Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté
du 5 novembre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2106260 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 mars 2022, Mme C... B..., représentée par
Me Mathey, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 janvier 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 5 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 80 euros par jour de retard, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans l'attente de cet examen, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de la décision contestée en méconnaissance du principe du droit d'être entendu ;
- la décision méconnait l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est privée de base légale en ce qu'elle est fondée sur une décision de refus de titre de séjour illégale ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- la décision est privée de base légale dès lors qu'elle est fondée sur une décision de refus de titre et sur une décision portant obligation de quitter le territoire, qui sont illégales ;
- la décision méconnait l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me Mathey, représentant Mme C... B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., née le 5 juin 1964, de nationalité albanaise, entrée régulièrement en France le 10 septembre 2018, a sollicité le bénéfice de l'asile le 11 septembre 2011. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
le 26 juin 2019 et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 25 septembre 2019. Le
5 janvier 2021, elle a demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 novembre 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée. Mme B... relève appel du jugement du
18 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
2. La décision litigieuse énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. L'arrêté mentionne notamment la présence de la fille de Mme B... en France et indique qu'elle a fait l'objet d'un arrêté de refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire par décision du même jour. Cette motivation en fait était suffisante pour permettre à la requérante de connaître les motifs ayant justifié la décision litigieuse. La circonstance que la préfète n'ait pas mentionné les éléments médicaux relatifs à l'état de santé de sa fille ne saurait révéler un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation. Par suite, la préfète de la Gironde, qui n'était pas tenue de mentionner l'ensemble des circonstances de fait caractérisant la situation de l'intéressée, a suffisamment motivé sa décision refusant à Mme B... un titre de séjour.
3. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union et qu'il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales.
4. En l'espèce, il appartenait à Mme B..., à l'occasion du dépôt de sa demande de titre de séjour, de préciser à l'administration les motifs pour lesquels elle estimait devoir être admise au séjour au titre de sa vie privée et familiale et de produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Par ailleurs, il lui était loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire utile quant à sa situation. Dès lors, la seule circonstance que Mme B... n'ait pas été invitée par la préfète de la Gironde à formuler des observations avant le refus de l'admettre au séjour n'est pas de nature à permettre de la regarder comme ayant été privée de son droit à être entendue.
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
6. Mme B... fait valoir qu'elle assiste sa fille au quotidien en qualité d'aidant, cette dernière, paraplégique, souffrant d'escarre ischiatique et d'une incontinence urinaire par insuffisance sphinctérienne. Afin de justifier que sa fille ne peut bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Albanie, l'appelante produit un extrait du rapport de la mission exploratoire réalisée en Albanie du 1er au 6 avril 2013 soulignant le caractère défaillant du système de santé albanais et fait valoir qu'elle ne pourrait assumer les frais médicaux lourds en cas de nécessité d'une nouvelle opération. Toutefois, ces seuls éléments, eu égard à leur caractère général et peu circonstancié, ne permettent pas d'estimer que la fille de l'appelante ne pourra bénéficier des soins qui lui sont nécessaires dans son pays d'origine. Les autres documents médicaux produits n'apportent pas davantage d'informations permettant de retenir qu'un traitement adapté ne serait pas accessible en Albanie. Il ressort des pièces du dossier que la fille de l'appelante a fait l'objet d'un arrêté du 5 novembre 2021 refusant de lui délivrer un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français. En outre, l'appelante ne justifie pas être dépourvue d'attaches familiales en Albanie où elle a vécu jusqu'à l'âge de 54 ans. La seule circonstance que Mme B... respecte ses obligations fiscales ne caractérise pas une intégration particulière dans la société française. Dans ces conditions, la préfète de la Gironde n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux motifs du refus. Par suite, la préfète n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces circonstances, la décision de refus de titre de séjour n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme B....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
7. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la décision portant obligation de quitter le territoire français du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour doit être écarté.
8. Compte tenu des circonstances exposées au point 6, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme B....
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la décision fixant le pays de destination en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
10. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
11. L'appelante soutient que la sécurité de sa fille serait compromise si elle devait retourner dans son pays d'origine dès lors que sa pathologie serait directement liée aux violences qu'elle aurait subies dans son pays d'origine de la part de sa belle-famille. Toutefois, et alors que Mme B... a vu sa demande d'asile rejetée par l'OFPRA et par la CNDA, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations de nature à corroborer l'existence d'un risque actuel et personnel de traitement inhumain et dégradant. Par suite, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
12. Dans les circonstances exposées au point 6, la décision fixant le pays de destination n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme B....
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi
du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
Nathalie A...La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX00859 2