Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 24 juin 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2100831 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février et 9 juin 2023, Mme C..., représentée par Me Lacavé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 24 janvier 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 24 juin 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- cet arrêté constitue une entrave à l'exécution du protocole de réinsertion mis en place par le juge de l'application des peines du tribunal correctionnel de Fort-de-France ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mai 2023, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante dominiquaise née le 12 janvier 1972, déclare être entrée une première fois en France le 2 mars 1998, puis repartie en Dominique en 2002 et être revenue en France en 2008. Elle a obtenu successivement en 2017 et 2018 le bénéfice de titres de séjour mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'un enfant français. Elle a demandé le 15 novembre 2019 un titre de séjour au titre de sa situation familiale sur le fondement de l'article L. 423-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 juin 2021, le préfet de la Guadeloupe lui a refusé la délivrance de ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme C... relève appel du jugement du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 juin 2021 ;
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. En vertu du premier alinéa de l'article 215 du code civil, les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie. Il résulte de ces dispositions que l'existence d'une communauté de vie est présumée entre les époux. Par suite, si l'administration entend remettre en cause l'existence d'une communauté de vie effective entre des époux, elle supporte alors la charge d'apporter tout élément probant de nature à renverser cette présomption légale.
4. En l'espèce, Mme C... est mariée depuis le 12 janvier 2017 avec M. A..., de nationalité française. Pour établir la communauté de vie, l'appelante produit des documents administratifs adressés à l'un ou l'autre des conjoints faisant état de leur adresse commune à Le Gosier durant les années 2017 à 2021, des attestations de témoins et une attestation de vie commune du 18 septembre 2019. De cette union est né en 2001 Léon C... A..., reconnu par son père le 30 octobre 2012. En outre, il ressort de la déclaration sur l'honneur du 24 janvier 2017, ainsi que des attestations de paiement des prestations de la caisse d'allocations familiales, et sans que cela ne soit contredit en défense, que M. A... participe à l'entretien et à l'éducation de la fille de Mme C..., Léona Saint-Jean, née d'une précédente relation en 2004. Au regard de ces éléments, qui ne sont pas contredits utilement en défense par les circonstances que l'avis de la commission du titre de séjour, au demeurant non produit, aurait évoqué une suspicion de fraude à la vie commune et la mention d'une adresse différente pendant quatre mois en 2020 sur les bulletins de salaire de M. A..., la réalité de la vie commune doit être regardée comme établie. Si Mme C... a été condamnée à cinq ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis par le tribunal correctionnel de Fort-de-France le 7 mars 2018, les faits en cause, commis en 2013 sont anciens, et l'appelante, qui a bénéficié d'une liberté conditionnelle depuis le 14 octobre 2020 et dont la peine s'est achevée le 18 février 2021, n'a pas récidivé et fait état de réels efforts d'insertion. A cet égard, Mme C... produit une attestation de formation spécifique en hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale qu'elle a suivie sur le territoire français, ainsi qu'un permis d'exploitation d'un débit de boissons délivré à la suite d'une précédente formation en 2019. Eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, notamment à l'existence de liens personnels et familiaux forts en France et aux efforts d'insertion accomplis au sein de la société française, et en l'absence de signalement portant sur des faits récents, le préfet, en refusant de délivrer à Mme C... le titre de séjour qu'elle sollicitait, au motif que son comportement constituait une menace à l'ordre public, a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui est nécessaire à la défense de l'ordre public et a, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision portant obligation de quitter le territoire français, celle fixant le pays de renvoi, et la décision prononçant une interdiction de retour sont par suite privées de base légale.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 24 juin 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu et en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait intervenu depuis l'édiction de la décision attaquée du 24 juin 2021, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance, au profit de Mme C..., d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de délivrer un tel titre de séjour à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100831 du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de la Guadeloupe ainsi que l'arrêté du 24 juin 2021 du préfet de la Guadeloupe sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 novembre 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-Lucas
Le président,
Jean-Claude PauzièsLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX00571 2