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27/06/2023 | FRANCE | N°22BX00936

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 27 juin 2023, 22BX00936


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Carreau a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 24 juin 2020 par laquelle le président du conseil départemental de la Gironde a retiré son agrément d'assistante maternelle. Elle a également demandé à ce tribunal de condamner le département de la Gironde à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de ce retrait.

Par un jugement n° 2004716, 2101754 du 21 décembre 2021, le tribunal administra

tif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Carreau a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 24 juin 2020 par laquelle le président du conseil départemental de la Gironde a retiré son agrément d'assistante maternelle. Elle a également demandé à ce tribunal de condamner le département de la Gironde à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de ce retrait.

Par un jugement n° 2004716, 2101754 du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 mars 2022 et le 4 janvier 2023, Mme Carreau, représenté par Me Coupillaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 décembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du président du conseil départemental de la Gironde du 24 juin 2020 ;

3°) de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite du retrait de son agrément ;

4°) de mettre à la charge du département de la Gironde les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la décision du 24 juin 2020 est illégale dès lors qu'elle sanctionne les mêmes faits que ceux qui ont fondé la décision du 20 décembre 2019 de suspension de son agrément, en méconnaissance du principe " non bis in idem " ; par ailleurs, cette suspension méconnaît le délai maximum de quatre mois fixé par l'article R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles ; le retrait de son agrément, intervenu au-delà de ce délai de quatre mois est ainsi nécessairement illégal ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; les améliorations qu'elle a apportées concernant les conditions d'accueil n'ont pas été prises en compte ; en effet, la piscine hors-sol a été démontée dès le mois de décembre 2019 ; le portail n'a jamais été ouvert que de manière exceptionnelle ; les produits d'entretien et la coutellerie ont été mis hors d'accès ; les encombrants de son jardin ont été retirés ; les escaliers extérieurs n'ont jamais été accessibles aux enfants ; les prises électriques ont été sécurisés, et les jouets " non sécure " jetés ; les problèmes d'humidité dans la chambre d'enfant ont été résolus ; les remarques sur l'hygiène du sol, des draps et des mains, formulées au moment où sa maison étaient en travaux, ont été prises en compte ; par ailleurs, les griefs formés à l'encontre de son positionnement professionnel ont déjà été sanctionnés par la décision du 20 décembre 2019 de suspension de son agrément ; les attestations des familles montrent qu'elle leur apporte satisfaction quant à son positionnement professionnel ;

- le département a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- elle a subi un préjudice financier dès lors qu'elle ne bénéficie que de faibles ressources depuis le retrait de son agrément du 24 juin 2020, d'environ 637 euros par mois, et un préjudice médical dès lors qu'elle présente un état anxieux avec des troubles sévères associés ; il y a lieu de condamner le département de la Gironde à 8 000 euros en réparation de ces préjudices.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2022, le département de la Gironde, représenté par Me Chambord, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme Carreau une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens de Mme Carreau ne sont pas fondés.

Mme Carreau a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Charlotte Isoard,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- et les observations de Me Coupillaud, représentant Mme Carreau.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Carreau bénéficiait d'un agrément pour l'exercice de la profession d'assistante maternelle depuis le mois de février 2008, renouvelé en dernier lieu le 21 novembre 2017 jusqu'au 31 janvier 2021. Par une décision du 20 décembre 2019, le président du conseil départemental de la Gironde a suspendu son agrément pour une durée de quatre mois. Après consultation de la commission consultative paritaire départementale, il a, par une décision du 24 juin 2020, procédé au retrait de cet agrément. Mme Carreau relève appel du jugement du 21 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation du département de la Gironde à lui verser la somme de 8 000 au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la légalité de la décision du 24 juin 2020 :

2. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 421-6 du même code : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié ". Et aux termes de l'article R. 421-24 de ce code : " Le président du conseil départemental informe sans délai la commission consultative paritaire départementale de toute décision de suspension d'agrément prise en application de l'article L. 421-6. / La décision de suspension d'agrément fixe la durée pour laquelle elle est prise qui ne peut en aucun cas excéder une période de quatre mois ".

3. En premier lieu, tant la décision par laquelle l'autorité administrative prononce la suspension de l'agrément d'un assistant maternel ou familial que celle par laquelle cette autorité procède au retrait de cet agrément constituent des mesures de police administrative, prises dans l'intérêt des enfants accueillis. Comme l'ont relevé les premiers juges, dès lors que Mme Carreau n'a fait l'objet d'aucune sanction, elle ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance du principe " non bis in idem " selon lequel deux sanctions ne peuvent être infligées à raison des mêmes faits. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Mme Carreau, la circonstance que la mesure de suspension prise à son encontre aurait été illégalement prolongée, ce qui, au demeurant, n'est en l'espèce pas le cas, ne peut avoir eu pour effet de donner à la décision de retrait litigieuse le caractère d'une sanction. Par suite, ce moyen doit être écarté.

4. En deuxième lieu, Mme Carreau ne peut utilement se prévaloir de ce que la décision du 20 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Gironde a suspendu son agrément aurait été illégalement prolongée, dès lors que la décision en litige n'a pas été prise en application de cette décision de suspension. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision, qui a suspendu l'agrément de la requérante " pour une durée maximale de quatre mois " à compter de sa notification, aurait été prolongée. A cet égard, les convocations du 12 mars 2020 et du 28 mai 2020 adressées à Mme Carreau, si elles mentionnent cette décision du 20 décembre 2019, n'ont eu ni pour objet ni pour effet de prolonger le délai de suspension. Par suite, ce moyen doit être écarté.

5. En troisième lieu, le délai de quatre mois fixé par l'article R. 421-24 du code de l'action sociale et des familles cité ci-dessus concerne seulement la période pendant laquelle le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément de l'assistant maternel ou familial, et ne prévoit pas d'obligation de prononcer une sanction dans ce délai Ainsi, Mme Carreau ne peut utilement se prévaloir de ce que la décision du 24 juin 2020 serait intervenue dans un délai supérieur à quatre mois après sa suspension. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté.

6. Enfin, pour retirer l'agrément dont bénéficiait Mme Carreau, le président du conseil départemental de la Gironde a considéré que la santé, la sécurité et l'épanouissement des enfants n'étaient pas garantis aux motifs que les conditions matérielles d'accueil mettaient en jeu la sécurité et la santé des enfants en l'absence de respect des conditions de sécurité, des conditions permettant de garantir leur santé, et des règles d'hygiène, et que Mme Carreau présentait un positionnement professionnel inadapté.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une plainte par les parents d'un enfant accueilli par Mme Carreau entre le 19 septembre et le 21 octobre 2019, une visite a été effectuée par des infirmières puéricultrices de la protection maternelle infantile au domicile de la requérante afin d'évaluer les conditions d'accueil des enfants gardés par l'intéressée. Il ressort des termes du rapport établi le 17 décembre 2019 à la suite de cette visite que de nombreux manquements ont été constatés. En effet, en ce qui concerne les conditions de sécurité de l'accueil des enfants, le portail donnant sur la rue était ouvert lors de la visite, la présence d'une piscine hors-sol non sécurisée et de voitures à l'état d'épaves a été constatée à l'arrière du jardin, alors que des escaliers non sécurisés permettaient potentiellement aux enfants d'avoir accès à cette partie du domicile de Mme Carreau. Par ailleurs, les installations électriques présentes dans la chambre des enfants n'étaient pas sécurisées, le plus jeune enfant gardé pouvant avoir accès depuis son lit à une rallonge électrique, et les produits d'entretien et la coutellerie n'étaient pas placés hors d'accès des enfants accueillis. A cet égard, le deuxième rapport du 24 février 2020 établi par les services de la protection maternelle infantile dont se prévaut Mme Carreau se borne à constater que lors de la visite du même jour, la piscine hors-sol a été enlevée et le portail était fermé à clé, sans attester de la prise en compte par la requérante des autres manquements précédemment constatés. En ce qui concerne la santé des enfants, le rapport du 17 décembre 2019 constate que la chambre des enfants ne comporte pas d'ouverture, présente des moisissures et que le couchage proposé est inadapté et ne respecte pas les précautions indispensables à la prévention de la mort inattendue du nourrisson dès lors que les lits sont équipés de tours de lits et de couvertures, et qu'un enfant est couché dans un lit parapluie sur lequel a été apposé un matelas supplémentaire. En ce qui concerne les règles d'hygiène, il ressort des termes de ce rapport que Mme Carreau ne respecte pas les règles de lavage des mains et que le sol de la salle de change est sale. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la requérante ne justifie pas, par les photographies non datées qu'elle verse au dossier, avoir remédié aux autres manquements constatés aux règles de sécurité, d'hygiène et de garantie de santé des enfants avant que la décision en litige ne soit édictée, alors que rien n'obligeait le département à effectuer une nouvelle visite de son domicile afin de réévaluer les conditions matérielles dans lesquelles les enfants sont accueillis.

8. En outre, s'agissant du positionnement professionnel de Mme Carreau, il ressort des pièces du dossier que cette dernière ne respecte pas le rythme de l'enfant le plus jeune qu'elle garde au profit de son organisation familiale. Par ailleurs, la requérante ne remet pas en question ses pratiques, et présente une attitude trop conciliante envers les demandes des familles, au détriment parfois des mesures de sécurité élémentaires permettant de garantir la sécurité et le bien-être des enfants. En se bornant à soutenir qu'elle a déjà été " sanctionnée " pour ces faits par la décision du 20 décembre 2019 et à verser au dossier des attestations élogieuses de familles dont elle a gardé les enfants, Mme Carreau n'apporte pas d'élément suffisant pour contredire les éléments sur lesquels le président du conseil départemental de la Gironde s'est fondé pour considérer que son positionnement professionnel était inadapté.

9. Il résulte de ce qui précède qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, le président du conseil départemental de la Gironde n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les conditions de l'agrément délivré à Mme Carreau avaient cessé d'être remplies. Par suite, ce moyen doit être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. En l'absence d'illégalité fautive entachant la décision litigieuse et de nature à engager la responsabilité du département, Mme Carreau n'est pas fondée à demander l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de la décision du 24 juin 2020 de retrait de son agrément.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Carreau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du président du conseil départemental de la Gironde du 24 juin 2020 et à la condamnation du département de la Gironde à lui verser une somme de 8 000 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur les frais liés au litige :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme Carreau une somme à verser au département de la Gironde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, la requérante ne justifie pas avoir engagé de frais au titre des dépens, et les conclusions présentées à ce titre doivent ainsi être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme Carreau est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Gironde sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Carreau et au département de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin2023.

La rapporteure,

Charlotte IsoardLa présidente,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX00936 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00936
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROUARD-LUCAS
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : COUPILLAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-27;22bx00936 ?
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