Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 9 août 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Par un jugement n° 1802475 du 31 mars 2021, le tribunal administratif de Pau a annulé, pour vice de procédure, la décision ministérielle du 9 août 2018, enjoint au ministre de procéder à la radiation de l'intéressé du répertoire des détenus particulièrement signalés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 juin 2021, le ministre de la justice demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 31 mars 2021 ;
2°) de rejeter la demande de M. D....
Il soutient que :
- la commission relative aux détenus particulièrement signalés (DPS) qui s'est réunie le 28 février 2018 était régulièrement composée, conformément à la circulaire du 15 octobre 2012, et s'est prononcée au vu des différents avis des membres de la commission ; l'éventuelle irrégularité dans la composition ne prive pas nécessairement le détenu d'une garantie ;
- la décision est signée par une autorité compétente ;
- elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation ; deux des critères permettant l'inscription ou le maintien de l'inscription au répertoire des DPS, soit l'appartenance à une mouvance terroriste, établie par la situation pénale, et un précédent signalement pour une évasion réussie ou un commencement d'exécution d'une évasion, sont remplis ; en outre, la personnalité du détenu, sa qualité de responsable de l'appareil logistique, ses compétences en matière d'explosifs, la date éloignée de sa fin de peine prévisionnelle et la procédure d'extradition émise par les autorités espagnoles sont autant d'éléments permettant de craindre une évasion ; il en est de même de sa condamnation à vingt ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; ses liens avec la mouvance terroriste suffisent à justifier la décision, sans que son bon comportement en détention ou la déclaration de l'organisation ETA de mettre un terme à la lutte armée en 2011 n'aient d'incidence.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2022,
M. D..., représenté par Me Paulus Basurco, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros en application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'elle se fonde sur des faits anciens, qu'il n'a jamais été condamné pour tentative d'évasion, que l'organisation à laquelle il a appartenu s'est dissoute le 3 mai 2018, que son comportement en détention a toujours été exemplaire et qu'il est père d'une fille née en 2014 ;
- l'existence d'une procédure d'extradition vers l'Espagne n'est pas un critère de maintien au répertoire des DPS, dès lors que son incarcération suffit à garantir sa présentation aux autorités espagnoles ;
- l'erreur d'appréciation est d'autant plus avérée qu'il a été radié du répertoire des DPS le 2 septembre 2019 en raison de la disparition des critères ayant motivé son inscription et son maintien, ce que le ministre ne pouvait ignorer lorsqu'il a formé appel du jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la circulaire du 15 octobre 2012 relative à l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., écroué le 27 septembre 2001, a été inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés le 20 décembre 2002. Il y a été maintenu pendant seize ans, en dernier lieu par une décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 9 août 2018. Par un jugement du 31 mars 2021, le tribunal administratif de Pau, saisi par M. D..., alors incarcéré au centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), a annulé la décision ministérielle du 9 août 2018 pour vice de procédure, et enjoint au ministre de procéder à la radiation de l'intéressé du répertoire des détenus particulièrement signalés, dans un délai de quinze jours. Par la présente requête, le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, alors en vigueur: " En vue de la mise en œuvre des mesures de sécurité adaptées, le ministre de la justice décide de l'inscription et de la radiation des détenus au répertoire des détenus particulièrement signalés dans des conditions déterminées par instruction ministérielle. ". Aux termes du paragraphe 1.1.2.2 de la circulaire du 15 octobre 2012 relative à l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) : " La commission DPS se réunit au sein de tout établissement dans lequel sont écrouées des personnes détenues inscrites au répertoire des DPS ou faisant l'objet de demandes d'inscription. Elle se réunit à l'initiative du chef d'établissement. Il appartient à ce dernier de veiller à la tenue régulière de cette commission. (...) Les membres de cette commission sont : - le chef d'établissement pénitentiaire ou son représentant, qui préside, / - le procureur de la République, ou son représentant, / - le préfet ou son représentant, en cas de nécessité, / - le directeur inter-régional des services pénitentiaires ou son représentant, / - un représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal, / - le commandant du groupement de gendarmerie départemental ou son représentant, / - le délégué local du renseignement pénitentiaire, / - le juge d'instruction, s'agissant des personnes prévenues, / - le juge de l'application des peines, s'agissant des personnes condamnées, / - le juge de l'application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l'exécution des peines de Paris s'agissant des personnes détenues pour des faits de nature terroriste. (...). Au cours de la réunion, les membres de la commission DPS formulent un avis motivé sur l'opportunité de l'inscription, du maintien ou de la radiation d'une personne détenue au répertoire des DPS en tenant compte des critères définis au paragraphe 1.1.1 de la présente instruction. Ils renseignent la partie prévue pour eux à cet effet dans le formulaire précité. ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle a été examinée la demande de maintien de M. D... au répertoire des détenus particulièrement signalés, le 28 février 2018, ce dernier était incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur (Val-de-Marne). Il ressort de l'avis de cette commission, produit par le ministre pour la première fois en appel, que cette instance était composée de l'ensemble des autorités dont la présence est requise par la circulaire du 15 octobre 2012. Chacun de ses membres a émis un avis circonstancié sur le maintien de l'intéressé au répertoire DPS. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif de Pau s'est fondé sur l'irrégularité de la composition de la commission locale DPS pour annuler la décision ministérielle du 9 août 2018.
4. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par
M. D... devant le tribunal administratif de Pau.
5. En premier lieu, M. C... B..., adjoint à la cheffe du bureau de gestion de la détention et des missions extérieures du ministère de la justice, a reçu délégation pour signer tous actes, arrêtés et décisions relevant de ses attributions, au nombre desquels figurent les décisions d'inscription ou de maintien au répertoire DPS, par arrêté ministériel du
6 avril 2018, régulièrement publié au Journal officiel de la République française le 11 avril 2018. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision doit être écarté.
6. En second lieu, aux termes du paragraphe 1.1.1 de la circulaire du
15 octobre 2012 précitée : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certaines personnes détenues. / Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites au répertoire des DPS sont celles : 1) appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale ou par un signalement des magistrats, de la police ou de la gendarmerie ; / 2) ayant été signalées pour une évasion réussie ou un commencement d'exécution d'une évasion, par ruse ou bris de prison ou tout acte de violence ou ayant fait l'objet d'un signalement par l'administration pénitentiaire, les magistrats, la police ou la gendarmerie, selon lequel des informations recueillies témoignent de la préparation d'un projet d'évasion ; / 3) susceptibles de mobiliser les moyens logistiques extérieurs d'organisations criminelles nationales, internationales ou des mouvances terroristes ; (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été condamné à quatre reprises pour des faits liés à une activité terroriste entrepris entre 1996 et 2003, dont, à deux reprises, à des peines de vingt ans de réclusion criminelle. S'il a obtenu la confusion de ces peines, qui atteignaient un total de 52 ans de prison, et leur réduction au maximum légal de trente ans de réclusion criminelle par arrêt de la cour d'appel de Paris du
24 novembre 2017, sa fin de peine était prévue, à la date de la décision attaquée, au 6 septembre 2030 et la fin de la période de sûreté au 27 septembre 2023. Il est, en outre, constant que l'intéressé fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités espagnoles le 29 décembre 2005, dont la justice française a ordonné l'exécution. Si M. D... soutient que l'existence d'une telle procédure n'est pas un critère sur lequel le ministre pouvait fonder sa décision, une telle circonstance pouvait cependant être prise en compte pour apprécier les perspectives de sortie et, corrélativement, le risque d'évasion, d'autant, au demeurant, que M. D... a déjà été signalé en 2003 pour un projet d'évasion de la maison d'arrêt de la Santé à Paris. Il ressort également des pièces du dossier que M. D... n'a pas renié son engagement dans un mouvement terroriste dont il était responsable logistique, expert dans l'utilisation et la manipulation des explosifs, et qu'il participait en détention à des actions de solidarité à l'égard de détenus basques en Espagne. Dans ces conditions, alors même que l'organisation ETA à laquelle il appartenait a annoncé mettre fin à la lutte armée le 20 octobre 2011, a remis ses armes le 8 avril 2017 et s'est dissoute le 3 mai 2018, et que l'intéressé faisait preuve d'un comportement calme et respectueux en détention, le ministre de la justice n'a pas entaché sa décision de maintenir M. D... au répertoire des détenus particulièrement signalés pour une année supplémentaire, d'une erreur manifeste d'appréciation. La circonstance que l'intéressé a été radié de ce répertoire l'année suivante est à cet égard sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 9 août 2018.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 31 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de M. D..., ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... D....
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2023.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX02365