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27/06/2023 | FRANCE | N°21BX02550

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 27 juin 2023, 21BX02550


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018 par lesquelles le président du conseil départemental de la Gironde a décidé de mettre fin au bail d'habitation du 5 juin 2012 relatif au logement qu'elle occupait.

Par un jugement n° 1801356, 1803998 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juin 2021, Mme B..., représe

ntée par Me Gomez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 avril 2021 du tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018 par lesquelles le président du conseil départemental de la Gironde a décidé de mettre fin au bail d'habitation du 5 juin 2012 relatif au logement qu'elle occupait.

Par un jugement n° 1801356, 1803998 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juin 2021, Mme B..., représentée par Me Gomez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 avril 2021 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018 du président du conseil départemental de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au président du conseil départemental de la Gironde de poursuivre le bail d'habitation à ses frais, en assortissant cette injonction d'une astreinte de 50 euros par jour de retard dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en retenant son incompétence pour connaître du litige, le tribunal a commis une erreur de droit ; un recours pour excès de pouvoir peut être exercé contre un acte détachable d'un contrat ; le tribunal a assimilé l'objet des décisions en litige, congé adressé au bailleur relatif au contrat de bail qui n'est pas un contrat administratif, à la décision du département demandant de mettre fin à ce bail ; les décisions contestées procèdent bien d'une autorité administrative.

- les décisions ont été prises par une autorité incompétente ;

- elles ne sont pas motivées, en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elles n'ont pas été précédées de la procédure contradictoire prévue par l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste quant à la date de cessation du bail mentionnée, soit le " 31 avril " 2018, et quant à sa propre situation, dès lors qu'elle était dans l'impossibilité de réintégrer l'appartement dont elle est propriétaire.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 septembre 2022, le département de la Gironde, représenté par Me Mocaer, conclut à titre principal au rejet de la requête et à titre subsidiaire au non-lieu à statuer et, dans tous les cas, à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, la requête a perdu son objet dès lors que Mme B... a effectivement quitté les lieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public,

- les observations de Me Lagrue représentant Mme B... D... et Me Mocaer représentant le département de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 25 mars 2010, le conseil général de la Gironde a voté la réalisation de douze bâtiments du programme immobilier " Solidarité 2013 " dans le cadre d'un contrat de partenariat, en application des articles L. 1414-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Dans le cadre de ce contrat, le département de la Gironde était en charge de la démolition des immeubles existants avant remise des parcelles aux partenaires et a procédé entre décembre 2011 et octobre 2012 à la démolition du bâtiment jouxtant l'immeuble dans lequel Mme B... est propriétaire d'un appartement, situé 16 rue Canilhac à Bordeaux. Suite à l'apparition de désordres dans cet immeuble, le maire de Bordeaux en a, par un arrêté de péril du 4 juin 2012, interdit l'accès, l'usage et l'habitation. Par un courrier du 14 juin 2012, le président du conseil général de la Gironde a confirmé l'interdiction de l'accès à cet immeuble jusqu'à l'achèvement des travaux de mise en sécurité. Par un arrêté du 7 août 2012, le maire de Bordeaux a pris acte de la réalisation des mesures conservatoires mettant fin au danger constaté, et a abrogé l'arrêté de péril du 4 juin 2012. Mme B... a été relogée par le département de la Gironde dans un logement géré par l'agence Acta immobilier et appartenant à la société Fidany, situé 51 cours Pasteur à Bordeaux, selon un bail conclu par la collectivité avec cette dernière le 5 juin 2012. Par un jugement du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département de la Gironde à verser à Mme B... la somme de 29 836 euros en réparation de son préjudice lié aux dégradations de son bien. Par une décision du 9 janvier 2018, le département de la Gironde a résilié le bail conclu le 5 juin 2012 avec la société Fidany, concernant l'appartement dans lequel était relogée Mme B..., au " 31 avril " 2018. Par décision du 13 juillet 2018, le département de la Gironde a reporté cette résiliation au 31 août 2018. Mme B... relève appel du jugement du 14 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, pour faire suite au jugement du 5 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département au versement à Mme B... de la somme de 29 836 euros en réparation des préjudices subis du fait des dommages causés à son immeuble, somme comprenant notamment le coût des travaux de remise en état, le président du conseil départemental l'a informée, par courrier du 18 décembre 2017 de sa volonté de résilier le bail consenti à son profit en 2012 et lui a demandé de prendre une décision concernant la reprise éventuelle du bail à son nom. En l'absence de réponse, le président du conseil départemental a, par les décisions contestées, procédé, auprès de l'agence Acta Immobilier, à la résiliation du bail au 31 août 2018. Le même jour, un huissier de justice, mandaté par le conseil départemental, a constaté la présence dans les lieux de Mme B.... Le 26 décembre 2018, la société Fidany a assigné le département de la Gironde devant le tribunal d'instance de Bordeaux aux fins d'obtenir la libération des lieux. Par jugement du 27 février 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné la libération par le département de la Gironde, ou tout occupant de son chef dont Mme B..., de l'appartement appartenant à la SCI Fidany, et à défaut de libération, a décidé qu'il sera procédé à son expulsion. Par un arrêt du 21 janvier 2021 la cour d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement du 27 février 2020 en toutes ses dispositions.

3. Il ressort des pièces du dossier que le contrat de bail du 5 juin 2012 conclu entre le président du département de la Gironde et la société Fidany, via le gestionnaire locatif Acta immobilier, a pour objet la location d'un appartement situé 51 cours Pasteur à Bordeaux dans le but de reloger Mme B... suite aux désordres affectant son immeuble. D'une part, ce contrat n'est pas un contrat administratif par détermination de la loi et n'entre pas dans le champ d'application du code des marchés publics. D'autre part, il ne comporte pas de clause impliquant que le contrat relève, dans l'intérêt général, du régime exorbitant des contrats administratifs et qui reconnaitrait au conseil départemental dans l'exécution du bail des prérogatives particulières. En outre, il a pour seul objet de répondre aux besoins de fonctionnement d'une personne publique et non pas de confier à son cocontractant l'exécution d'un service public. Enfin, la seule circonstance qu'il ait été conclu dans le but de reloger Mme B... ne peut le faire regarder comme relevant du droit public dès lors que le conseil départemental ne remplit pas l'essentiel de sa mission de service public à travers ce contrat. Ainsi, ce bail revêt le caractère d'un contrat de droit privé. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier, et notamment du courrier du président du conseil départemental du 18 décembre 2017, que ce bail a été conclu dans le cadre " d'un préjudice de jouissance " pour compenser l'obligation de relogement de Mme B... suite aux dommages causés à son appartement dans le cadre des travaux réalisés par le département. Dans ces conditions, et au regard du lien entre la conclusion de ce bail et la responsabilité du département pour dommage de travaux publics, la décision contestée de résilier le bail d'habitation doit être regardée comme un acte détachable du contrat de droit privé de location, et comme étant susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

4. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions présentées par Mme B... à fin d'annulation de la décision de mettre fin au bail d'habitation conclu entre le département et la société Fidany. Ainsi, son jugement doit être annulé et il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur ces conclusions.

Sur la légalité des décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018 et les conclusions en injonction :

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... A..., chef du service du patrimoine immobilier, signataire des décisions attaquées, a reçu, par arrêté du 11 janvier 2016, régulièrement publié, délégation du président du conseil départemental de la Gironde aux fins de signer, dans le cadre des attributions du service, " les correspondances et documents relatifs à la gestion courante (...) ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ".

7. Si contrairement à ce que soutient la requérante, les décisions attaquées ne sont pas au nombre de celles spécifiquement listées par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration comme devant être motivées, elles sont toutefois soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable prévue par les dispositions de l'article L. 121-1 du même code dès lors qu'elles ont été prises en considération de la personne. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, comme indiqué au point 2, le président du conseil départemental a informée Mme B..., par courrier du 18 décembre 2017, soit plus de trois semaines avant la décision du 9 janvier 2018, de sa volonté de résilier le bail consenti à son profit en 2012 et lui a demandé de prendre une décision concernant la reprise éventuelle du bail à son nom. Dès lors, et alors que Mme B... n'a pas répondu à ce courrier, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées n'auraient pas été précédées d'une procédure contradictoire doit être écarté.

8. En troisième lieu, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

9. Mme B... soutient que le département ne pouvait résilier le bail dont elle bénéficiait en raison de l'obligation qui était la sienne de la reloger dans l'attente de la remise en état de son appartement. Ce faisant, elle se prévaut en réalité d'un préjudice résultant du dommage causé à son appartement du fait des travaux publics réalisés par le département de la Gironde, litige qui a fait l'objet, comme indiqué au point 1, d'un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 décembre 2017. Ainsi, eu égard au caractère définitif de ce jugement, et alors que la décision de mettre fin au relogement ne constitue pas un nouveau fait générateur, le département était fondé à retenir que le montant de l'indemnité au paiement de laquelle il a été condamné par ce jugement du 5 décembre 2017 venait solder ses obligations à l'égard de Mme B... au titre de ce fait générateur et a pu, sans entacher sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, mettre fin au prêt à usage dont bénéficiait l'intéressée à titre de réparation en nature. La circonstance que la date de fin du bail ait été initialement fixée au " 31 avril " 2018 alors que cette date n'existe pas résulte d'une erreur de plume restée sans incidence sur la légalité de la décision.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées. Par suite ses conclusions à fin d'injonctions doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Gironde qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'appelante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas de lieu mettre à la charge de l'appelante une somme à verser au département de la Gironde sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2021 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de Mme B... d'annulation des décisions des 9 janvier et 13 juillet 2018 présentées devant le tribunal administratif de Bordeaux sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au département de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

La rapporteure,

Héloïse E...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°21BX02550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02550
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : LAVALETTE AVOCATS CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-27;21bx02550 ?
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