Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 juin 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et, d'autre part, de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'à l'intervention de la décision de la Cour nationale du droit d'asile.
Par un jugement n° 2203676 du 12 octobre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a donné acte du désistement de Mme A... s'agissant de ses conclusions aux fins de suspension de la mesure d'éloignement et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2023, Mme A..., représentée par Me Hugon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 14 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire avec autorisation de travail dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 16-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.
Sur la décision fixant le pays de destination :
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle n'a pas été entendue par la Cour nationale du droit d'asile dès lors que sa première demande d'asile a été rejetée par voie d'ordonnance ; elle n'a pas non plus été entendue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lors du rejet de sa demande de réexamen ; sa demande d'asile a été rejetée à tort dès lors qu'elle présentait des éléments nouveaux ;
- la décision méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 16-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire enregistré le 26 avril 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et se rapporte à ses écritures de première instance.
Par lettre du 28 juin 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la cour est susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour, qui ne sont assorties d'aucun moyen.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Nathalie Gay a été rendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., de nationalité guinéenne, née le 15 juillet 2000, est entrée en France le 10 juillet 2020 selon ses déclarations. Par une décision du 8 novembre 2021, confirmée par une décision du 4 février 2022 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté la demande d'asile qu'elle avait présentée le 29 juin 2021. Mme A... a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile, rejetée pour irrecevabilité le 6 avril 2022 par l'OFPRA, dont la décision a été confirmée par la CNDA le 22 juillet 2022. Par un arrêté du 14 juin 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme A... relève appel du jugement du 12 octobre 2022 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions principales :
En ce qui concerne la décision refusant le séjour de Mme A... :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'expose aucun moyen à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour. Par suite, ces conclusions sont irrecevables comme ne respectant pas la règle énoncée à l'article R. 411-1 du code de justice administrative en vertu de laquelle la requête doit contenir, notamment, l'exposé des moyens qui la fonde.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 16 de cette même convention : " 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
5. Mme A... soutient que son fils, né à Angers le 28 octobre 2020, risquerait de faire l'objet d'un isolement en Guinée et d'une privation de ses droits en raison du fait qu'il est issu d'une union hors mariage. Toutefois, dès lors que l'obligation de quitter le territoire français, par elle-même, ne fixe pas le pays de renvoi, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de la requérante du fait des risques encourus dans le pays d'origine, sont inopérants.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
6. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
7. Mme A... invoque des risques de persécutions en cas de retour dans son pays d'origine du fait de l'excision qu'elle a subie ainsi que des nombreuses violences perpétrées par son époux, avec lequel elle a été mariée de force à l'âge de seize ans, et en raison desquelles elle a été contrainte de fuir son pays, à l'aide d'une somme d'argent dérobée à son époux. Si son récit a été considéré comme insuffisamment précis par l'OFPRA puis par la CNDA, Mme A..., qui n'avait produit au soutien de sa demande de réexamen d'asile qu'un seul témoignage d'un voisin affirmant qu'elle avait été mariée de force, produit des éléments nouveaux au soutien de ses allégations, postérieurs à l'enregistrement de sa première demande d'asile du 29 juin 2021. Si ces éléments sont antérieurs à sa demande de réexamen d'asile, il est établi que Mme A..., qui allègue avoir effectué seule et sans aide ses démarches d'asile sans être contredite sur ce point par le préfet en défense, ne les avait pas présentés au soutien de cette demande. Par ailleurs, ces éléments sont tous antérieurs à l'arrêté en litige. D'une part, elle produit un certificat médical en date du 9 septembre 2021 du docteur B... attestant de ses nombreuses cicatrices et brûlures sur les deux pieds, les deux tibias, les deux mollets, les deux seins, dans le dos et sur les deux poignets. D'autre part, elle produit un certificat médical en date du 7 avril 2022 du docteur D... attestant de ce que l'examen de ses organes génitaux externes retrouve des cicatrices lésionnelles présentant une mutilation sexuelle féminine de type IIb correspondant à une ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres. Enfin, elle produit un avis de recherche émis à son encontre pour vol, établi le 2 décembre 2019 par le procureur de la République de Conakry, au soutien de ses allégations affirmant que son époux la recherche et a saisi les autorités de police pour vol. Dès lors que, d'une part, l'excision et les violences alléguées par Mme A... sont établies par les certificats médicaux produits par cette dernière et, d'autre part, les allégations vraisemblables selon lesquelles elle risquerait de subir de nouveau des violences par son époux en cas de retour dans son pays d'origine sont corroborées par l'avis de recherche émis à son encontre, permettant par ailleurs de confirmer le récit qu'elle avait livré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides s'agissant de l'argent qu'elle avait volé à son époux pour s'enfuir, dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme A... doit être regardée comme établissant être exposée à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Guinée. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés contre cette décision, Mme A... est fondée à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions accessoires :
9. L'annulation de la décision fixant le pays de destination implique, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit enjoint à l'autorité préfectorale compétente non de délivrer à la requérante un titre de séjour, mais de réexaminer la situation personnelle de Mme A... et de statuer à nouveau sur son cas. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Hugon en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement entraînant renonciation de la part de l'avocate à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 octobre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Article 2 : La décision du préfet de la Gironde du 14 juin 2022 fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de Mme A... et de statuer à nouveau sur son cas dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Hugon en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.
La rapporteure,
Nathalie GayLa présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX00669 2