prestations exécutées ou les circonstances de l'exécution sont faites sur la demande, soit du titulaire, soit du maître d'œuvre. ". Aux termes de l'article 12.5 du même CCAG : " le titulaire est tenu de demander, en temps utile, qu'il soit procédé à des constatations contradictoires pour les prestations qui ne pourraient faire l'objet de constatations ultérieures (...) A défaut et sauf preuve contraire fournie par lui et à ses frais, il n'est pas fondé à contester la décision du maître d'œuvre relative à ces prestations (...) ".

8. Dans sa réponse du 26 janvier 2017 au mémoire en réclamation, Bordeaux Métropole a accepté, sur le principe, de rémunérer les travaux de terrassement que la société Moter a été contrainte d'effectuer après la découverte de réseaux non répertoriés ou situés à une altimétrie différente de celle initialement prévue sur les plans. Si la société Moter soutient que le prix proposé par Bordeaux Métropole à hauteur de 9 862,65 euros hors taxes pour 32,50 m3 ne correspond pas aux travaux accomplis, elle ne justifie pas, toutefois, des volumes réellement associés aux terrassements réalisés, qu'il s'agisse de l'emprise ou de la profondeur de ceux-ci, alors que les stipulations contractuelles précitées font peser sur elle l'obligation de prouver le bien-fondé de ses demandes. En particulier, les constats associés aux terrassements concernés auxquels se réfère la société requérante ne sont pas produits au dossier, ou le sont mais sans le visa du maître d'œuvre. Dans ces conditions, il y a lieu, au regard des éléments de l'instruction, de fixer à 9 862,65 euros hors taxes la rémunération de la société Moter, d'ailleurs admise par Bordeaux Métropole, au titre des travaux de terrassement.

9. En ce qui concerne les autres demandes de la société Moter relatives à des travaux qui n'auraient pas été rémunérés, il résulte de l'instruction, et notamment des éléments de réponse formulés par Bordeaux Métropole dans ses lettres des 26 janvier et 5 juillet 2017, qu'elles se rapportent à des prestations déjà rémunérées ou se fondent sur des constats d'incidents imprécis ou inexploitables. La société Moter, à laquelle incombe la charge de la preuve, n'apporte pas d'éléments suffisamment probants au soutien de ses prétentions.

S'agissant des coûts indirects :

10. Si la société Moter est en droit d'obtenir une indemnisation au titre de la durée d'immobilisation de ses moyens, cette durée exacte ne ressort pas des éléments du dossier. Il n'est toutefois pas contestable que l'accomplissement des tâches rendues nécessaires par la découverte de réseaux non ou mal répertoriés a contraint la société Moter à mobiliser de manière accrue ses équipes de travail et matériels. Si les premiers juges ont évalué à 30 % par journée la durée de cette immobilisation, il ne résulte pas de l'instruction que cette évaluation, qui correspond à deux à trois heures par journée de travail, reflèterait cette durée au cours de laquelle la société a dû successivement interrompre les travaux, sécuriser les zones, redéployer son atelier, réadapter son planning et attendre la validation du maître d'œuvre avant de reprendre le chantier. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société Moter en l'évaluant à la somme de 36 951,50 euros hors taxes, d'ailleurs proposée à ce titre par le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics de Bordeaux (CCIRAL) dans son avis du 21 novembre 2017.

11. Il résulte de ce qui précède que l'indemnité due à la société Moter au titre des travaux entraînés par la découverte de réseaux non ou mal répertoriés et des difficultés qui en sont résulté pour elle doit être portée de 26 290,25 euros hors taxes, somme accordée par le Tribunal, à 46 814,15 euros hors taxes. Le jugement du tribunal doit être réformé dans cette mesure.

En ce qui concerne la modification de la consistance des massifs de lignes aériennes de contact (LAC) :

S'agissant de la mise en place du ferraillage de 18 massifs " Lignes aériennes de contrôle " (LAC) :

12. Ainsi qu'il a été dit, les travaux ont été perturbés par la découverte de réseaux non ou mal répertoriés, et il résulte de l'instruction que cet évènement a eu une incidence sur les travaux de ferraillage de 18 massifs LAC en contraignant la société Moter à réaliser ses prestations en deux fois, comprenant le démontage puis le remontage des structures, et en mobilisant à cette fin des ouvriers qualifiés à temps plein, un camion-grue et du petit matériel d'outillage pris en location. Toutefois, la somme de 24 480 euros hors taxes que demande la société Moter à ce titre n'est pas suffisamment justifiée au dossier, l'annexe 6 de son mémoire en réclamation, dans lequel figure un sous-détail du prix 040 " sujétions de mise en place du ferraillage des massifs Lac en présence de réseaux ", qui évalue à 1 360 euros hors taxes par unité le prix des prestations correspondantes, ne constituant pas un élément suffisamment probant pour établir la réalité du préjudice allégué.

S'agissant des terrassements manuels :

13. Si la société Moter soutient que la découverte de réseaux l'a contrainte à procéder à des terrassements manuels d'un volume de 364,5 m3, devant lui être rémunérés à hauteur de 110 444,25 euros hors taxes, elle ne produit aucun justificatif permettant de connaître, de manière probante, le volume des terrassements effectivement réalisés. En outre, il n'est pas établi au dossier que l'indemnité sollicitée à ce titre serait distincte de celle retenue au point 8 du présent arrêt au titre, précisément, du coût des terrassements manuels résultant de la découverte de réseaux.

En ce qui concerne les travaux de raccordement de la phase 2 du tramway :

14. Aux termes de l'article 4.1.2 du CCAP applicable au marché en litige : " Délais partiels et dates clés. Les tronçons suivant se dérouleront en deux fronts : (...) Tronçon 1 - Avenue Bougnard jusqu'au raccordement avec la ligne tramway phase 2. / La durée des travaux VRD de la phase préalable aux travaux de voie (hors finitions) est de 25 semaines. / A l'issue de ce délai, une mise à disposition au marché voie ferrée est prévue. / Le marché VRD reprend possession de la zone après achèvement des travaux de voie ferrée pour réaliser les travaux de finitions sur une durée de 7 semaines. / Les travaux de raccordement avec le tramway de la phase 2 se feront durant l'été. (...) Le maître d'ouvrage conserve la possibilité sans contrepartie de modifier ou d'ajourer des délais partiels par ordre de service tout en restant dans le délai global d'exécution. ".

15. Il résulte de l'instruction que par un ordre de service n° 16 du 28 juin 2013, le maître d'œuvre a prescrit à la société Moter la réalisation des travaux de raccordement du tronçon 1 / avenue Bougnard avec la ligne de tramway phase 2 entre le 24 juin et le 30 août 2013 en coordination avec les travaux de la voie ferrée. Si la notification de l'ordre de service est intervenue quatre jours après la date retenue pour le démarrage des travaux, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance aurait été, par elle-même, à l'origine d'un préjudice pour la société Moter. Par ailleurs, alors que le délai de réalisation du tronçon n° 1 couvrait la période du 10 décembre 2012 au 31 mai 2013, soit 25 semaines hors finition, il résulte des stipulations précitées du CCAP, qui ne recèlent aucune ambiguïté, que les travaux de raccordement avec le tramway phase 2 étaient prévus durant l'été 2013. Par suite, la société Moter n'est pas fondée à soutenir que les stipulations contractuelles ne lui permettaient pas d'anticiper qu'une intervention lui serait demandée en période estivale. S'il est vrai que cette intervention aurait dû avoir lieu après l'achèvement des travaux de voie ferrée, alors que la société Moter a été contrainte d'intervenir concomitamment avec l'entreprise titulaire de ce lot, il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre a anticipé les contraintes pouvant résulter de cette co-activité en limitant les interventions de la société Moter dans l'emprise concernée et en modifiant en conséquence les plans d'exécution.

16. Dans ces conditions, la société Moter n'est pas fondée à soutenir que le maître de l'ouvrage aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité ni qu'elle aurait été contrainte de réaliser des prestations supplémentaires en sus de celles prévues au contrat. Elle n'est, dès lors, pas fondée à demander une indemnisation d'un préjudice qui correspondrait à la mobilisation d'une équipe et de matériels au cours de l'été 2013.

En ce qui concerne la modification des conditions d'exécution des travaux en cours de chantier :

17. Aux termes de l'article 4.1.1 du CCAP applicable au marché : " Le Maître d'Ouvrage ne peut assurer, sur les travaux du présent marché, un déroulement en continuité géographique. (...) ". Aux termes de l'article 2.2.2.15.8 du CCTP du même marché : " Le maître d'œuvre pourra, dans le cadre du délai d'exécution, soit pour tenir compte de variations intervenues dans les sujétions d'exécution d'autres travaux intéressant l'équipement, soit pour toute autre raison valable apporter toute rectifications nécessaires au calendrier des travaux. Il aura en particulier, la faculté de décider l'exécution des travaux par tranches successives ou de différer ou d'interrompre tout ou partie des travaux, sans que cela ouvre droit, pour le titulaire, à une rémunération complémentaire ".

18. Il résulte de l'instruction qu'il a été procédé à une modification des tronçons soit par morcellements, soit par l'intégration ou l'exclusion de giratoires dans l'emprise des tronçons, ce qui conduit la société Moter à demander l'indemnisation des coûts de transfert de matériels et d'immobilisation d'équipes qu'elle soutient avoir assumés à ce titre. Selon la société Moter, les difficultés qu'elle a rencontrées à la suite de ces modifications engagent la responsabilité du maître de l'ouvrage au titre de ses pouvoirs de direction du chantier.

S'agissant de la modification de l'emprise des tronçons par l'inclusion ou l'exclusion de giratoires :

19. Le tronçon n° 1 comprenait initialement l'avenue Bougnard ainsi que la moitié Est du rond-point rue de Luc. Par un ordre de service n° 4 du 28 novembre 2012, le maître d'œuvre a prescrit à la société Moter de démarrer les travaux du tronçon concerné sur une emprise incluant la totalité du giratoire. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cette légère modification d'emprise aurait contraint la société Moter à procéder à un repli de matériels, et cela d'autant qu'il existait une continuité géographique entre le tronçon concerné et le tronçon n° 2 sur lequel elle devait également intervenir. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la société aurait été amenée à réaliser des prestations supplémentaires, la lettre de réserve du 5 décembre 2012 qu'elle a adressée au maître d'œuvre se contentant d'indiquer que les travaux ne pourraient démarrer à la date initialement prévue.

20. Le tronçon n° 2 comprenait initialement l'avenue Bougnard entre le rond-point Honoré de Balzac et le rond-point rue de Luc. Par un ordre de service n° 7 du 4 mars 2013, le maître d'œuvre a prescrit à la société Moter de démarrer les travaux sur la zone considérée en y excluant toutefois la totalité du rond-point rue de Luc. Pour autant, il ne résulte pas de l'instruction que cette légère modification d'emprise aurait contraint la société Moter à replier et à redéployer son matériel ou à réaliser des travaux supplémentaires alors qu'il existait une continuité géographique entre le tronçon concerné et le tronçon n° 3.

21. L'emprise du tronçon n° 3 comprenait, selon l'ordre de service n° 9 du 2 mai 2013, le rond-point Canéjan mais excluait en revanche le rond-point Honoré de Balzac et la station Châtaigneraie, contrairement aux documents contractuels initiaux. Pour autant, il ne résulte pas davantage de l'instruction que cette légère modification d'emprise aurait contraint la société Moter à replier et à redéployer son matériel ou à réaliser des travaux supplémentaires, du fait notamment de l'impossibilité de maintenir le double sens de circulation pendant les travaux, alors qu'il existait par ailleurs une continuité géographique entre le tronçon concerné et le tronçon n° 4.

22. Le tronçon n° 4 devait inclure, selon l'ordre de service n° 17 du 9 juillet 2013, l'avenue de Canéjan entre le rond-point avenue Clavé non compris et la station Châtaigneraie comprise. Si la société Moter fait valoir que les extrémités du tronçon n° 4 ont été modifiées par les ordres de service n° 9 et 17, notamment par l'inclusion du demi-giratoire Clavé, elle n'expose aucun préjudice qui en serait résulté pour elle.

23. Le tronçon n° 5 comprenait initialement l'avenue Canéjan et une moitié du rond-point de l'avenue Clavé. Par un ordre de service n° 3 du 11 septembre 2012, le maître d'œuvre a prescrit à la société Moter de démarrer les travaux en incluant dans la totalité du tronçon n° 5 le rond-point Clavé dont une partie était censée appartenir au tronçon n° 4. Toutefois, alors qu'il existe une continuité géographique entre les tronçons n° 4 et 5, il ne résulte pas de l'instruction que l'ajustement effectué, qui a conduit à la réalisation du rond-point Clavé en une seule fois au lieu d'une réalisation par quarts, aurait conduit la société Moter à réaliser des travaux supplémentaires qui seraient à l'origine pour elle d'un quelconque préjudice indemnisable.

S'agissant du morcellement des tronçons :

24. Il résulte de l'instruction, en ce qui concerne le tronçon 1/1bis, que la société Moter a dû suspendre ses travaux en raison de l'insuffisance de la portance nécessaire à la mise en œuvre des couches de chaussée en matériaux bitumineux. Si la société Moter fait valoir que cet aléa l'a soumise à des " contraintes calendaires " et à une " intervention différenciée " lui ouvrant droit à indemnisation, il résulte de l'instruction qu'elle a reçu de Bordeaux Métropole une somme complémentaire de 152 790 euros hors taxes en rémunération de ses travaux supplémentaires. La société Moter ne produit pas d'éléments permettant d'estimer que cette somme n'aurait pas réparé toutes les sujétions auxquelles elle a dû faire face dans ce cadre.

25. Le tronçon n° 5 a été morcelé en deux parties, la première allant du carrefour de l'avenue Haut Lévêque de l'avenue Canéjan et de la rue Becquerel, et la seconde (5 bis) partant de l'intersection de l'avenue de Canéjan et de la rue Becquerel pour déboucher au giratoire de Clavé. Il résulte de l'instruction que cette modification a contraint la société Moter à réaliser ses prestations sur des emprises restreintes en quatre phases au lieu de deux, et qu'il en est résulté pour elle des difficultés dans l'exécution des travaux. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par la société Moter en l'évaluant à la somme de 15 000 euros hors taxes comme l'avait d'ailleurs admis Bordeaux Métropole dans sa réponse du 26 janvier 2017 au mémoire en réclamation.

S'agissant de la perte de rendement sur le tronçon 5 bis :

26. Il résulte de l'instruction que, du fait de la non-réalisation lors du démarrage des travaux des opérations de dévoiement des réseaux attenants aux clôtures des riverains, il a été procédé au découpage du tronçon n° 5, s'étendant sur 6 400 mètres, avec la création d'un tronçon 5 bis d'une longueur de 85 mètres. Selon la société Moter, ce découpage a été à l'origine pour elle d'une " perte de rendement " résultant de la mobilisation de moyens sur une emprise réduite. Bordeaux Métropole avait, sur le principe, accepté d'indemniser à ce titre la société Moter à hauteur de 58 534,19 euros en retenant 10 % de perte de rendement durant la période des travaux en cause. Si la société Moter évalue cette perte à 30 %, courant sur une période d'intervention de 168 jours, elle ne justifie pas suffisamment ce taux en se référant au calcul de la perte de rendement liée à l'accélération des travaux du tronçon n° 4, non concerné en l'espèce. Elle ne produit pas davantage d'éléments justifiant de ce qu'elle aurait mobilisé des moyens complémentaires. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont limité à 58 534,19 euros hors taxes le montant dû à la société Moter au titre des difficultés créées par le morcellement du tronçon concerné.

En ce qui concerne l'accélération des travaux des tronçons n° 2 et 4 :

27. Selon la société Moter, l'accélération des travaux sur les tronçons n° 2 et 4 l'a conduite à mobiliser des moyens humains et matériels supplémentaires dont elle demande l'indemnisation à hauteur des sommes respectives de 77 792,52 euros hors taxes et de 152 416,88 euros hors taxes.

28. Il résulte de l'instruction que par un ordre de service n° 15 du 7 juin 2013, le maître d'œuvre a demandé à la société Moter d'accélérer les travaux du tronçon n° 2 pour une mise à disposition anticipée au 28 juin 2013 au lieu du 24 janvier 2014. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis du CCIRAL du 21 novembre 2017, qu'au regard de la cadence réelle d'exécution de 3,20 ml/j. pour un coût journalier de l'équipe complète de 6 378,62 euros hors taxes, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à 16 145,85 euros hors taxes le montant de l'indemnité due à ce titre par Bordeaux Métropole.

29. Par ailleurs, les incidences financières de l'accélération des travaux sur le tronçon n° 4, qui a conduit la société à mobiliser des moyens supplémentaires entre le 7 janvier et le 30 mai 2014, ont été prises en compte dans l'avenant du 26 mai 2014, lequel a fixé, dans son annexe 1, à 91 852,13 euros HT le montant de l'indemnisation de la société Moter à ce titre. Selon le terme de l'avenant, signé par les parties, l'indemnisation " correspond à l'indemnité maximale attribuable au titulaire du marché calculée pour une réalisation du T 4 en 152 jours à compter de l'ordre de service prescrivant une accélération du tronçon. ". Quant à la somme de 141 492,13 euros HT mentionnée à l'article 3.1.7 de l'avenant, elle présentait, selon les termes mêmes de ce document, un caractère " prévisionnel et estimatif " et ne faisait pas obstacle à ce que les parties conviennent d'un montant maximal, ainsi qu'elles l'ont fait à l'annexe 1 de l'avenant. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la somme de 152 416,88 euros demandée par la société à titre d'indemnisation complémentaire.

En ce qui concerne les aléas d'exécution :

30. Ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues, ouvrant au titulaire droit à indemnisation, que des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché présentant un caractère exceptionnel, imprévisible lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties. A cet égard, la société Moter soutient avoir été confrontée, au cours du chantier, à 54 aléas pour lesquels elle demande une indemnisation à hauteur de 96 264,20 euros hors taxes.

31. Il ne résulte pas de l'instruction que les travaux modificatifs ayant consisté à déposer et reposer un massif sur le tronçon n° 1, après le constat d'un défaut d'alignement entre les bordures posées par l'entreprise et celles du lot " voie ferrée ", présenteraient le caractère de sujétions techniques imprévues. De même, le fait que des boîtes aux lettres n'aient pas été dessinées sur les plans communiqués et que l'emprise réelle d'un arbre n'apparaissait pas sur les plans ne suffisent pas à révéler des sujétions imprévues contrairement à ce que soutient la société Moter. Par ailleurs, la circonstance que des entreprises tierces sont intervenues dans l'emprise des travaux pour mettre en place une vanne de gaz et réaliser des fouilles ne revêt pas davantage un caractère exceptionnel et imprévisible alors même que la société Moter soutient que ces interventions ont entraîné une dégradation de piliers polygonaux et une gêne en raison de la présence d'une voiture dans sa zone d'intervention.

32. Quant aux autres constats que la société Moter a fait dresser à l'appui de sa demande, ils n'ont pas été établis contradictoirement et ne permettent pas de connaître avec un degré suffisant de certitude la réalité des aléas allégués et leurs conséquences financières pour la société. Il résulte toutefois de l'instruction que le représentant du pouvoir adjudicateur avait accepté les constats n° 31, 52 et 110 comme relevant d'une véritable modification des conditions d'exécution des travaux prévus au contrat entraînant des sujétions imprévues, pour un montant de 7 370,67 euros hors taxes, qu'il y a lieu de mettre à la charge de Bordeaux Métropole.

En ce qui concerne la " non-optimisation environnementale " :

33. Il résulte de l'instruction que la société Moter s'est heurtée au refus du maître d'œuvre d'agréer les mâchefers d'incinération de déchets non dangereux (MIDND) pour l'exécution des couches de formes et de réglage des voiries, ce qui l'aurait privée de la possibilité de diminuer les coûts afférents à la réalisation de ces ouvrages à hauteur de 155 119,45 euros hors taxes. Le maître d'œuvre a justifié son refus par le fait que la composition des mâchefers d'incinération proposés par l'entreprise n'était pas conforme aux stipulations du CCTP, compte tenu de sa granulométrie de 0/20 au lieu de 0/31.5 et 0/60. La société Moter ne conteste pas sérieusement ce motif de refus en se bornant à soutenir, devant la cour, qu'il n'avait " jamais été évoqué en phase chantier " et que la granulométrie qu'elle proposait était " techniquement acceptable ". Dans ces conditions, et alors au demeurant qu'elle n'indique pas le fondement de sa demande, la société Moter n'est pas fondée à solliciter un complément de rémunération à ce titre.

34. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de désigner un expert, qu'il y a lieu de mettre à la charge de Bordeaux Métropole une somme supplémentaire de 69 184,82 euros hors taxes.

Sur l'appel incident présenté par Bordeaux Métropole :

35. Aux termes de l'article 10.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux : " Contenu des prix : 10.1.1. Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux, y compris les frais généraux, impôts et taxes, et assurer au titulaire une marge pour risques et bénéfice (...) A l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par les prix, ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent ces travaux (...) ". Le marché en litige a été conclu à prix unitaire, lequel présente un caractère forfaitaire à l'unité, et définitif. Quant au bordereau des prix unitaires du marché, il stipule que les prix convenus s'appliquent " quelles que soient les quantités mises en œuvre ".

36. Par ailleurs, l'article 14 du CCAG Travaux, applicable au marché, prévoit que les parties peuvent convenir de prix nouveaux pour des " prestations supplémentaires ou modificatives, dont la réalisation est nécessaire au bon achèvement de l'ouvrage, qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix. 14.2. Les prix nouveaux peuvent être soit des prix unitaires, soit des prix forfaitaires (...) ".

37. Il est constant qu'en cours de chantier, la société Moter a été contrainte de tenir compte de la nouvelle norme NF P 94-261 (Eurocode 7), édictée en juin 2013, relative au calcul des ouvrages géotechniques (fondations superficielles et profondes) des massifs " LAC ". Il est tout aussi constant que ce changement de norme a contraint la société Moter à réaliser des massifs plus volumineux que ceux initialement prévus au contrat, ce qui a conduit Bordeaux Métropole à lui verser un complément de rémunération de 73 447 euros hors taxes à titre de travaux supplémentaires.

38. Il ne résulte pas de l'instruction que l'augmentation du volume des massifs aurait contraint la société Moter à modifier ses méthodologies de terrassement ou à mobiliser des moyens humains et techniques d'une nature différente de ceux prévus au marché. Il résulte au contraire de l'instruction que c'est la même prestation que la société Moter a accomplie, même si elle a porté sur des volumes plus importants. Ainsi qu'il a été dit, la société a perçu de Bordeaux Métropole, pour ces prestations, une rémunération complémentaire de 73 447 euros hors taxes, et elle ne démontre pas que ce montant ne couvrirait pas la totalité des éléments entrant dans la prestation commandée ou s'éloignerait indûment des bases ayant servi à la formation du marché, ou encore ne correspondrait pas à la décomposition du prix du marché, s'agissant d'une simple augmentation de la masse des travaux demandés. Dans ces conditions, Bordeaux Métropole est fondée à soutenir que c'est à tort que, au point 4 de leur décision, les premiers juges l'ont condamnée à verser à la société Moter une somme supplémentaire de 102 816 euros hors taxes au titre de prestations supplémentaires indispensables sur la base d'un " prix nouveau " tenant compte des difficultés d'exécutions supplémentaires de blindage, d'étaiement ou encore de coffrage, rencontrées par cette dernière.

39. Il résulte de tout ce qui précède que la condamnation de Bordeaux Métropole doit être ramenée, compte tenu de l'indemnité complémentaire d'un montant de 69 184,82 euros hors taxes et de la déduction de la somme de 102 816 euros hors taxes, à la somme de 170 155,11 euros hors taxes, soit 204 186,13 euros toutes taxes comprises.

Sur les intérêts sur les sommes dues à la société Moter :

En ce qui concerne les intérêts moratoires :

40. Aux termes de l'article 3.3.2.3 du CCAP du marché : " Les prestations seront rémunérées dans les conditions fixées par les règles de la comptabilité publique (...). En cas de dépassement du délai global de paiement, des intérêts moratoires seront dus, conformément aux dispositions du Code des marchés publics. ". Selon l'article 3.3.2.6 du même CCAP relatif au règlement du solde et au décompte final : " La demande de paiement pour solde est également établie via le système Ediflex dans les mêmes conditions que les demandes d'acompte. / Les délais de l'article 13.3 du CCAG Travaux sont applicables ".

41. Selon l'article 13.4.2 du CCAG, applicable aux marchés de travaux, approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général avant la plus tardive des deux dates ci-après - quarante jours après la date de remise au maître d'œuvre du projet de décompte final par le titulaire ; (...) ".

42. Il résulte des dispositions de l'article 98 du code des marchés publics dans sa version résultant du décret n° 2006-975 du 1er août 2006, en vigueur à la date de signature du marché, que le délai de paiement d'un marché public ne peut excéder trente jours pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux.

43. En vertu de l'article 1er du décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, modifié par le décret n° 2008-408 du 28 avril 2008 " le point de départ du délai global de paiement du solde est [pour les marchés de travaux] la date de réception du décompte général et définitif par le maître de l'ouvrage ". Pour l'application de ces dispositions, lorsqu'un décompte général fait l'objet d'une réclamation par le cocontractant, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage.

44. Si la société Moter sollicite en appel les intérêts moratoires contractuels à compter du 16 juin 2015, soit au terme du délai de quarante jours suivant la date de remise de son décompte final au maître d'œuvre, la production d'un courrier en date du 7 mai adressé en lettre recommandée avec avis de réception notifiée au demeurant au maître d'œuvre le 12 mai 2015 et non le 7 mai 2015, n'a pu faire courir le délai de mandatement de trente jours imparti au maître d'ouvrage pour procéder au mandatement du solde dès lors que le retard dans l'établissement du solde est imputable au titulaire du marché qui devait établir sa demande de paiement du solde via le système Ediflex dans les mêmes conditions que les demandes d'acompte ainsi que l'exigeait l'article 3.3.2.6 du même CCAP. La société Moter ne justifie pas de la réception de son mémoire en réclamation adressé le 4 janvier 2017 par Bordeaux Métropole et il y a lieu par suite de retenir la date du 26 janvier 2017, date à laquelle Bordeaux Métropole a répondu à cette réclamation. Ainsi, les intérêts moratoires contractuels courent à compter du délai de trente jours dont disposait Bordeaux Métropole pour mandater le solde du marché, soit à compter du 26 février 2017, et non à compter du 16 juillet 2015 comme l'ont retenu les premiers juges.

En ce qui concerne les intérêts capitalisés :

45. La capitalisation des intérêts a été demandée par la société Moter le 7 mai 2018, date d'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif. A cette date, il était déjà dû une année d'intérêts. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de la société Moter à compter au 7 mai 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais d'instance :

46. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE

Article 1er : La somme de 244 543,55 euros toutes taxes comprises que le tribunal administratif de Bordeaux a mise à la charge de Bordeaux Métropole est ramenée à 204 186,13 euros toutes taxes comprises. Cette somme sera assortie des intérêts moratoires à compter du 26 février 2017. Les intérêts échus le 7 mai 2018 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 1801874 du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Moderne de Technique Routière et à Bordeaux Métropole.

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2023 laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX02416 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02416
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SELARL CABANES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-07;21bx02416 ?
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