La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/10/2023 | FRANCE | N°21BX02974

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 03 octobre 2023, 21BX02974


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe :

1°) d'annuler la décision du 16 juillet 2019 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe a prononcé son licenciement pour abandon de poste ainsi que le courrier par lequel le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe lui a demandé de restituer un ordinateur portable et son véhicule de fonction ;

2°) d'enjoindre à la chambre des métiers

et de l'artisanat de la région Guadeloupe de prononcer sa réintégration et de lui restitu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe :

1°) d'annuler la décision du 16 juillet 2019 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe a prononcé son licenciement pour abandon de poste ainsi que le courrier par lequel le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe lui a demandé de restituer un ordinateur portable et son véhicule de fonction ;

2°) d'enjoindre à la chambre des métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe de prononcer sa réintégration et de lui restituer ses objets de fonction, son ordinateur portable et son véhicule ;

3°) de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe au versement de la somme de 327 641 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 1901142 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision du 16 juillet 2019 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe a prononcé le licenciement pour abandon de poste de M. A..., a enjoint au président de la chambre de procéder à la réintégration de M. A..., avec toutes conséquences de droit, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a condamné la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à lui verser une indemnité de 17 840,38 euros et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 juillet 2021 et le 6 janvier 2023, M. A..., représenté par la SCP Ezelin-Dione, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 11 mai 2021 précité en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le président de la chambre lui a demandé de restituer son ordinateur portable et son véhicule de fonction et a limité le montant de sa condamnation en réparation de ses préjudices à 17 840,38 euros ;

2°) d'annuler les décisions par lesquelles le président de la chambre de métiers et de l'artisanat lui a demandé de restituer son ordinateur portable et son véhicule de fonctions ;

3°) de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 327 641 euros en réparation des préjudices subis dont 101 808 euros au titre du paiement des salaires et 225 833 euros au titre de son préjudice moral, du harcèlement moral et des troubles dans ses conditions d'existence ;

4°) de mettre à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal ne pouvait écarter comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision lui demandant de restituer son ordinateur portable au motif qu'elle est inexistante dès lors qu'il l'a produite en cause d'appel ;

- ainsi que l'a retenu à bon droit le tribunal, la décision du 16 juillet 2019 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l'artisanat a prononcé son licenciement pour abandon de poste est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure régulière au sens des dispositions de l'article 42-III du statut du personnel de la chambre de métiers et de l'artisanat ;

- l'illégalité de la décision de licenciement pour abandon de poste est de nature à engager la responsabilité de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à son égard ;

- les décisions lui demandant de restituer son ordinateur portable et son véhicule de fonction sont illégales dès lors qu'il a été évincé illégalement du service ;

- il a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de la chambre de métiers et de l'artisanat depuis plusieurs années qui sont de nature à engager la responsabilité de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à son égard ;

- en raison de l'illégalité de la décision prononçant son licenciement et du harcèlement moral dont il a fait l'objet, il a subi un préjudice matériel, moral et des troubles dans ses conditions d'existence évalués à un montant de 327 641 euros ; le partage de responsabilité retenu par le tribunal n'est pas fondé dès lors qu'il n'a jamais été informé du risque de radiation des cadres qu'il encourait en cas de non reprise de ses fonctions ; le calcul du tribunal doit ainsi être réévalué en tant qu'il a limité le montant de son préjudice à 17 840,38 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe, représentée par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête d'appel et, par la voie de l'appel incident, au rejet total des demandes de première instance de M. A..., subsidiairement, à ce que sa condamnation soit réduite à plus juste proportion, et en outre, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision lui demandant de rendre son ordinateur portable, produite en appel, ne lui fait pas grief dès lors qu'elle constitue un simple mesure d'ordre intérieur ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'ainsi, M. A... n'est pas fondé à demander la condamnation de la Chambre au paiement d'une indemnité en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis ; subsidiairement, sa condamnation doit être revue à de plus justes proportions.

Par une ordonnance du 2 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 12 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le statut du personnel des chambres de métiers et de l'artisanat adopté le 13 novembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Bichy, substituant Me Bertrand, représentant la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... a été recruté par la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe en qualité d'adjoint du directeur de l'université régionale des métiers et de l'artisanat où il a assuré, à compter du 24 juin 2013, les fonctions de directeur de la formation continue puis, à compter du 1er juillet 2014, celles de directeur du centre de formation des apprentis. Le 18 avril 2019, M. A... a été affecté au sein de la direction du développement économique et territoriale de la chambre des métiers et de l'artisanat en qualité de chargé de mission qualité et développement de l'offre de service.

2. Par un courrier du 24 avril 2019, M. A... a fait l'objet d'une mise en demeure de prendre ses fonctions au sein de la direction de la chambre des métiers et de l'artisanat dans laquelle il venait d'être muté. Le 9 mai 2019, n'ayant pas pris ses fonctions au sein de son nouveau poste, M. A... a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois, suspension à laquelle il a été mis fin le 9 juin 2019. Par un courrier du 2 juillet 2019, notifié le 8 juillet suivant, M. A... a été mis en demeure de reprendre son service. Par une décision du 16 juillet 2019, le président de la chambre des métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe a prononcé le licenciement de M. A... pour abandon de poste.

3. M. A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler cette décision et de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à l'indemniser, à hauteur de 327 641 euros, en réparation des préjudices matériel et moral qu'il allègue avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 16 juillet 2019 et des agissements de harcèlement moral qu'il impute à la chambre de métiers. Il a également demandé l'annulation des décisions par lesquelles le président de la chambre de métiers et de l'artisanat lui a demandé de rendre son ordinateur ainsi que sa voiture de fonction. Par un jugement du 11 mai 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision du 16 juillet 2019 précitée, a enjoint au président de la chambre de procéder à la réintégration de M. A..., avec toutes conséquences de droit, a condamné la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe à lui verser une indemnité de 17 840,38 euros et a rejeté le surplus de ses demandes. M. A... fait appel de ce jugement dont il demande la réformation en tant qu'il a limité le montant de son indemnité à 17 840,38 euros et a rejeté sa demande aux fins d'annulation des décisions lui demandant de rendre son ordinateur et sa voiture de fonction. La chambre de métiers et de l'artisanat conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour de rejeter l'ensemble des conclusions de première instance de M. A... et, à défaut, de modérer le montant de sa condamnation.

Sur l'appel de M. A... :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir accueillie par le tribunal :

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a produit en cause d'appel la décision du 27 août 2019 par laquelle son employeur lui a demandé de restituer son ordinateur portable. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision au motif qu'elle était inexistante. Toutefois ainsi que le soutient également la chambre de métiers et de l'artisanat, cette décision lui demandant de restituer son ordinateur portable qui a été prise postérieurement au licenciement de l'intéressé le 16 juillet 2019 et qui n'a été prise qu'en conséquence de ce licenciement constitue une simple mesure d'ordre intérieur qui ne lui fait pas grief. Par suite M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions tendant à l'annulation de cette décision.

En ce qui concerne la demande de restitution de son véhicule de fonction :

5. Par un courrier du 18 avril 2019, le président de la chambre de métiers et de l'artisanat a sollicité de M. A... la restitution de son véhicule de fonction dont M. A... demande l'annulation. Toutefois il résulte de l'instruction que cette demande a été justifiée par la nouvelle affectation de l'intéressé, à sa demande, à la direction du développement économique et territorial de la chambre des métiers et de l'artisanat en qualité de chargé de mission qualité et développement de l'offre de service. Par suite alors que M. A... n'a pas formé de conclusions à fin d'annulation contre la décision par laquelle il a été affecté à la direction du développement économique et territoriale, le moyen tiré de l'illégalité de ce courrier du 18 avril 2019 ne peut qu'être écarté.

6. Enfin en se bornant à " souligner " que les décisions du 19 juillet 2018 et du 28 novembre 2019 fixant sa résidence administrative et le nommant dans un nouvel emploi de même que la décision du 31 mai 2021 portant titularisation dans l'emploi de chargé de mission seraient " irrégulières ", M. A... qui ne conclut pas à leur annulation, n'assortit pas son moyen de précision suffisante permettant à la Cour de se prononcer.

Sur l'appel incident de la chambre de métiers et de l'artisanat :

7. La chambre de métiers et de l'artisanat conteste l'annulation par le tribunal de la décision du 16 juillet 2019 portant licenciement pour abandon de poste de M. A.... Pour annuler la décision du 16 juillet 2019 précitée, le tribunal a estimé qu'en l'absence de mise en demeure régulière de l'intéressé en violation de l'article 42-III du statut du personnel des chambres de métiers et de l'artisanat, la volonté de M. A... de rompre les liens qui l'unissaient à son employeur n'était pas établie.

8. Aux termes de l'article 42 du statut du personnel des chambres de métiers et de l'artisanat, adopté par la commission paritaire nationale 52 réunie le 13 novembre 2008, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " III - En cas d'abandon de poste, constaté par le supérieur hiérarchique de l'agent et signalé au secrétaire général, ou au directeur général en ce qui concerne l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, l'établissement envoie, par lettre recommandée avec avis de réception, une mise en demeure dans laquelle l'agent est invité à fournir ses explications et informé des mesures auxquelles il s'expose en ne déférant pas à l'ordre de reprendre son service ou de rejoindre le poste qui lui avait été assigné. A défaut de reprise de son service ou justification fournie dans le délai d'un mois, par la procédure de l'article 6, et sauf cas de force majeure, l'agent est licencié par décision du président sur avis du secrétaire général ou du directeur général en ce qui concerne l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, avec information du bureau. / Lorsqu'une telle procédure vise un secrétaire général ou le directeur général en ce qui concerne l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, la décision de licenciement est prise par le président après accord du bureau

9. Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Cette mise en demeure doit ainsi comporter l'information selon laquelle la radiation peut être mise en œuvre sans les garanties de la procédure disciplinaire. En outre, lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

10. En l'espèce, la décision du 16 juillet 2019 par laquelle M. A... a été licencié pour abandon de poste a été précédée d'une mise en demeure du 2 juillet 2019, notifiée le 8 juillet suivant et visée par la décision précitée, de sorte qu'il s'est écoulé moins d'un mois entre ces deux décisions. En appel la chambre de métiers et de l'artisanat persiste à soutenir que le délai d'un mois prévu par les dispositions de l'article 42-III du statut du personnel de la chambre a bien été respecté en l'espèce dès lors qu'une première mise en demeure avait été adressée à M. A... le 24 avril 2019 et que la seconde mise en demeure du 2 juillet 2019 constituait seulement un rappel de la première.

11. Toutefois, il n'est pas contesté que le 9 mai 2019, postérieurement à la première mise en demeure, M. A... a fait l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire qui a pris fin le 9 juin 2019. Ainsi, en prononçant cette mesure de suspension, la chambre de métiers et de l'artisanat a nécessairement mis fin à la première procédure d'abandon de poste engagée sur le fondement de la mise en demeure du 24 avril 2019.

12. Dans ces conditions, alors que M. A... ne pouvait être regardé comme ayant rompu les liens qui l'unissaient à son employeur, le tribunal a pu à bon droit accueillir ce moyen et annuler la décision du 16 juillet 2019 portant licenciement de l'intéressé pour abandon de poste.

13. Cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de la chambre de métiers et de l'artisanat, pour autant toutefois qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain pour M. A....

Sur l'indemnisation :

En ce qui concerne le préjudice résultant de l'illégalité fautive de la décision du 16 juillet 2019 :

14. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a cependant lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.

15. Il résulte du jugement attaqué, que les premiers juges, après avoir estimé à bon droit, ainsi qu'il a été dit au point 12, que l'illégalité de la décision du 16 juillet 2019 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la chambre de métiers et de l'artisanat, ont procédé à un partage de responsabilité. Ils ont estimé que la faute commise par M. A... résultant de son refus d'obéissance aux instructions de son employeur de rejoindre son poste était de nature à exonérer l'administration de sa responsabilité à hauteur de 60 %. Pour contester le partage de responsabilité retenu par les premiers juges M. A... fait valoir qu'il n'a jamais été informé des risques de radiation des cadres qu'il encourrait en cas de refus de prendre le poste sur lequel il avait été nouvellement affecté à compter du 24 avril 2019.

16. A cet égard il résulte toutefois de l'instruction que M. A... a été destinataire, le 23 avril 2019 en main propre, puis les 24 avril 2019 et 2 juillet 2019 de courriers qu'il ne conteste pas avoir reçus, l'informant de sa nouvelle affectation et l'invitant à rejoindre son nouveau poste. Ainsi, les refus réitérés d'obéissance aux instructions de sa hiérarchie, sont constitutifs de manquements graves à ses obligations professionnelles sans que n'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'aurait pas été informé dans un premier temps des risques potentiels de radiation des cadres qu'il encourait s'il n'obéissait pas aux instructions de son employeur. Par suite, compte tenu de l'illégalité de la décision d'éviction du 16 juillet 2019 et des fautes de l'intéressé de nature à exonérer son employeur de sa responsabilité, c'est à bon droit que le tribunal a laissé à la charge de M. A... 60 % des conséquences dommageables de son éviction illégale du service à compter du 16 juillet 2019, date de cette éviction. Il y a lieu de fixer comme date limite le 5 juillet 2021 date de sa réintégration.

17. Les traitements perçus par l'intéressé tels qu'ils résultent des bulletins de paie produits au dossier, s'élèvent à la somme de 3 304, 83 euros nette mensuelle qui doit ainsi être retenue comme base de calcul du préjudice financier correspondant à la rémunération qu'il aurait dû percevoir s'il n'avait pas été licencié illégalement. La base du calcul du montant de l'indemnisation auquel M. A... pourrait prétendre sur la période considérée s'élève par suite à la somme de 92 663,50 euros.

18. Il résulte de l'instruction que le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi perçues par M. A... au cours de la période d'éviction est de 30 583,91 euros au titre de l'allocation de perte d'emploi. Dès lors, il y a lieu de déduire cette somme de l'indemnité de 92 663,50 euros mentionnée au point précèdent. Il y a également lieu de déduire les sommes perçues par l'intéressé au titre de la rupture de son contrat de travail, telles qu'elles figurent sur le solde de tout compte pour un montant de 2 952,84 euros, soit une somme restante de 59 126,75 euros. Il résulte, en outre, de ce qui a été indiqué au point 14 qu'il y a lieu enfin d'appliquer un abattement de 60 % sur cette somme compte tenu de la faute imputable à M. A.... Il sera ainsi fait une juste appréciation du préjudice financier subi par le requérant en le fixant à la somme de 23 650,70 euros.

19. En revanche M. A... ne peut prétendre à être indemnisé des avantages en nature tels que des tickets restaurants et la perte de sa voiture de fonctions qui sont liés à l'exercice effectif de son travail. Par ailleurs il ne peut prétendre aux indemnités fondées sur le code du travail telles que l'indemnité compensatrice de préavis, de congé payé sur préavis et de congé payé sur rappel de salaire qui ne sont pas applicables aux agents titulaires des chambres de métiers. Enfin le requérant n'établit pas la réalité des jours de congés annuels non pris dont il demande à être indemnisé ni des erreurs sur ses bulletins de salaires de 2019 et n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ces préjudices.

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence :

20. La demande d'indemnité liée à " l'annulation de participation à un séminaire sur la réforme de l'apprentissage ", en l'absence de tout élément de preuve quant au préjudice moral qui en aurait résulté pour M. A... ne saurait être retenue. Si par ailleurs M. A... soutient qu'il doit être indemnisé au titre du préjudice résultant du trouble de sa santé mentale résultant des agissements de son employeur qui l'aurait humilié et dévalorisé, il n'établit pas la réalité de son préjudice moral, ni de ses troubles dans ses conditions d'existence.

En ce qui concerne le préjudice lié au harcèlement moral :

21. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

22. Aux termes de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle ". Les agents des chambres de métiers et de l'artisanat sont régis par les seuls textes pris en application de la loi du 10 décembre 1952 à l'exclusion de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Toutefois, qu'indépendamment des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, le fait de faire subir aux agents d'une telle instance consulaire des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de leur condition de travail susceptible de porter atteinte à leurs droits et dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel caractérise un comportement de harcèlement moral, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'employeur.

23. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui, le préjudice résultant de ces agissements devant alors être intégralement réparé.

24. D'autre part, lorsqu'un agent est victime, dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements répétés de harcèlement moral, il peut demander à être indemnisé par l'administration de la totalité du préjudice subi, alors même que ces agissements ne résulteraient pas d'une faute qui serait imputable à celle-ci.

25. M. A... persiste à soutenir en appel qu'il a subi des agissements répétés de harcèlement moral caractérisés par son changement d'affectation à compter du 18 avril 2019 au sein de la direction du développement économique et territorial de la chambre de métiers et de l'artisanat. Cependant il résulte de l'instruction que cette affectation est intervenue à la demande de l'intéressé lequel ne l'a d'ailleurs pas contestée. Ainsi en l'absence d'élément démontrant que cette affectation aurait eu un impact sur sa situation professionnelle ou les prérogatives que M. A... tenait de son statut, cette nouvelle affectation ne peut laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par ailleurs, M. A... soutient également que sa participation à un séminaire relatif à la réforme de l'apprentissage a été annulée. Toutefois cet élément isolé ne saurait laisser présumer à lui seul l'existence de faits de harcèlement moral. S'il fait valoir en outre, que ses pneus ont été crevés, que ses moyens de travail tels que sa ligne téléphonique auraient été supprimés et qu'il aurait cumulé deux activités sans obtenir les avantages inhérents à son statut, il n'établit pas la réalité de ces affirmations et, partant ne démontre pas l'existence de faits susceptibles de relever l'existence d'un harcèlement moral.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de La Guadeloupe a limité le montant de son indemnité à 17 840,40 euros et à demander la réévaluation de l'indemnité à hauteur de la somme de 23 650,70 euros.

Sur les frais liés au litige

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la chambre des métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la chambre des métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe est condamnée à verser à M. A... une indemnité de 23 650,70 euros en réparation de ses préjudices.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 11 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe versera une somme de 1 500 euros à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 11 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.

La rapporteure,

Caroline C...

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de la France en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21BX02974 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02974
Date de la décision : 03/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SCP EZELIN DIONE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-10-03;21bx02974 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award