Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de la Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n°2202579 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 avril 2023, Mme E... C... F..., représentée par Me Moczulski, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 14 mars 2023 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 septembre 2022, d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai de quarante-cinq jours sous astreinte et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivées en fait et le Préfet n'a pas procédé à l'examen de sa situation ;
- la reconnaissance de son fils par un citoyen français n'est pas frauduleuse ;
- la décision de refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et sont contraires à l'intérêt supérieur de ses enfants garanti par la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale du fait de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2023, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... F... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er septembre 2023.
Par décision du 25 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à Mme C... F... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... F..., ressortissante de République Démocratique du Congo née le 30 octobre 1999, est entrée en France, selon ses déclarations, le 24 décembre 2016, et a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du département de la Vienne jusqu'à sa majorité. Par un arrêté du 29 novembre 2019, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français. Mme C... F... s'est toutefois maintenue en France et a déposé une nouvelle demande de titre de séjour le 27 septembre 2021. Le préfet de la Vienne lui a opposé un refus et l'a de nouveau obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours, fixant le pays dont elle a la nationalité comme pays de renvoi en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement, par un arrêté du 19 septembre 2022 dont Mme C... F... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Poitiers. Par un jugement du 14 mars 2023 dont Mme C... F... relève appel, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête.
Sur la légalité de la décision de refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. Mme C... F... a fondé sa demande de titre de séjour sur l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), en sa qualité de parent d'un enfant français, sur l'article L. 435-3 du même code en sa qualité de mineure prise en charge par l'ASE entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, et sur l'article L. 423-23 de ce code en raison de ses liens personnels et familiaux en France. Après avoir cité ces dispositions, l'arrêté attaqué mentionne notamment, d'une part, que son fils B... C... F... s'est vu refuser la délivrance d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en raison d'une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité à visée migratoire, qu'elle a elle-même déclaré aux services préfectoraux que le père n'était pas français, que le procureur de la République d'Angoulême a été saisi en application de l'article 40 du code de procédure pénale, et qu'en tout état de cause, les quelques pièces produites par l'intéressée ne justifient pas de la contribution effective du père français à l'entretien et à l'éducation de l'enfant exigée par l'article L. 423-8 du CESEDA, d'autre part, que Mme C... F... était âgée de 21 ans au moment de sa demande de titre de séjour, qu'elle ne justifie pas suivre une formation, et n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine, où réside en particulier sa mère, avec qui elle entretient des liens. Enfin, l'arrêté détaille les raisons pour lesquelles l'intéressée n'aurait pas tissé des liens personnels ou familiaux en France ou n'y aurait pas établi le centre de ses intérêts justifiant que lui soit accordée une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, l'arrêté en litige comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, et le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait. En outre, et contrairement à ce que soutient la requérante, cette motivation ne révèle pas un défaut d'examen particulier de sa situation.
4. Aux termes de l'article L. 423-7 du CESEDA : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Et aux termes de l'article L. 823-11 de ce code : " Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française. Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. / Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins ".
5. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
6. Pour rejeter la demande de Mme C... F..., le préfet de la Vienne s'est fondé, d'une part, sur les déclarations de l'intéressée aux services préfectoraux le 1er avril 2019, antérieurement à la reconnaissance de paternité, selon lesquelles le père de son deuxième enfant à naître ne serait pas français, d'autre part, sur la décision du Centre d'Expertise et de Ressource des Titres (CERT) d'Angoulême du 20 juillet 2020 ayant refusé de lui délivrer pour son enfant une carte nationale d'identité et un passeport français en raison d'une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité. Toutefois, le préfet de la Vienne ne produit pas le compte rendu de l'entretien en préfecture, qui aurait retranscrit les déclarations précises de Mme C... F..., et la décision du CERT, se fonde sur cette déclaration. En l'absence d'autres éléments, notamment de déclarations du ressortissant français ayant reconnu la paternité de l'enfant de la requérante, la seule circonstance qu'un signalement a été effectué par le Préfet au procureur de la République d'Angoulême en application de l'article 40 du code de procédure pénale ne saurait établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant B... C... F... effectuée par M. H... D..., de nationalité française, de manière anticipée le 17 mai 2019, puis réitérée le 5 novembre 2019.
7. Néanmoins, aux termes de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ". La requérante ne justifie pas d'une quelconque contribution de M. D... à l'entretien et à l'éducation du jeune B..., et ne produit aucune décision de justice relative à cette contribution.
8. En outre, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ". Et aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
9. Mme C... F... soutient qu'elle vit en concubinage avec M. G..., ressortissant congolais titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 16 novembre 2025, dont elle a eu un fils, né le 1er novembre 2020, et que M. G..., qui dispose de revenus réguliers grâce à son activité de peintre en bâtiment exercée en contrat à durée indéterminée, participerait également à l'entretien et à l'éducation des deux autres enfants de la requérante. Toutefois, les pièces produites, notamment les témoignages de M. G... et de tiers, insuffisamment circonstanciés, n'établissent pas l'existence d'une communauté de vie entre M. G... et la requérante antérieure au mois de septembre 2022, au cours duquel a été prise la décision attaquée, ni la participation de celui-ci à l'entretien et à l'éducation de son fils et des deux autres enfants de Mme C... F..., qui sont intégralement à la charge de leur mère. Par ailleurs, celle-ci ne justifie pas d'une particulière intégration depuis son arrivée sur le territoire à la fin de l'année 2016, étant sans ressources ni activité professionnelle. Enfin, elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine, où vit notamment sa mère. Dès lors, le préfet de la Vienne n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... F... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise la décision de refus de séjour, et n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants.
10. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment des termes de l'arrêté attaqué, que le préfet de la Vienne aurait refusé de délivrer à Mme C... F... un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le seul fondement de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-7 du CESEDA doit également être écarté.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
11. D'une part, le refus de séjour n'étant pas entaché d'illégalité, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de ce que la mesure d'éloignement serait privée de base légale doit être écarté.
12. D'autre part, les moyens tirés de l'atteinte disproportionnée portée par l'obligation de quitter le territoire français au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... F... et de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de ses enfants doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 8 du présent arrêt.
Sur la légalité de la décision fixant la République Démocratique du Congo comme pays de renvoi :
13. L'obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait privée de base légale doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.
Le rapporteur,
Julien A...
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX00989