Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit.
Par un jugement n° 2205799 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2023, M. B..., représenté par Me Perrin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 février 2023,
2°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2022 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé ou une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de séjour qui lui a été opposé méconnait l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il séjourne en France depuis le 1er février 2016 contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges et justifie de suffisamment d'éléments s'agissant de ses liens privés et familiaux, ainsi que de son activité professionnelle ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnait également l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de l'impossibilité dans laquelle il se trouverait d'accéder effectivement aux soins nécessaires à son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et renvoie à ses écritures de première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Kolia Gallier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant camerounais né le 24 juin 1984, indique être entré en France le 1er février 2016 et s'est vu délivrer le 21 septembre 2020 une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu'au 13 août 2021 en raison de son état de santé. Le 9 juin 2021, il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour et, le 20 juillet suivant, a également demandé la délivrance d'un titre sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 septembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit. M. B... relève appel du jugement du 2 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions rappelées ci-dessus, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est suivi au centre hospitalier universitaire de Bordeaux depuis 2017 pour une hépatite B chronique qui justifie un suivi semestriel biologique et, depuis le mois de février 2019, un traitement par Ténofovir qui ne doit pas être interrompu au risque d'une réactivation virale grave. Le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, consulté par la préfète de la Gironde, a émis un avis le 11 avril 2022 retenant que si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine vers lequel il peut voyager sans risque. Le requérant, qui ne conteste pas sérieusement que le traitement nécessaire est disponible au Cameroun, soutient en revanche qu'il ne pourra pas en bénéficier effectivement compte tenu de son coût élevé et de ses ressources limitées. Il produit au soutien de son argumentation de nombreux éléments desquels il ressort que le traitement des hépatites virales est particulièrement coûteux au Cameroun dont la législation ne prévoit pas de système d'assurance maladie pour l'ensemble de la population, seuls les travailleurs du secteur privé et les fonctionnaires bénéficiant, ainsi que leur famille, d'une prise en charge de leurs soins de santé par leur employeur. Il ressort également de ces éléments qu'un tiers de la population environ vit en-dessous du seuil d'extrême pauvreté et qu'il est impossible pour la majorité de souscrire une complémentaire santé à titre individuel. En particulier, M. B... produit une interview d'un médecin gastro-entérologue, hépatologue et secrétaire général de l'organisation non gouvernementale Hépatites Cameroun du 1er septembre 2020 qui fait état des difficultés majeures rencontrées par les personnes souffrant d'une hépatite B ou C pour accéder à une prise en charge dont le coût demeure élevé malgré une baisse relativement importante. En outre, il ressort d'un article daté du mois d'octobre 2022, qui bien que postérieur à l'arrêté attaqué peut être pris en compte puisqu'il est de nature à éclairer la cour sur la situation de fait existante à la date de son édiction, que le coût de la prise en charge de ces pathologies hépatiques a presque quadruplé à cause de l'interruption du versement par l'Etat des subventions dédiées à l'amélioration de l'offre de soins dans ce secteur. Le préfet, qui se borne à renvoyer à l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ne discute pas de ces éléments et n'apporte aucun élément au soutien de son appréciation. En particulier, il n'explique pas les circonstances nouvelles qui justifieraient de retenir la possibilité d'un accès effectif au traitement à la date de la décision litigieuse, contrairement à l'appréciation portée tant par le collège de médecins dans son avis du 14 août 2020 que par les services de la préfecture le 21 septembre 2020, lors de la délivrance à M. B... d'un titre de séjour pour raisons de santé. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé pourra effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine et la décision de refus de séjour qui lui a été opposée méconnait l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour du 26 septembre 2022 et, par voie de conséquence, des décisions du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) "
6. L'annulation de l'arrêté du 26 septembre 2022 prononcée par le présent arrêt implique, eu égard à ses motifs, qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me Perrin au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2205799 du tribunal administratif de Bordeaux du 2 février 2023 et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 26 septembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Perrin la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Perrin.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
M. Jean-Claude Pauziès, président de la 1ère chambre,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
La rapporteure,
Kolia GallierLe président,
Luc Derepas
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX01269 2