Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2008 par lequel le préfet de la Martinique a créé une zone de protection du biotope sur le secteur " Morne Caritan ", sur le territoire de la commune de Sainte-Anne.
Par un jugement n° 2000058 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet arrêté en tant qu'il inclut les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, dont M. B... est propriétaire, dans la zone de protection du biotope.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2021 et le 21 mars 2023, la ministre de la transition écologique demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 avril 2021 ou, à titre subsidiaire, de l'annuler en tant qu'il porte sur les parcelles cadastrées D1-257 et D1-260 ;
2°) de rejeter, en totalité ou dans la mesure de ses conclusions subsidiaires, la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Martinique.
Elle soutient que :
- son recours a été introduit dans le délai d'appel ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qui concerne la réponse au moyen soulevé par M. B..., tiré de ce que l'arrêté contesté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la requête de première instance était tardive et, par suite, irrecevable, ce que le tribunal aurait dû relever d'office ;
- si la parcelle cadastrée D1-257 comprend une partie faisant l'objet d'une activité humaine, elle est majoritairement occupée de surfaces boisées ; de même, si la parcelle cadastrée DA-260 comprend une partie non boisée constituée de quelques prairies dédiées à l'élevage, la surface dédiée à cette activité est restreinte ; ces deux parcelles recouvrent une surface naturelle entièrement boisée de 19,34 hectares ; le " Morne Caritan " constitue la dernière station connue du Gaïac sauvage (Guaiacum officinale) ; l'ensemble des mornes situés autour du " Morne Caritan ", qui font partie du même ensemble forestier constitué du même habitat, devenu rare en Martinique (forêt xérophile sur morne calcaire), sont essentiels pour garantir la conservation des espaces nécessaires à la présence du Gaïac sauvage ; dès lors contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la création d'une zone de protection du biotope sur ces parcelles, ou, à tout le moins, sur les parties de ces parcelles qui ne sont pas exploitées par l'homme, n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 septembre 2021 et 24 mars 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Schlegel, demande à la cour :
1°) de rejeter le recours de la ministre de la transition écologique ou, à titre subsidiaire, de l'admettre en tant seulement qu'il porte sur les surfaces non aménagées et non nécessaires à son exploitation ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 12 avril 2021 en tant que le tribunal administratif de la Martinique n'a pas annulé, dans son intégralité, l'arrêté du 3 juillet 2008 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le recours de la ministre est tardif et, par suite, irrecevable ;
- sa requête de première instance n'était pas tardive dès lors que l'arrêté du 3 juillet 2008 ne lui a jamais été notifié et que la ministre ne justifie pas, en outre, de sa publication ;
- le jugement contesté est suffisamment motivé ;
- aucun inventaire recensant les espèces protégées sur le site ni étude scientifique ne sont produites, de nature à établir la présence du Gaïac sauvage sur les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260 ; l'intérêt scientifique qui s'attache à la création d'une zone de protection du biotope sur ces parcelles n'est ainsi pas établie ;
- les parcelles litigieuses font l'objet d'une exploitation agricole depuis l'année 1995, supportent un hangar de 1 200 m² et sont constituées de prairies destinées à la pâture d'un troupeau de 300 têtes ; une antenne de téléphonie est également implantée sur le site ; il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'arrêté du 3 juillet 2008 en tant qu'il inclut les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, qui sont exploitées par l'homme, ou, à tout le moins, en tant qu'il porte sur les parties aménagées et nécessaires à son exploitation ;
- l'arrêté attaqué doit, par ailleurs, être annulé dans son intégralité dès lors qu'il est entaché d'un vice de procédure à défaut du respect du principe d'information et de consultation du public, en méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement, de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement ;
- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 décembre 1988 relatif à la liste des espèces végétales protégées en région Martinique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 juillet 2008, le préfet de la Martinique a instauré, sur le fondement des dispositions des articles R. 411-15 et suivants du code de l'environnement, une zone de protection du biotope sur le secteur " Morne Caritan ", sur le territoire de la commune de Sainte-Anne, afin de préserver les espèces végétales rares, propres à la forêt tropicale, en particulier le Gaïac sauvage (Guaiacum officinal). Cet arrêté a pour effet de réglementer la circulation, les usages et les travaux dans la zone. La ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 12 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet arrêté en tant qu'il inclut les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, dont M. B... est propriétaire, dans la zone de protection du biotope. M. B... demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer ce jugement en tant que le tribunal n'a pas annulé, dans son intégralité, l'arrêté du 3 juillet 2008.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des points 4 à 6 du jugement attaqué qu'alors que le préfet de la Martinique n'avait pas produit de mémoire en défense, malgré une mise en demeure lui ayant été notifiée le 16 juin 2020, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse au moyen soulevé par M. B..., qu'ils ont retenu, tiré de ce que, en estimant que les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260 étaient incluses dans une formation naturelle peu exploitée par l'homme, le préfet de la Martinique a entaché l'arrêté du 3 juillet 2008 d'une erreur manifeste d'appréciation. La ministre de la transition écologique n'est donc pas fondée à critiquer, pour ce motif, la régularité du jugement en litige.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". D'autre part, le délai de recours contentieux contre une décision tendant à favoriser la protection ou la conservation des biotopes prise sur le fondement des articles R. 411-15 et suivants du code de l'environnement ne peut courir, pour les propriétaires concernés par cette mesure, qu'à compter de la date à laquelle celle-ci leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée.
4. Il résulte des termes de l'arrêté du 3 juillet 2008 que la zone de protection du biotope sur le secteur " Morne Caritan " instaurée par le préfet de la Martinique inclut les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, dont M. B... est propriétaire. Cet arrêté, qui prévoit d'ailleurs sa notification aux propriétaires privés, emporte notamment, sur les parcelles concernées, interdiction de principe de tous travaux ainsi que d'introduction ou d'exploitation de toute espèce végétale ou animale, y compris pour une activité d'élevage, et limite ainsi le droit de propriété des propriétaires de ces parcelles qui, eu égard au nombre de ces dernières, sont précisément identifiables. Ainsi, alors même comme le soutient la ministre de la transition écologique, que l'arrêté du 3 juillet 2008 aurait été publié au recueil des actes administratifs du département de la Martinique, ce qui, au demeurant, ne ressort pas des pièces du dossier, le délai de recours contentieux ouvert contre cet arrêté ne pouvait, en l'absence de notification, être opposé à M. B.... Il ne ressort pas des pièces des dossiers de première instance ou d'appel qu'une telle notification aurait été effectuée. Dès lors, la ministre n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait dû relever d'office l'irrecevabilité, pour tardiveté, de la requête introduite par M. B..., tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juillet 2008.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par les articles L. 411-1 et L. 411-3 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes. / Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désignée de ce taxon. ". Aux termes de l'article R. 411-15 du même code, dans sa rédaction en vigueur : " Afin de prévenir la disparition d'espèces figurant sur la liste prévue à l'article R. 411-1, le préfet peut fixer, par arrêté, les mesures tendant à favoriser, sur tout ou partie du territoire d'un département à l'exclusion du domaine public maritime où les mesures relèvent du ministre chargé des pêches maritimes, la conservation des biotopes tels que mares, marécages, marais, haies, bosquets, landes, dunes, pelouses ou toutes autres formations naturelles, peu exploitées par l'homme, dans la mesure où ces biotopes ou formations sont nécessaires à l'alimentation, à la reproduction, au repos ou à la survie de ces espèces. ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut, dans le but de prévenir la disparition d'espèces figurant sur la liste prévue à l'article R. 411-1 du code de l'environnement, édicter des arrêtés afin d'assurer la conservation de certains biotopes.
6. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 3 juillet 2008 du préfet de la Martinique, l'ensemble des mornes situés à proximité du " Morne Caritan " (Bellevue- Caritan - Joli cœur - Amérique du Nord - Amérique du Sud) constitue une relique forestière d'intérêt écologique exceptionnel abritant une forêt tropicale semi-dénudée où l'on retrouve la seule station de l'espèce Gaïac sauvage et d'autres espèces rares comme le Bois vert ou le Bois de fer. L'article 2 de cet arrêté prévoit qu'afin de garantir l'équilibre biologique des milieux ainsi que la conservation des espaces nécessaires à la présence du Gaïac sauvage, il est instauré une zone de protection des biotopes sur certaines parcelles du territoire de la commune de Sainte-Anne, sur une superficie de 100,19 hectares.
7. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, dont M. B... est propriétaire, sont comprises dans le secteur des mornes Joli cœur, Amérique du Nord et Amérique du Sud, à proximité du " Morne Caritan ". S'il est constant que les espèces Gaïac sauvage (Guaiacum officinale) et Bois vert (Rochefortia cuneata Sw.) sont mentionnées dans l'arrêté du 26 décembre 1988 relatif à la liste des espèces végétales protégées en région Martinique, la ministre de la transition écologique, qui se borne à se référer aux termes de l'arrêté du 3 juillet 2008, ne verse au dossier, pas davantage que ne l'avait fait le préfet de la Martinique en première instance, aucun inventaire recensant les espèces végétales protégées sur le site du " Morne Caritan " ni documentation scientifique relative aux caractéristiques de ce site ou tout autre document de nature à justifier, alors que M. B... le conteste, la présence, sur les parcelles litigieuses, de ces espèces protégées ou de formations naturelles propices à l'alimentation, à la reproduction, au repos ou à la survie de ces espèces. Par suite, l'intimé est fondé à soutenir qu'en tant qu'il porte sur les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260, l'arrêté du 3 juillet 2008 est entaché d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article R. 411-15 du code de l'environnement.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. B..., que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet arrêté en tant qu'il inclut les parcelles cadastrées D1-178, D1-257 et D1-260 dans la zone de protection du biotope.
Sur l'appel incident de M. B... :
9. Devant le tribunal, M. B... n'avait soulevé que des moyens tirés de l'illégalité interne de l'arrêté du 3 juillet 2008 du préfet de la Martinique. Si, devant la cour, il soutient, en outre, que cet arrêté est entaché d'un vice de procédure tiré du défaut du respect du principe d'information et de consultation du public, en méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement, de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte, constitue, ainsi que le soutient la ministre de la transition écologique, une demande nouvelle irrecevable en appel.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation, dans son intégralité, de l'arrêté du 3 juillet 2008.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de la transition écologique est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de M. B... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX02463
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