Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 7 mai 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Régal des îles à le licencier pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 2000489 du 28 juin 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021, M. D... C..., représenté par M. A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 28 juin 2021 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 7 mai 2020 précitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'illégalité dès lors qu'aux termes des accords de fin de conflit des 26 et 29 janvier 2018, qui doivent être regardés comme des accords collectifs au sens des articles L. 2521-1 et suivants du code du travail ou, à tout le moins, comme des protocoles transactionnels au sens des articles 2044 et suivants du code civil, son employeur s'était engagé à ne prévoir aucunes représailles à l'encontre du personnel gréviste et, partant, à abandonner les poursuites disciplinaires à son encontre ;
- le projet de licenciement ne repose que sur la rancœur personnelle du gérant à son encontre, ôtant aux faits reprochés tout caractère de gravité suffisante pour justifier son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) Régal des îles, représentée par Me Rayssac, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au renvoi, à titre préjudiciel, à la juridiction compétente de la question de savoir si les accords des 26 et 29 janvier 2018 font obstacle au licenciement de M. C..., et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- M. C... ne peut se prévaloir des accords de fin de conflit des 26 et 29 janvier 2018 qui sont nuls, à tout le moins, inapplicables ; en tout état de cause, leur interprétation ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- à titre subsidiaire, eu égard à l'existence de réelles difficultés sur l'interprétation et l'application de ces actes de droit privé, la cour devrait sursoir à statuer et adresser une question préjudicielle aux juridictions compétentes ;
- les autres moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Augier se substituant à Me Rayssac, représentant la société Régal des îles.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été recruté par la commune de Saint-Benoît (La Réunion) à compter du 1er avril 1987 et occupait en dernier lieu les fonctions de responsable qualité au sein de la cuisine centrale de la commune. Par arrêté du préfet de La Réunion du 3 août 2017, il a été habilité en qualité de conseiller du salarié. Il a par ailleurs été candidat à la désignation des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à l'occasion du collège désignatif du 26 septembre 2017. Le marché public d'exploitation de la cuisine centrale et la gestion du service de restauration municipale de la commune de Saint-Benoit ayant été attribué à la société à responsabilité limitée (SARL) Régal des îles à compter du 1er janvier 2018, le contrat de travail qui liait M. C... au précédent attributaire de ce marché a été transféré à cette société. Le 2 janvier 2018, M. C... a été nommé représentant de la section syndicale CGT-R au sein de la société Régal des îles. Par une décision du 18 avril 2018, l'inspectrice du travail a autorisé la société Régal des îles à licencier l'intéressé, ce qu'elle a fait le 25 avril suivant. Toutefois, cette décision a été annulée par un jugement n° 1800560 du tribunal administratif de La Réunion du 12 novembre 2019, confirmé par un arrêt de la cour n° 20BX00266 du 12 avril 2021, en raison de l'absence d'entretien préalable, et le salarié a été réintégré à son poste de travail le 23 décembre 2019. La société Régal des îles a présenté une nouvelle demande d'autorisation de licenciement le 31 décembre 2019, laquelle a été rejetée par une décision de l'inspectrice du travail du 27 février 2020, dont la légalité a été définitivement confirmée par un jugement n° 2000370 du tribunal administratif de La Réunion du 12 juillet 2022, en raison de l'irrégularité de la procédure de consultation du comité social et économique. Saisie d'une nouvelle demande le 17 mars 2020, l'inspectrice du travail a, par une décision du 7 mai 2020, autorisé le licenciement du salarié pour motif disciplinaire. M. C... relève appel du jugement n° 2000489 du 28 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail, notamment, dans le cas de faits survenus à l'occasion d'une grève, des dispositions de l'article L. 2511-1 du code du travail aux termes duquel " l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié " et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit portée à l'un ou à l'autre des intérêts en présence.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, à la suite de la reprise par la société Régal des îles, à compter du 1er janvier 2018, du marché portant sur l'exploitation de la cuisine centrale et la gestion de la restauration collective de la commune de Saint-Benoît, un mouvement de grève a été initié par l'organisation syndicale à laquelle appartient M. C.... Dans le cadre de la recherche d'une issue à cette grève, deux accords ont été signés les 26 et 29 janvier 2018. Le premier accord conclu entre la direction de la société et notamment M. C..., en tant que représentant de la section syndicale, n'avait d'autre objet que d'annuler les convocations de trois salariés ayant participé au mouvement social, dont le requérant, à un entretien préalable prévu le même jour et de placer les intéressés en congés à compter de cette date. Si par le second accord de fin de conflit, signé le 29 janvier 2018 sous l'égide de médiateurs, entre la direction et M. C..., au nom du syndicat CGT-R qui n'était pas une organisation représentative au sein de la société Régal des îles, l'employeur a consenti n'engager " aucune action de représailles " contre le personnel gréviste, il ne saurait pour autant être regardé comme ayant abandonné les poursuites disciplinaires qu'il avait initiées le 18 janvier 2018 à l'encontre de l'appelant. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que, à la suite de la reprise du mouvement de grève le jour même de la signature de cet accord, les termes de ce dernier ont été dénoncés par l'employeur, lequel a, par courrier du 6 février 2018, reçu le 8 février suivant, invité M. C... a donné suite à la proposition de rupture conventionnelle de son contrat de travail qu'il avait lui-même sollicitée le 30 janvier précédent. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail aurait commis une erreur de droit en autorisant son licenciement au motif que les accords précités feraient obstacle à une telle mesure doit être écarté.
4. En deuxième lieu, pour solliciter de l'inspectrice du travail l'autorisation de licencier M. C..., la société Régal des îles a invoqué dans sa demande cinq griefs tirés de ce que le salarié a, premièrement, organisé et participé au blocage des locaux de la cuisine centrale de Saint-Benoît et à un mouvement de grève jugé illicite, deuxièmement, proféré des insultes et tenu des propos inappropriés, troisièmement, refusé le lien de subordination sur fond de menaces et de propos xénophobes, quatrièmement, menacé physiquement un salarié de la société, cinquièmement, refusé de remettre le code d'accès des ordinateurs et d'un chariot.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des procès-verbaux de constat d'huissier produits en première instance, que M. C... a participé activement au blocage des locaux de la cuisine centrale, les 2 et 9 janvier 2018, empêchant ainsi la libre circulation des personnes et des biens, et la reprise partielle d'activité prévue le 8 janvier 2018 pour la distribution de repas aux centres de loisirs communaux à compter du 10 janvier suivant. Ce blocage a été qualifié de voie de fait par le tribunal de grande instance de Saint-Denis qui, le 16 janvier 2018, a ordonné de faire cesser ce trouble manifestement illicite, le tribunal ayant par ailleurs constaté le caractère illicite du mouvement de grève déclenché par le syndicat auquel appartient l'appelant. Il ressort également des pièces du dossier que, le 2 janvier 2018, à l'occasion du blocage des locaux, M. C... a insulté publiquement, devant les autres salariés, le gérant de la société, M. E.... Ces insultes ont donné lieu à la condamnation du requérant, par jugement du 8 novembre 2018, devenu définitif, du tribunal correctionnel de Saint-Denis, à une amende et au paiement de dommages-intérêts. Dans ces conditions, et en dépit de la tension existante du fait des conditions de reprise par la société Régal des îles du marché de restauration collective de la commune de Saint-Benoît, le comportement de M. C..., qui a joué un rôle prépondérant durant le conflit, ne saurait relever de l'exercice normal de son mandat de représentant de section syndicale. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que les faits ainsi reprochés à M. C... se rapportant aux deux premiers griefs retenus par l'inspectrice du travail parmi les cinq invoqués par l'employeur, et dont la matérialité n'est au demeurant pas contestée, présentent une gravité suffisante pour justifier, à eux seuls, le licenciement du salarié, malgré son ancienneté et l'absence de tout antécédent disciplinaire.
6. En dernier lieu, en se bornant à soutenir que son licenciement ne repose que sur la rancœur personnelle du gérant à son encontre, M. C... n'apporte aucun élément permettant de considérer que la demande d'autorisation de licenciement justifiée par les faits, rappelés au point précédent, qui ont conduit le salarié à excéder gravement le cadre de l'exercice normal de ses mandats de représentant de section syndicale, serait en lien avec les fonctions représentatives de l'intéressé.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir le juge judiciaire d'une question préjudicielle quant à la validité et à l'interprétation des accords signés les 26 et 29 janvier 2018, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 7 mai 2020.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros à verser à la société Régal des îles au titre des frais de même nature.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera à la société Régal des îles la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société à responsabilité limitée (SARL) Régal des îles.
Copie en sera adressée au préfet de la région Réunion (direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de La Réunion).
Délibéré après l'audience du 24 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Anthony Duplan, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2023.
Le rapporteur,
Anthony B...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21BX03227