Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... N'Guma a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2203841 du 20 juillet 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 août 2022 et le 16 novembre 2022, M. B... N'Guma, représenté par Me Astié, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2203841 du tribunal administratif ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 13 juillet 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 80 euros par jour de retard ; à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision en litige a été signée par une autorité incompétente ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'en raison de son état de santé, le préfet aurait dû saisir pour avis le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen complet de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son état de santé requiert un traitement médical pour soigner une pathologie grave qui n'est pas accessible dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entré en France à l'âge de six ans, y a régulièrement travaillé et a entretenu une relation avec une ressortissante française qui a donné naissance à leur enfant ; toute sa famille réside sur le territoire français ; il a cherché à régulariser sa situation au regard du droit à séjour ; il n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine ;
- s'il a été interpellé par les services de police, il n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires à l'issue de sa garde à vue ; c'est par une erreur d'appréciation que le préfet a estimé qu'il représentait une menace pour l'ordre public ;
- pour les mêmes motifs, l'obligation de quitter le territoire français en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les stipulations des articles 3, 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
Il soutient, en ce qui concerne le pays de renvoi, que :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
Il soutient, en ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français, que :
- cette décision a été signée par une autorité incompétente ;
- elle entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen complet de sa situation personnelle.
M. N'Guma a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2022.
Par une ordonnance du 20 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mars 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... A... ;
- et les observations de Me Debril se substituant à Me Astié représentant M. N'Guma.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 juillet 2022 à Bordeaux, les services de police ont interpellé M. N'Guma, ressortissant congolais né le 29 décembre 1986, pour port d'une arme de catégorie D sans motif légitime. M. N'Guma, qui a été auditionné par les services de police, n'a présenté aucun documents d'identité, de voyage ou de séjour, et a fait l'objet, le 13 juillet 2022, d'un arrêté de la préfète de la Gironde prononçant à son encontre une obligation de quitter sans délai le territoire français, désignant le pays de renvoi avec interdiction de retour sur le territoire pendant trois années. Par un autre arrêté du même jour, la préfète a assigné M. N'Guma à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. N'Guma a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français. Il relève appel du jugement rendu le 20 juillet 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal a rejeté sa demande.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Toutefois, lorsque l'étranger est assigné à résidence aux fins d'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français ou placé ou maintenu en rétention administrative en application du titre IV du livre VII, l'avis est émis par un médecin de l'office et transmis sans délai au préfet territorialement compétent ".
3. Lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale est tenue, en application des dispositions précitées, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
4. Par un avis du 15 juin 2021, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. N'Guma nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'il ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et que les soins que nécessite son état de santé doivent être poursuivis pendant six mois. En tenant compte de cet avis, le tribunal administratif de Limoges, par un jugement du 7 octobre 2021, a annulé une précédente mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. N'Guma par le préfet de la Corrèze le 15 juillet 2021 au motif que le délai de six mois, pendant lequel les soins bénéficiant à ce dernier devaient être poursuivis, n'était pas expiré à la date de cette décision.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. N'Guma souffre d'une tuberculose osseuse susceptible d'entraîner des complications d'ordre neurologique, du VIH ainsi que du syndrome de Hogkin et que, à raison de ces pathologies, il bénéficie d'un traitement médical au centre hospitalier de Saint-André et d'un suivi effectué par un médecin spécialiste des maladies infectieuses. Au cours de son audition, dont les services de police ont dressé procès-verbal le 13 juillet 2022 et auquel le préfet s'est référé dans les motifs de son arrêté, M. N'Guma a fait état de ces différentes pathologies en précisant qu'elles lui avaient permis d'obtenir du tribunal administratif de Limoges l'annulation d'une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre. Ainsi, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Bordeaux, la préfète de la Gironde disposait d'éléments suffisants lui permettant d'estimer que l'état de santé de M. N'Guma était susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement alors même que ses services n'avaient pas été saisis par l'intéressé d'une demande de titre de séjour pour raison médicale et qu'un précédent refus de titre de séjour avait été pris le 15 juillet 2021 par la préfète de la Corrèze. Dans ces conditions, il appartenait à la préfète, à tout le moins, de saisir pour avis le collège de médecins de l'OFII de cette question. M. N'Guma est dès lors fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français en litige est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de consultation préalable de ce collège.
6. La consultation de l'OFII permet d'obtenir un avis collégial des médecins de l'office sur l'état de santé de l'étranger. Elle constitue une garantie pour celui-ci et l'avis rendu est susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision du préfet. Par suite, M. N'Guma est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ce jugement doit être annulé, ainsi l'obligation de quitter le territoire français du 13 juillet 2012 en litige.
Sur la légalité des autres décisions :
7. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire français prive de base légale les décisions portant désignation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, il y a lieu d'annuler également ces dernières décisions contenues dans l'arrêté en litige du 13 juillet 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
9. Le motif d'annulation retenu au présent arrêt implique qu'il soit prescrit au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. N'Guma en procédant à la consultation du collège de médecins de l'OFII. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
10. M. N'Guma a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Astié, avocate de M. N'Guma d'une somme de 1 200 euros, ce versement entraînant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 2203841 du tribunal administratif de Bordeaux du 20 juillet 2022 et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 13 juillet 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français, sont annulés.
Article 2 : Il est prescrit au préfet de la Gironde de statuer à nouveau sur la situation de M. N'Guma après avoir recueilli l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Article 3 : L'Etat versera à Me Astié la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... N'Guma, à Me Astié et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2023.
Le rapporteur,
Frédéric A...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX02232 2