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20/06/2023 | FRANCE | N°23BX00137

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 20 juin 2023, 23BX00137


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 21 octobre 2021, M. E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2101234 du 3 novembre 2022, le tribunal adminis

tratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 29 septembre 2021 et enjoint au préfet ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 21 octobre 2021, M. E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2101234 du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 29 septembre 2021 et enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant le jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2023, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 3 novembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M. D....

Il soutient que :

- l'arrêté du 29 septembre 2021 n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que M. D... ne justifie pas d'une communauté de vie avec la mère de ses enfants et qu'il ne démontre pas contribuer à leur entretien et leur éducation ;

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. D... n'établit pas la stabilité et la continuité de sa présence en France depuis son arrivée en 2013, ni être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de 28 ans.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 6 février et 16 mai 2023, M. D..., représenté par Me Gournay, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, à la confirmation des conclusions à fin d'injonction, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- les moyens soulevés par le préfet de la Guadeloupe ne sont pas fondés ;

- l'arrêté contesté est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- l'obligation de quitter le territoire national est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour ;

-l'interdiction du territoire français pendant une durée d'un an est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 13 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- et les observations de Me Gournay, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant haïtien né le 29 novembre 1985, déclare être entré sur le territoire français le 1er mai 2013. Il a déposé une demande de titre de séjour le 17 novembre 2020. Par un arrêté du 29 septembre 2021, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par un jugement du 3 novembre 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois. Par la présente requête, le préfet de la Guadeloupe relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... réside depuis le mois de novembre 2020 avec Mme B..., une compatriote en situation régulière à la date de la décision attaquée, avec laquelle il a eu un premier enfant, A..., né le 25 février 2010 de leur précédente relation en Haïti, puis un second enfant, C..., née en France le 26 juillet 2019, après que le couple se soit reconstitué en 2018. Par ailleurs, Mme B... a entretemps donné naissance à un enfant de nationalité française, issu de son mariage avec un ressortissant français en 2013, duquel elle est séparée depuis 2018. Si, à la date de la décision litigieuse, la communauté de vie entre M. D... et sa compagne, constatée par le rapport de gendarmerie dressé le 3 mai 2021, présentait un caractère récent, la circonstance que celle-ci soit mère d'un enfant français qui vit avec elle, et dont le père est titulaire d'un droit de visite et d'hébergement, en exécution de l'ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Basse-Terre du 18 septembre 2018, confirmée d'ailleurs par le jugement de divorce rendu le 12 janvier 2023, est de nature à faire obstacle à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer à l'étranger. De plus, quand bien même M. D... n'apporte pas, par les quelques chèques versés sur le compte bancaire de Mme B... qu'il produit, la preuve de sa contribution à l'entretien et l'éducation de ses enfants, il doit être présumé y contribuer du fait de sa présence à leurs côtés au sein du domicile familial. Dans ces conditions, nonobstant les circonstances que M. D... ne serait entré en France qu'à l'âge de 28 ans et ne serait pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, compte tenu de ses conditions de séjour en France, l'arrêté en litige a porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il est intervenu. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Guadeloupe a estimé qu'en prenant l'arrêté attaqué, le préfet de la Guadeloupe a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé son arrêté du 29 septembre 2021 et lui a enjoint de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D... :

5. M. D... réitère en appel ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer un titre de séjour, lesquelles ont déjà été accueillies par les premiers juges. Le présent arrêt, en rejetant l'appel interjeté par le préfet de la Guadeloupe, ne réforme pas les conclusions à fin d'injonction. En outre, l'exécution du présent arrêt n'implique pas de prononcer une nouvelle injonction en ce sens. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par M. D... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

6. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gournay, avocat de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gournay de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Gournay une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Gournay renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions présenté par M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... et à Me Anne-Florence Gournay.

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.

Le premier conseiller,

Michaël Kauffmann La présidente,

Bénédicte Martin Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00137


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00137
Date de la décision : 20/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : GOURNAY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-20;23bx00137 ?
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