Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me Falacho, représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante comorienne, née le 14 juin 1990, serait entrée sur le territoire métropolitain le 5 novembre 2018. Elle a sollicité, par lettre du 14 décembre 2020, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-11 6° et 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par décision du 10 août 2022, la préfète des Deux-Sèvres a rejeté sa demande, lui a notifié l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée. La préfète relève appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 août 2022 en tant qu'elle oblige Mme D... à quitter le territoire français et fixe le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.
Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Il y a lieu, dans les circonstances de la présente instance, de faire droit à la demande de Mme D... tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Sur l'appel principal de la préfète des Deux-Sèvres :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
4. La préfète soutient que le tribunal a dénaturé les pièces du dossier et a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l'obligation pour Mme D... de détenir une autorisation spéciale pour entrer sur le territoire métropolitain, prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et en estimant que l'intéressée justifiait contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant français depuis au moins deux ans à la date de la décision en litige. Ce faisant, elle conteste le bien-fondé et non la régularité du jugement attaqué.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
5. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...)/ 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".
6. Pour contester le motif d'annulation retenu par les premiers juges et tiré de ce que Mme D... contribue à l'entretien et à l'éducation de son enfant de nationalité française, la préfète des Deux-Sèvres se borne à contester la réalité de cette contribution depuis au moins deux ans. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intimée, qui réside sur le territoire métropolitain avec son fils, né le 12 mars 2017, à la même adresse et dont il n'est pas contesté qu'elle serait entrée sur le territoire avec lui au cours de l'année 2018, produit des certificats de scolarité attestant de l'inscription de l'enfant à l'école maternelle de C... depuis l'année scolaire 2020-2021, du paiement de frais de restauration scolaire et d'activités périscolaires pour le mois de novembre 2021, de l'accompagnement aux urgences de l'enfant le 31 août 2021, de factures d'achat d'articles de la petite enfance entre 2020 et 2022. Par suite, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, c'est en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la préfète des Deux-Sèvres a fait obligation à Mme D... de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète des Deux-Sèvres n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 août 2022 faisant obligation à Mme D... de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur l'appel incident de Mme D... :
8. Les décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français contenues dans l'arrêté du 10 août 2022 présentent entre elles un lien suffisamment étroit. Dès lors, les conclusions présentées par Mme D... tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour ne présentent pas à juger un litige distinct de celui soumis au juge d'appel par la préfète des Deux-Sèvres qui demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers en tant que ce dernier a annulé l'obligation de quitter le territoire français.
9. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Mme D..., qui déclare avoir vécu dans l'ile de Mayotte de 2014 à 2018 et être entrée sur le territoire métropolitain le 5 novembre 2018, est la mère d'une part, d'un enfant de nationalité française, né le 12 mars 2017, dont le père réside à Mayotte et d'autre part, d'un enfant de nationalité comorienne, né le 18 janvier 2020, dont le père, comorien, est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle, valable du 24 janvier 2022 au 23 janvier 2025. L'intimée réside avec ses deux enfants à C... et ainsi qu'il a été dit au point 6, justifie contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant de nationalité française. Si la préfète relève que Mme D... ne vit pas avec le père de son deuxième enfant, il ressort des pièces du dossier que ce dernier, qui est domicilié également à C..., établit sa contribution financière à l'éducation et l'entretien de son enfant, par des virements effectués sur le compte bancaire de Mme D..., l'achat d'articles de petite enfance entre le mois de mai 2020 et le mois d'août 2022 et la production d'une attestation de la directrice d'école maternelle, indiquant que les deux parents assurent l'accompagnement de leur enfant. Il ressort également des pièces du dossier que l'intimée, qui a exercé une activité professionnelle entre le 23 septembre 2021 et le 19 août 2022, n'est pas dépourvue d'attaches familiales en France, où résident sa mère et sa fratrie, qui sont soit de nationalité française, soit en situation régulière, lesquelles attestent du maintien de liens et de contacts avec l'intéressée. Dans ces conditions, la décision portant refus de titre de séjour a porté au droit de Mme D... au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris. Dès lors, l'intimée est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en tant qu'elle porte refus de titre de séjour.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme D... :
12. Eu égard au motif d'annulation du refus de titre de séjour, retenu au point 10, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que la préfète des Deux-Sèvres délivre à Mme D... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
13. Mme D... a été admise provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve, d'une part, que Me Falacho, avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, d'autre part, de la décision à intervenir du bureau d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, qui est dans la présente instance la partie perdante, la somme de 1 200 euros au profit de Me Falacho au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Mme D... est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : La décision de refus de titre de séjour du 10 août 2022 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète des Deux-Sèvres de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Falacho, avocat de Mme D..., en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve, d'une part, que Me Falacho renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, d'autre part, de la décision à intervenir du bureau d'aide juridictionnelle. En cas de décision de rejet du bureau d'aide juridictionnelle, la même somme sera allouée à Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La requête de la préfète des Deux-Sèvres et le surplus des conclusions de l'appel incident de Mme D... sont rejetés.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Laurent Falacho.
Copie en sera adressée à la préfète des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Bénédicte Martin, présidente,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2023.
Le premier conseiller,
Michaël Kauffmann La présidente,
Bénédicte Martin Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00849