La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/2023 | FRANCE | N°21BX00484

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre bis (formation à 3), 30 janvier 2023, 21BX00484


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Cours Julien a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Denis d'Oléron à lui verser une indemnité de 192 350 euros en réparation des préjudices résultant de la délivrance d'un permis de construire illégal le 14 mai 2014 ainsi que d'un certificat d'urbanisme opérationnel illégal délivré le 8 août 2012.

Par un jugement n° 1900948 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la commune de Saint

-Denis d'Oléron à verser à la SCI Cours Julien la somme de 4 940 euros avec intérêts au ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Cours Julien a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Denis d'Oléron à lui verser une indemnité de 192 350 euros en réparation des préjudices résultant de la délivrance d'un permis de construire illégal le 14 mai 2014 ainsi que d'un certificat d'urbanisme opérationnel illégal délivré le 8 août 2012.

Par un jugement n° 1900948 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la commune de Saint-Denis d'Oléron à verser à la SCI Cours Julien la somme de 4 940 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2019 et intérêts capitalisés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2021 et des mémoires en réplique enregistrés les 4 mars et 29 avril 2022, la société civile immobilière (SCI) Cours Julien, représentée par Me Ibanez, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 10 décembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il lui a seulement alloué une indemnité de 4 940 euros ;

2°) de condamner la commune de Saint-Denis d'Oléron à lui verser une indemnité de 93 000 euros en réparation des préjudices résultant de la délivrance d'un certificat d'urbanisme et d'un permis de construire illégaux ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis d'Oléron la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Ses préjudices ont été insuffisamment indemnisés ;

- en invoquant devant le tribunal la faute résultant de la délivrance d'un certificat d'urbanisme positif, elle a soulevé un moyen qui n'était pas nouveau et qui était donc recevable dans le cadre de la présente demande indemnitaire dès lors qu'il se rattache à une cause juridique identique à celle qui fonde sa demande et qu'elle tend à l'indemnisation des mêmes préjudices que ceux invoqués concernant le permis de construire illégal ; la créance n'est en outre pas prescrite ;

- la période de responsabilité retenue par le tribunal doit être étendue dans le temps, dès lors que la délivrance du certificat d'urbanisme engage la responsabilité de la commune ; elle est donc fondée à se prévaloir de cette responsabilité à compter du 8 août 2012, date de la délivrance du certificat d'urbanisme, jusqu'au 22 octobre 2014, date de l'ordonnance de suspension du permis ;

- sans certificat d'urbanisme positif, elle n'aurait pas acquis le terrain, pour la somme, incluant les frais notariés, de 65 955,59 euros ;

- les frais d'architecte doivent être pris en compte pour la somme supplémentaire de 3 400 euros, suivant facture du 14 février 2014 ;

- au titre des frais de justice qu'elle a engagés, elle réclame la somme de 6 639 euros ; il s'agit de frais d'avocat qui ne sont pas couverts par les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- son préjudice moral doit être porté à la somme de 15 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 février 2022 et 25 mars 2022, la commune de Saint-Denis d'Oléron, représentée par Me Brossier, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à la garantir de toute condamnation à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de la SCI Cours Julien la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement, en ce qu'il a rejeté à tort les conclusions de la SCI tendant à la réparation de ses préjudices résultant du certificat d'urbanisme illégal, est irrecevable dès lors qu'il a été soulevé dans un mémoire en réplique après l'expiration du délai d'appel, et donc tardivement ;

- subsidiairement, la SCI n'est pas fondée à soutenir que le début de la période de responsabilité devrait être fixé au 8 août 2012, date de délivrance du certificat d'urbanisme ; il s'agit de conclusions nouvelles, irrecevables, car elles tendent à l'indemnisation d'un fait constituant une faute distincte et un fait générateur distinct de ceux invoqués dans la demande initiale ; le contentieux n'a donc pas été lié s'agissant du certificat d'urbanisme ;

- au fond, les moyens soulevés sont infondés.

Par un mémoire enregistré le 2 mars 2022, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... B...,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Cours Julien a bénéficié d'un certificat d'urbanisme, délivré par le maire de Saint-Denis d'Oléron le 8 août 2012, déclarant réalisable un projet de construction d'une résidence sur les parcelles cadastrées section AA n° 78, 79 et 80. Ce projet a fait l'objet d'un permis de construire délivré par le maire de Saint-Denis d'Oléron le 14 mai 2014. A la demande du préfet de la Charente-Maritime, ce permis de construire a été suspendu par une ordonnance de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 octobre 2014, puis annulé par un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 25 juin 2015, confirmé par un arrêt n°15BX02883 rendu le 17 janvier 2017 par la cour administrative d'appel de Bordeaux, et devenu définitif.

2. La SCI Cours Julien a, dans une demande préalable adressée à la commune le 20 décembre 2018, sollicité l'indemnisation de son préjudice résultant de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de réaliser son projet à raison de l'illégalité du permis de construire. Sa demande ayant été rejetée par le maire le 11 février 2019, la SCI Cours Julien a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à ce que la commune soit condamnée à lui verser la somme de 192 350 euros à titre de dommages et intérêts. La SCI Cours Julien relève appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 décembre 2020 en tant qu'il a condamné la commune de Saint-Denis d'Oléron à lui verser la somme de 4 940 euros et demande à la cour de porter à 93 000 euros le montant de son indemnité. La commune conclut au rejet de l'appel de la société et présente à titre subsidiaire des conclusions d'appel incident tendant à ce qu'elle soit garantie par l'Etat des condamnations éventuellement prononcées à son encontre.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Il résulte de ces dispositions que la recevabilité des conclusions indemnitaires est soumise à l'intervention d'une décision préalable de l'administration de nature à lier le contentieux. Pour être recevable, la demande présentée au juge doit alors porter sur le même objet, mettre en cause les mêmes parties et se fonder sur les mêmes causes juridiques que la réclamation préalable. Il appartient ainsi au juge du plein contentieux de distinguer les conclusions indemnitaires selon le fondement de responsabilité invoqué et le fait générateur du préjudice, pour apprécier, pour chacun des chefs de ce dernier, la liaison du contentieux et, partant, la recevabilité de chacune des demandes.

4. Dans son courrier du 20 décembre 2018, demandant à la commune réparation de ses préjudices, la SCI Cours Julien a expressément fondé ses prétentions sur la faute constituée par l'illégalité du permis de construire du 14 mai 2014. La société s'est donc abstenue de faire état, devant l'administration, de la faute constituée par l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré le 8 août 2012 et de préjudices en lien avec cette décision. Dès lors que le certificat d'urbanisme et le permis de construire sont des décisions de nature différente qui n'emportent pas les mêmes conséquences juridiques, la SCI Cours Julien s'est prévalue d'un fait générateur distinct lorsqu'elle a invoqué, à l'appui de ses prétentions indemnitaires, l'illégalité du certificat d'urbanisme du 8 août 2012 dans son mémoire en réplique présenté au tribunal le 5 décembre 2019, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux. De telles conclusions n'ont pas été précédées d'une décision administrative susceptible de lier le contentieux. Dès lors, les premiers juges ont pu rejeter ces conclusions comme irrecevables sans entacher leur jugement d'irrégularité.

Sur la responsabilité :

5. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.

6. Il est constant que le permis de construire délivré le 14 mai 2014 par le maire de Saint-Denis d'Oléron a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 17 janvier 2017, devenu définitif, au motif que le projet portait atteinte à la sécurité publique dès lors qu'il était situé non loin d'une falaise soumise à un important risque d'érosion. Ainsi, l'illégalité qui entache le permis de construire du 14 mai 2014 constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Saint-Denis d'Oléron envers la SCI Cours Julien.

Sur les préjudices :

7. La période de responsabilité de la commune s'étend de la date de notification du permis de construire du 14 mai 2014 à celle de l'ordonnance du 22 octobre 2014 de la cour administrative d'appel de Bordeaux suspendant son exécution. Il s'ensuit que le préjudice de la SCI Cours Julien correspond aux frais qu'elle a exposés inutilement, au cours de la période considérée, pour la réalisation de son opération et qui sont la conséquence directe et certaine du permis illégalement délivré.

En ce qui concerne les coûts d'acquisition du terrain :

8. Il résulte de l'instruction que l'acquisition du terrain d'assiette du projet a été effectuée le 3 janvier 2013, à la suite du certificat d'urbanisme du 8 août 2012, soit antérieurement à la délivrance du permis de construire illégal, dont la notification marque le point de départ de la période de responsabilité de la commune. Ainsi, le chef de préjudice tenant au prix d'acquisition du terrain et des frais notariés en découlant n'est pas la conséquence directe de l'illégalité du permis de construire. Par suite, la société n'est pas fondée à être indemnisée du prix d'achat du terrain.

En ce qui concerne les frais d'architecte :

9. Outre la somme de 2 940 euros que lui ont allouée les premiers juges au titre des frais d'architecte engagés, la SCI Cours Julien demande une somme complémentaire de 3 400 euros. Cependant, pour en justifier, elle produit une note d'honoraires datée du 14 février 2014 antérieure à la notification du permis de construire illégal et donc au début de la période de responsabilité. Par suite, la société n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice qui n'est pas en relation directe avec la faute commise.

En ce qui concerne les frais de justice :

10. Les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci. Toutefois, lorsque l'intéressé avait qualité de partie à l'instance, la part de son préjudice correspondant à des frais non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause.

11. Il s'ensuit que la SCI Cours Julien n'est pas fondée à demander, dans la présente instance, la condamnation de la commune à l'indemniser des frais de justice qu'elle a exposés pour assurer sa défense dans le cadre des instances contentieuses engagées devant la juridiction administrative, auxquelles elle a été partie, à la suite du déféré préfectoral à l'encontre du permis de construire du 14 mai 2014.

En ce qui concerne le préjudice moral :

12. La qualité de personne morale de la SCI Cours Julien ne fait pas obstacle à ce qu'elle puisse demander réparation de son préjudice moral résultant d'une faute commise par l'administration. Il résulte de l'instruction que la SCI Cours Julien a entamé des démarches pour réaliser son projet après la délivrance du permis de construire qui se sont avérées vaines, et qu'elle a été contrainte de se défendre dans pas moins de quatre instances contentieuses dont elle n'a pris l'initiative et qui ont duré près de trois ans. Dans ces circonstances particulières, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par la société en le portant à 6 000 euros.

13. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être réformé en tant qu'il a limité à 2 000 euros le montant du préjudice moral subi par l'appelante. Par suite, la somme de 4 940 euros que le tribunal a mise à la charge de la commune à titre de dommages et intérêts doit être portée à 8 940 euros.

Sur l'appel incident de la commune :

14. La commune de Saint-Denis d'Oléron demande la condamnation de l'Etat à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, en faisant valoir que le plan de prévention des risques naturels approuvé par le préfet aurait dû classer le terrain d'assiette du projet en secteur inconstructible et que l'Etat a commis une faute en s'abstenant de déférer le certificat d'urbanisme du 8 août 2012. Ce faisant, la commune ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant les premiers juges. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le jugement attaqué

Sur les frais de l'instance :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 4 940 euros que le tribunal administratif de Poitiers a mise à la charge de la commune de Saint-Denis d'Oléron au profit de la SCI Cours Julien est portée à 8 940 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1900948 du tribunal administratif de Poitiers du 10 décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SCI Cours Julien est rejeté.

Article 4 : L'appel incident de la commune de Saint-Denis d'Oléron et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Cours Julien, à la commune de Saint-Denis d'Oléron et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

Frédéric Faïck, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2023.

La rapporteure,

Florence B...

Le président,

Frédéric Faïck

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX00484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre bis (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 21BX00484
Date de la décision : 30/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : SCP B C J - BROSSIER - CARRE - JOLY

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-01-30;21bx00484 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award