Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Bati Profs a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 12 septembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une contribution spéciale d'un montant de 18 100 euros, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail, le titre de perception émis à son encontre le 27 décembre 2019 pour le paiement de cette somme ainsi que la décision du 17 juillet 2020 rejetant sa contestation du titre.
Par un jugement n° 2000471 du 21 juin 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2021, la société Bati Profs, représentée par Me Constant et Me Salamon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 21 juin 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 12 septembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 18 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail ;
3°) d'annuler le titre de perception émis à son encontre le 27 décembre 2019 par la direction régionale des finances publiques de Martinique pour le paiement de cette somme ainsi que la décision de rejet de son recours dirigé contre ce titre ;
4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- la décision du 12 septembre 2019 ne comporte aucune motivation sur les faits de travail dissimulés ;
- l'OFII ne justifie pas lui avoir notifié le procès-verbal du 21 mai 2019 et elle a présenté des observations auxquelles l'OFII n'a pas répondu et dont il n'a pas tenu compte ;
- les décisions contestées sont entachées d'erreur de fait dès lors qu'elle n'a jamais employé un travailleur étranger en situation irrégulière, que M. E... A... n'a jamais été son salarié, qu'il existait un contrat de sous-traitance et que le chantier de construction dont elle avait la charge a été achevé en février ;
- les décisions en litige sont entachées d'une erreur de qualification juridique des faits et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Bati Profs en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle effectué le 21 mai 2019 sur le chantier de construction d'une maison individuelle appartenant à Mme F..., située à Ducos en Martinique, les services de police ont constaté la présence en action de travail de deux ouvriers dont l'un, M. E... A..., ressortissant haïtien, était titulaire d'une attestation de demande d'asile qui ne l'autorisait pas à travailler en France et n'était pas déclaré, alors que l'enquête a révélé qu'il était employé par la société Bati Profs. Un procès-verbal de constatation d'infraction a été établi à la même date et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'employeur a été invité à présenter ses observations par courrier du 14 juin 2019 et les a présentées le 25 juin 2019. Par décision du 12 septembre 2019, le directeur général de OFII a mis à sa charge une contribution spéciale d'un montant total de 18 100 euros, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail. Un titre de perception, concernant cette somme, a été émis à l'encontre de la société Sarl Bati Profs le 27 décembre 2019. La société a contesté ce titre par un courriel adressé à la direction générale des finances publiques le 16 juillet 2020, rejeté pour tardiveté. Par la présente requête, la société Bati Profs relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 12 septembre 2019 et du titre de perception du 27 décembre 2019 précités.
Sur la décision du 12 septembre 2019 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. La décision en litige mentionne les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail qui la fondent et mentionne le procès-verbal établi le 21 mai 2019 ainsi que les bases de calcul de l'amende pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail, dont l'identité est mentionnée par la pièce jointe à cette décision. Enfin le directeur de l'OFII qui a eu connaissance de la contestation de la société Bati Profs, n'était pas tenu de répondre aux observations qu'elle a présentées dans son courrier du 25 juin 2019. Par suite, la décision en litige qui énonce les considérations de droit et de fait qui la fonde est suffisamment motivée.
4. En deuxième lieu aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) ". Selon l'article L. 5221-8 du même code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ".
4. Si les dispositions législatives et réglementaires applicables au cas d'espèce ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l'OFII, constatant l'infraction, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution, qui revêt le caractère d'une sanction administrative. Le refus de communication du procès-verbal ne saurait toutefois entacher la sanction d'irrégularité que dans le cas où la demande de communication a été faite avant l'intervention de la décision qui, mettant la contribution spéciale à la charge de l'intéressé, prononce la sanction.
5. Il résulte de l'instruction que par lettre du 14 juin 2019, le directeur général de l'OFII a informé la société Bati Profs de ce qu'il était envisagé de lui appliquer la contribution spéciale à raison de faits constatés lors du contrôle effectué le 21 mai 2019 par les services de police et qu'à ce titre, le procès-verbal a établi qu'elle avait employé M. A... démuni d'un titre autorisant l'exercice d'une activité salariée, et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. Ainsi, la société requérante, qui ne conteste pas avoir présenté ses observations le 25 juin 2019, a été mise à même de solliciter le procès-verbal d'infraction du 21 mai 2019 dont elle n'établit pas avoir demandé la communication avant l'intervention de la décision du 12 septembre 2019. Dans ces conditions la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'absence de communication de ce procès-verbal a vicié la procédure. Par suite, le moyen susvisé doit être écarté.
6. En troisième lieu, il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions.
7. La qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique, fût-il indirect, de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant. Dès lors, pour l'application des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie. Enfin, les contributions ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement en France, ou démuni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel ne soit nécessaire à la caractérisation du manquement.
8. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal du 21 mai 2019, que, lors du contrôle, deux ouvriers présents sur le chantier de construction d'une maison individuelle en fin de travaux étaient en train de nettoyer les lieux dans le sous-sol totalement ouvert en ramassant des planches de coffrage qu'ils chargeaient dans la benne d'un véhicule pick-up. Si l'un des deux ouvriers a déclaré qu'ils exécutaient le ramassage de planches pour le propriétaire des lieux, ces déclarations sont contredites par les déclarations de la propriétaire et de son conjoint, selon lesquels les deux ouvriers ont été embauchés par M. C..., en charge du chantier de construction, et gérant de la société Bati Profs. Il ressort également des déclarations de ce dernier que s'il précise qu'il ne connaissait pas M. E... A..., de nationalité haïtienne, la seconde personne présente sur le chantier, M. D... dont la société est en cessation d'activité depuis 2012, travaillait pour lui depuis septembre 2018, était présent sur l'intégralité du chantier et a embauché M. A... de son propre chef. Il en résulte que si la société Bati Profs n'a pas embauché directement le travailleur incriminé, elle doit être regardée, en sa qualité de donneur d'ordre, comme l'ayant employé. Dans ces conditions, l'existence d'un lien juridique caractérisant une relation de travail doit être regardée comme suffisamment établie, sans qu'un titre n'autorise M. A... à exercer une activité salariée en France en méconnaissance des dispositions précitées et sans préjudice de la circonstance que la société Bati Profs n'a jamais fait l'objet de poursuites pénales.
9. Il résulte de ce qui précède que la matérialité et la qualification des faits d'emploi d'un travailleur étranger en situation irrégulière est suffisamment établie. Les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur de qualification juridique doivent, dès lors, être écartés. Il en va de même du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bati Profs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande d'annulation des décisions en litige mettant à sa charge la somme de 18 100 euros au titre de la contribution spéciale.
Sur le titre de perception du 27 décembre 2019 :
11. Il résulte de ce qui a été dit que le directeur général de l'OFII était fondé à mettre à la charge de la société Bati Profs une contribution spéciale d'un montant de 18 100 euros, pour l'emploi d'un ressortissant étranger démuni d'autorisation de travail.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bati Profs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions en litige et à la décharge de l'obligation de payer la contribution spéciale et forfaitaire due au titre de l'emploi de M. A... d'un montant de 18 100 euros.
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Bati Profs une somme de 1 500 euros à verser à l'OFII au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En l'absence de dépens, les conclusions présentées par la société Bati Profs sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Bati Profs est rejetée.
Article 2 : La société Bati Profs versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Sarl Bati Profs et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.
La rapporteure,
Caroline B...
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21BX03782 2