Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision implicite du 18 janvier 2020 par laquelle le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du blocage depuis quatre ans de sa situation administrative.
Par un jugement n° 2000039 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrés le 2 mai 2022 et le 8 mars 2023, M. D..., représenté par Me Delmotte, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mars 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite du 18 janvier 2020 par laquelle le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer une carte de séjour ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du blocage depuis sept ans de sa situation administrative ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
- la décision du préfet de la Charente-Maritime méconnaît le 6° des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. D... ne constitue pas une menace à l'ordre public ;
- la décision du préfet est illégale faute de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée.
Sur les conclusions indemnitaires :
- la situation de blocage administratif qu'il subit l'empêche de s'insérer dans la société française.
La requête a été communiquée au préfet de la Charente-Maritime qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011, a présenté des observations enregistrées le 19 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, notamment son article 33 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant congolais né le 18 mai 1986, est entré en France en 1989 selon ses déclarations. Par un arrêté du 15 avril 2014, le préfet de la Vienne a retiré la carte de résident dont il était titulaire en raison de condamnations pénales dont il a fait l'objet et l'a substitué par une carte de séjour " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. Le 30 avril 2015, M. D... a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour auprès du préfet de la Charente-Maritime. Cette demande a fait l'objet d'une instruction, qui a toutefois été close en raison de l'incomplétude du dossier de M. D... et en l'absence de production des pièces justificatives sollicitées par les services de la préfecture. Le 17 septembre 2019, M. D... a de nouveau sollicité le renouvellement de sa carte de séjour en tant que parent d'enfant français, assorti d'une demande tendant au versement d'une indemnité de 10 000 euros au regard de la situation de blocage subie depuis plus de quatre ans. Par une décision du 18 janvier 2020, le préfet de la Charente-Maritime a implicitement rejeté ses demandes. M. D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté, d'une part, sa demande d'annulation de cette décision et, d'autre part, sa demande indemnitaire tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du blocage depuis quatre ans de sa situation administrative.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes des dispositions alors en vigueur du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais reprises aux articles L. 423-7 et L. 423-8 du même code, " sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est père de deux enfants de nationalité française, Ciara, née le 12 mai 2007, et B..., né 23 mai 2012. M. D... soutient qu'il participe effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Toutefois, s'il produit trois attestations des mères de ses deux enfants, dont deux sont postérieures à la date de la décision en litige, indiquant notamment qu'il verrait régulièrement ces derniers et participerait à certaines de leurs activités et au suivi de leur scolarité, ces seuls éléments ne permettent pas, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Poitiers en première instance, de justifier de la contribution effective de M. D... à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants, alors même qu'il est constant, d'une part, qu'il n'y contribue pas financièrement et, d'autre part, que ses enfants ne vivent pas chez lui mais chez leur mère respective depuis leur naissance. En outre, ni les billets de train au nom de sa fille, ni, s'agissant de son fils B..., les échanges de courriels qu'il produit attestant de ce qu'il a cherché à mettre en place son droit de visite auprès de l'AEM à la suite de la décision du juge des affaires familiales du 2 juin 2015 lui reconnaissant un tel droit de visite, ne suffisent à justifier à eux seuls de l'effectivité de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Charente-Maritime aurait fait une inexacte application des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
5. Si M. D... réside sur le territoire français depuis 1989 et se prévaut de la présence de ses parents en France, il ne produit aucune pièce établissant qu'il aurait des relations avec ces derniers. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que M. D... ne justifie pas entretenir une relation affective stable, suffisamment ancienne et régulière avec ses deux enfants présents sur le territoire français. En outre, la circonstance qu'il a justifié de treize adresses différentes en France, dans des villes différentes, est de nature à contredire ses allégations sur la stabilité de ses relations. Si le requérant produit des courriers de pôle emploi, des quittances de loyers, un contrat d'apprentissage, des bulletins de salaire et des avis de non-imposition, ces éléments ne sont toutefois pas de nature à justifier de liens personnels ou professionnels anciens et durables sur le territoire français. Enfin, M. D..., qui a fait l'objet de dix condamnations pénales entre 2005 et 2019 et a été incarcéré à plusieurs reprises, notamment pour violence par conjoint ou partenaire, ne peut être regardé, compte tenu de son comportement, comme justifiant d'une insertion réelle dans la société française. Dans ces conditions, la décision de refus de séjour du préfet de la Charente Maritime ne porte pas au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, désormais repris à l'article L. 432-13 de code : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". Le préfet n'est tenu, en application de ces dispositions de saisir la commission du titre de séjour que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions permettant d'obtenir de plein droit un titre de séjour, et non de tous les étrangers qui sollicitent un tel titre. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. D... ne remplit pas les conditions prévues par les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais repris à l'article L. 423-7 de code, pour obtenir de plein droit un titre de séjour. Dès lors, le préfet de la Charente-Maritime n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. M. D... sollicite par ailleurs la condamnation de l'Etat au versement d'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi résultant du blocage depuis sept ans de sa situation administrative en raison du silence gardé par l'administration sur sa première demande de renouvellement de son titre de séjour le 30 avril 2015.
8. Il résulte toutefois de l'instruction que cette demande a fait l'objet d'une instruction de la part de la préfecture et que, à la suite d'une invitation à compléter son dossier le 17 décembre 2015, restée sans réponse, le préfet l'a informé, par un courrier du 19 février 2016, de ce que l'instruction de sa demande ne pouvait être poursuivie. Par ailleurs, différents échanges ont eu lieu entre le préfet et le conseil de M. D... en lien avec le caractère incomplet de son dossier, dont il n'en ressort pas que l'intéressé aurait répondu aux demandes l'invitant à compléter son dossier. Par suite, M. D... ne peut se prévaloir du blocage de l'administration dès lors qu'il a lui-même créé cette situation en ne répondant pas en temps utile aux nombreuses sollicitations des services de la préfecture. Par suite et en tout état de cause, les conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées.
9. Il résulte de tout de ce qui précède que M. D... n'est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Sa requête doit dès lors être rejetée en toutes ses conclusions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime et au Défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 24 avril 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
M. Fréderic Faïck, président-assesseur,
M. Anthony Duplan, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2023.
La présidente-rapporteure,
Florence C...
Le président-assesseur,
Fréderic Faïck
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01249