Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Guadeloupe a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 2200697 du 6 juin 2023, le tribunal a fait droit à la demande de
M. B... et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juin 2023, le préfet de la Guadeloupe demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 6 juin 2023 et de rejeter la demande de M. B....
Il soutient, que :
- sur la recevabilité de la demande de première instance, que les premiers juges n'ont pas rejeté, à tort, la demande comme irrecevable ; la circonstance que l'administration n'a pas accusé réception de la demande de titre de séjour, dont la réalité et le caractère complet ne sont en outre pas établis, ne fait pas obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux de deux mois, lequel était expiré le jour de la saisine du tribunal ;
- au fond,
- les moyens invoqués en première instance par l'intéressé doivent être écartés comme infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Cotellon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme
de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est un ressortissant haïtien né le 23 juillet 1983 qui est entré irrégulièrement sur le territoire français en 2010. Le 1er décembre 2014, il a déposé en préfecture de la Guadeloupe une demande de titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 26 janvier 2017, le préfet de la Guadeloupe a rejeté cette demande et a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. En janvier 2022, M. B... a de nouveau cherché à régulariser sa situation en déposant une demande de titre de séjour en qualité de parent de deux enfants français nés en 2019 et 2021. Le préfet de la Guadeloupe a rejeté cette demande par une décision implicite que M. B... a contestée devant le tribunal administratif de la Guadeloupe en demandant l'annulation de cette décision et qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer le titre de séjour qu'il sollicitait. Par un jugement rendu le 6 juin 2023, dont le préfet de la Guadeloupe relève appel, le tribunal a fait droit aux demandes de M. B....
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il ressort des pièces du dossier que le courrier en date du 3 janvier 2022 par lequel
M. B... a demandé la délivrance d'un titre de séjour a été adressée par lettre recommandée avec avis de réception aux services de la préfecture de la Guadeloupe, qui ont réceptionné cette demande le 20 janvier 2022. Par suite, le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que ses services n'auraient pas été destinataires d'une demande susceptible de faire l'objet d'une décision de refus.
3. Aux termes de l'article R. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet ". Aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R. 432-1 naît au terme d'un délai de 4 mois. ". Il résulte de ces dispositions, et de ce qui a été dit au point 2, que la demande de titre de séjour présentée par M. B... a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 20 mai 2022.
4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification (...) de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " (...) dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". Aux termes de l'article
R. 421-5 de ce code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Enfin, l'article L. 112-6 du même code dispose que " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ". Le contenu des mentions devant figurer dans l'accusé de réception est défini à l'article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration.
5. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de délivrance par l'administration de l'accusé de réception prévu par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, le délai de recours contentieux contre une décision implicite de rejet n'est pas opposable à son destinataire.
6. Il ressort des pièces du dossier que les services de la préfecture de la Guadeloupe n'ont pas accusé réception de la demande de titre de séjour présentée par M. B.... Ainsi, en application des dispositions citées au point 4, aucun délai de recours contentieux n'était opposable à la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande. Par suite, le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de
M. B... présentée au greffe du tribunal le 7 juillet 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
9. Le préfet de la Guadeloupe ne produit en appel aucun élément permettant de contredire les motifs du jugement contesté par lesquels les premiers juges ont relevé que M. B... avait sa résidence habituelle en France depuis son entrée sur le territoire de ce pays en 2010. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est marié avec une ressortissante française le 24 septembre 2016 en mairie de Petit-Canal en Guadeloupe. Si le préfet de la Guadeloupe soutient que M. B... est resté marié avec une compatriote et qu'il se trouve ainsi en situation de polygamie contraire à la législation française, il ne produit aucun élément permettant de confirmer cette allégation. En revanche, M. B... a avec son épouse de nationalité française deux enfants nés les 3 juin 2019 et 19 août 2021, également de nationalité française,et il ressort des pièces du dossier que la communauté de vie de M. B... avec son épouse et leurs deux enfants est établie.
10. S'il est vrai que M. B... a fait l'objet, le 26 janvier 2017, d'un arrêté préfectoral comportant un refus de titre de séjour ainsi qu'une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n'a pas déféré, au motif notamment d'une reconnaissance frauduleuse de paternité en 2011, il est constant que, depuis cette décision il est devenu père de deux enfants français. Par ailleurs, la circonstance que M. B... a déclaré, lors de son audition par les services de police le 31 mars 2015, avoir à Haïti deux enfants mineurs alors âgés de 5 et 12 ans, n'est pas suffisante pour qu'il soit fait obstacle à la reconnaissance de la réalité et du caractère stable des liens familiaux que M. B... a tissés depuis en France.
11. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Guadeloupe a jugé qu'en refusant de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité, le préfet de la Guadeloupe a porté au droit de ce dernier au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise, et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision implicite de rejet en litige et lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur les frais de l'instance :
13. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX01614 2