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10/01/2023 | FRANCE | N°22BX01454

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 10 janvier 2023, 22BX01454


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.

Par un jugement n° 2200015 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une req

uête, enregistrée le 24 mai 2022, Mme B... C..., représentée par Me Samb-Tosco, demande à la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.

Par un jugement n° 2200015 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2022, Mme B... C..., représentée par Me Samb-Tosco, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200015 du tribunal administratif de Bordeaux du 31 mars 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2021 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :

- aucun indice précis et concordant n'est apporté par la préfète permettant de tenir pour établi le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité du père français de son fils ; alors même qu'elle ne vit pas avec le père de son enfant français, il existe une décision de justice du juge aux affaires familiales quant à la contribution à l'entretien et à l'éducation de son fils qui, si elle est postérieure à la date de l'arrêté attaqué, révèle une situation qui lui est antérieure ; dès lors, la décision lui refusant le séjour méconnaît les dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- eu égard à sa situation personnelle et familiale, elle porte une atteinte manifestement excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant, garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- eu égard à sa situation personnelle et familiale, elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C..., ressortissante camerounaise née le 25 décembre 1983, est entrée en France le 9 juin 2016 et a sollicité, le 11 août 2017, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 26 octobre 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. L'intéressée relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ". Enfin, aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".

3. Si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Pour refuser de délivrer à Mme B... C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français, la préfète de la Gironde s'est fondée sur la conviction d'une reconnaissance frauduleuse de paternité du fils de la requérante, né le 11 mai 2017, par M. A..., de nationalité française, en se fondant sur le rapport d'entretien du référent fraude départemental du 5 mai 2020. Il ressort des termes de ce rapport que les auditions séparées de Mme B... C... et M. A... ont révélé des divergences sur plusieurs éléments importants de la relation tels que les circonstances et la date de leur rencontre ainsi que les lieux où ils avaient l'habitude de se retrouver. Par ailleurs, alors que la requérante indique être repartie au Cameroun entre les mois d'août et décembre 2016 et que la relation a repris à son retour de manière épisodique, M. A... a fait état d'une relation suivie et ininterrompue jusqu'en novembre 2018. Enfin, M. A... n'a pas été en mesure d'indiquer la date de naissance de l'enfant dont il prétend être le père, qu'il situe deux mois avant l'évènement, alors que, pour sa part, Mme B... C... n'a pas su reconnaître M. A... sur planche photographique. La requérante n'apporte aucun élément probant de nature à remettre en cause ces indices du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité ni à justifier de l'existence d'une quelconque relation, même éphémère, avec M. A.... Dans ces conditions, la préfète, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude et qui a d'ailleurs saisi le procureur de la République pour suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité, doit être regardée comme apportant des éléments précis et suffisamment circonstanciés de nature à établir que la reconnaissance de paternité souscrite en faveur de l'enfant de la requérante l'a été dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour et ce, alors même que l'intéressée a saisi le juge aux affaires familiales aux fins de fixation d'une pension alimentaire antérieurement à la date de la décision contestée et que ce juge a ordonné le versement d'une pension alimentaire par M. A... par un jugement du 9 mai 2022. Dans ces conditions, dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, la préfète pouvait, pour ce seul motif et sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, refuser à l'intéressée la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En second lieu, eu égard à ce qui vient d'être exposé, Mme B... C... n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la préfète de la Gironde a méconnu les termes de l'instruction du 28 février 2019 relative à l'application de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie qui rappelle que la loi offre au demandeur la faculté de produire une décision de justice relative à la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant par l'auteur de la reconnaissance.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... C... est arrivée récemment en France après avoir vécu la majeure partie de sa vie au Cameroun, où résident sa mère et ses deux autres enfants mineurs. Par ailleurs, elle ne justifie d'aucun lien stable sur le territoire, ni d'aucun élément démontrant son intégration et son insertion durable au sein de la société française. La circonstance que la requérante connaît une période d'activité à temps partiel, exercée en qualité de femme de ménage, depuis le mois d'août 2019 ne permet pas, par elle-même, d'établir une intégration socio-professionnelle particulière en France. Par suite, compte tenu également du jeune âge de son enfant, la préfète de la Gironde n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure d'éloignement a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la préfète n'a pas plus entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B... C....

8. En second lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

9. La décision en litige n'a pas pour effet de séparer Mme B... C... de son fils. Si en revanche, la décision en litige peut avoir pour effet de séparer l'enfant du père déclaré, il ressort de ce qui a été dit au point 4 que cette séparation n'est pas de nature à porter atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant eu égard au caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité. En outre, il n'est pas établi que la scolarité débutante de l'enfant ne pourrait se poursuivre ailleurs qu'en France. Dès lors, le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

Sur la décision fixant le pays de destination :

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision susvisée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... C... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.

Le rapporteur,

Michaël D... La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX014542


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01454
Date de la décision : 10/01/2023
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SAMB-TOSCO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-01-10;22bx01454 ?
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